France

Lyon : Pourquoi le nouveau centre de rétention inspire déjà de grandes craintes ?

« Ce n’est ni à faire, ni à refaire. » Un peu plus d’un an après son ouverture, le nouveau centre de rétention administrative (CRA) de Lyon, voulu par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et présenté comme un « projet pilote » censé être dupliqué partout en France, concentre déjà toutes les critiques. Et inspire les plus grandes craintes.

« C’est pire que la prison », résume la bâtonnière de Lyon, Marie-Josèphe Laurent. Vendredi dernier, la magistrate s’est rendue sur place pour une visite impromptue. D’autres avocats ou députés du Rhône l’ont précédé au cours des derniers mois. Avec toujours le même constat à la clé : une situation alarmante. « Un jour, il va arriver un drame, alerte Jean-François Barre, vice-batônnier de Lyon. On ne peut pas laisser les choses comme ça. Il faut réagir. »

« C’est le Titanic »

Discrètement implanté près de l’aéroport Saint-Exupéry, l’établissement est le théâtre de très vives tensions et d’épisodes récurrents de violence. A tel point que le personnel médical a démissionné au mois de décembre. Le nouveau CRA de Lyon ? C’est le « Titanic », résumait le docteur Thomas Millot, qui y a exercé avant de claquer la porte à la veille des vacances de Noël. « Ça prend l’eau de tous les côtés. »

L’association Forum Réfugiés, qui assiste les retenus dans leurs démarches administratives, a déjà suspendu à plusieurs reprises ses interventions. « Les insultes font partie du métier. Mais là, c’était autre chose, témoigne Assane Ndaw, directeur Accompagnement en centre de rétention administrative de l’organisme. Il y avait une énorme pression sur les équipes. Le personnel n’était pas en sécurité. » Et d’expliquer : « La plupart des retenus, qui viennent pour des demandes urgentes, doivent attendre. Ils s’impatientent, ils ne sont pas contents des réponses apportées. On se faisait insulter et menacer. Et rien n’était mis en place dans les bureaux pour nous protéger. On a exigé une présence policière sauf qu’on ne les voyait jamais car ils étaient déployés dans d’autres parties du bâtiment. »

Si aucun salarié n’a été agressé physiquement, beaucoup venaient travailler avec la peur que ça se termine mal.

« Délinquants et sortants de prison »

Inauguré en janvier 2022, le CRA2 de Lyon accueille jusqu’à 140 personnes, majoritairement des hommes en situation irrégulière. Mais depuis la circulaire du 3 août 2022, dans laquelle le ministre de l’Intérieur donne aux préfets des consignes pour « améliorer l’efficacité » des expulsions de sans-papiers, le public a majoritairement changé. « Le profil des retenus a évolué », indique la préfecture Rhône précisant que, désormais, « sont prioritairement placés en centre de rétention administrative les individus dits TOP ». A savoir, les individus créant un trouble à l’ordre public. « Des délinquants ou sortants de prison », résume-t-elle.

Depuis le début de l’année, 86 % des gens qui séjournent au CRA 2 de Lyon sont des TOP, dont 22 % sortent de détention. Mais Assane Ndaw préfère « éviter les amalgames ». Selon lui, le profil ou casier judicaire des visiteurs n’explique pas tout. « C’est la structure qui est mal foutue et qui génère de la violence », analyse-t-il. « Du bitume et aucun espace vert », répond l’avocat Morgan Bescou, qui fait partie de la délégation ayant visité les lieux.

Le batiment est composé de sept blocs séparés, dans lequels sont regroupés vingt personnes « livrées à elles-mêmes ». Au milieu, une seule cour grillagée. Et une zone d’accès contrôlé où se concentrent les services médicaux et administratifs, accessibles « une heure par jour à horaire fixe ». Tout autour, des « murs hérissés de barbelés ». Ici, la communication est impossible entre les blocs. Pour se déplacer, il faut franchir toute une série de portes automatisées. D’ailleurs, on ne sort pas de son bloc. On y reste « enfermés 23 heures, sans aucune activité », souligne Morgan Bescou. Et sans surveillance policière.

« Peu d’espace d’intimité »

Dans la buanderie, les contacts ne sont pas permis. Une vitre sépare les retenus du personnel. Chacun doit glisser son linge dans une trappe. Au réfectoire, « trente minutes chrono » sont accordées pour manger, enfermés dans une pièce, avant de regagner son bloc obligatoirement. La nourriture est « insuffisante » au point que certains « ont perdu du poids de façon significative en quelques semaines ».

« Globalement, il y a très peu d’espace d’intimité. Les toilettes et les douches sont simplement des portes battantes, ce ne sont pas des portes que l’on peut verrouiller. Les chambres sont des portes qu’on ne peut pas fermer, non plus », rapporte l’avocat. « Pour se protéger de leurs co-retenus et ne pas être importunés la nuit, certains fabriquent des cordes avec leurs draps afin de les accrocher aux poignées de porte des chambres », précise Marie-Josèphe Laurent.

« Quand on met vingt personnes qui ne se connaissent pas dans une telle promiscuité pendant 23 heures, cela engendre forcément des violences, appuie Morgan Bescou. On est dans la déshumanisation la plus complète. » « Tout est anxyogène, y compris pour les policiers et les intervenants, complète Jean-François Barre. On a l’impression que la rétention est là pour punir et non pour accueillir des personnes dans l’attente d’un retour au pays. » Or, dans les CRA, qui relèvent d’ « une structure hôtelière », la circulation doit être libre, rappelle-t-il. « Les retenus sont des personnes en attente d’éloignement. Ils ne sont pas là pour purger une condamnation. On ne conçoit pas pourquoi, dans ce cadre-là, on devrait ordonner encore moins de droits qu’aux personnes détenues en prison », ajoute Morgan Bescou, soulignant la durée des séjours qui « peut atteindre 90 jours ».

Fragilité psychique

« Semaine après semaine, on voit l’état des personnes se dégrader. Certains sont en état de décompensation sur le plan psychiatrique », soulève encore la bâtonnière de Lyon. Alors que le gouvernement s’apprête à présenter un projet de loi sur l’immigration, elle préfère avertir : « L’organisation, le fonctionnement, l’architecture du centre ne peuvent en aucune façon servir de point de référence. » Si Gérald Darmanin veut « faire passer un message à l’égard des personnes en situation irrégulière, et peut-être leur couper l’envie de revenir », la « France ne peut pas porter ce genre de message » prévient-elle.

S’abstenant de commenter les critiques, la préfecture du Rhône a indiqué « rester à l’écoute des parties prenantes du CRA qu’elle réunit régulièrement afin de parvenir au meilleur équilibre possible ». « Des aménagements nécessitant des engagements financiers importants ont été récemment réalisés » dans l’espace où se trouvent les services médicaux et administratifs », précise-t-elle à 20 Minutes. Et les effectifs « dédiés à la mission de surveillance » ont également été renforcés.