France

Lyon : A La Duchère, les résidents de la barre Sakharov espèrent que la réhabilitation « ramènera le calme »

Perchée sur les hauteurs du Plateau de la Duchère, elle surplombe la ville de Lyon de façon imposante, tel un monstre de béton. La barre Sakharov est la dernière survivante d’un ensemble de « grands immeubles » construits dans les années 1960 pour répondre à la crise du logement. Une construction qui se résume ainsi : un bloc massif usé par le temps qui s’étire sur 160 mètres de long et quinze étages qui cherchent à tutoyer le ciel. Les 332 logements, autrefois symboles de la modernité, sont devenus de véritables passoires thermiques. Les coursives et les allées, elles, sont investies par les trafiquants de drogue.

Si certains auraient aimé voir la barre disparaître du paysage, la ville de Lyon a fait le choix de la réhabiliter. Pour la seconde fois. Vingt millions d’euros seront, cette fois, mis sur la table. L’objectif est double : améliorer le confort des résidents et chasser les dealers. Dix mois après la fusillade mortelle ayant éclaté au pied de l’immeuble, le chantier vient de démarrer. Il s’annonce d’ores et déjà titanesque. Il s’agira d’isoler l’ensemble des appartements, de construire de nouveaux ascenseurs. Mais pas seulement.

Les coursives fermées

Les trois « miradors », balcons accrochés à la façade de l’immeuble servant de tours de guets, seront retirés et les coursives, condamnées. Un hall d’entrée sera construit pour chacune des dix allées situées rue Sakharov. De l’autre côté, la « galerie », zone de passage avec les boîtes aux lettres, sera transformée en treize nouveaux logements donnant sur le parc. Un joli programme qui inquiète toutefois Adqim.

Appuyé sur sa canne, le septuagénaire à la barbe blanche bien taillée et coiffé d’un élégant feutre, tire son caddie rempli de commissions. « La réhabilitation, c’est une bonne chose car les murs ne sont pas épais et on entend tout chez les voisins, même quand ils posent un verre d’eau sur la table. Mais après les travaux, ils vont nous augmenter le loyer, redoute-t-il en serrant contre lui ses quatre baguettes de pain. Je ne peux pas partir. Et pour aller où ? » Son ami, avec lequel il taille le bout de gras, abonde. « Je suis arrivé d’Algérie en 1962 pour débarquer directement à la Duchère. Ici, on a le soleil, le grand air, glisse-t-il les yeux levés vers le ciel. Je ne veux pas vivre ailleurs. »

L’heure presse. Le vieil homme doit filer à un rendez-vous, indique-t-il en refermant son imperméable beige, tandis que Raphaël Michaud, président de la SACVL [propriétaire de l’immeuble] se veut rassurant. « Il n’y aura aucune augmentation de loyer après le chantier. Et les charges baisseront grâce aux réductions de consommation d’énergie », promet-il.

La barre Sakharov, haute de quinze étages, s'étire sur 160 mètres de long.
La barre Sakharov, haute de quinze étages, s’étire sur 160 mètres de long. – C.Girardon/20 Minutes

« Est-ce qu’on va finir flambés comme des brochettes ? »

La rénovation, « c’est bien », commente sobrement un habitant ayant préféré garder l’anonymat. Sa mère habite dans l’immeuble « depuis cinquante ans ». Lui, depuis dix ans. « C’est bien car ça va limiter le trafic existant qui embête tout le monde au quotidien », rebondit-il à voix basse. « Ici, n’importe qui peut entrer. Ça vient par là ou par là. Les portes sont mal fermées », montre Alagoz qui s’excuse de son Français approximatif.

« On est bien à la Duchère, il y a la verdure mais ce qui ne va pas, c’est la délinquance », appuie à son tour Rachida, rencontrée au pied de son allée. La situation, dit-elle, s’est dégradée depuis que les trafiquants ont pris possession par effraction de logements vacants. « Maintenant, c’est les cambriolages à trois heures de l’après-midi, la kalachnikov qui pète, les tirs de mortier, parfois en pleine journée, résume l’élégante retraitée. Mais vous avez vu ça où ? On va aller jusqu’où ? Est-ce qu’on va finir flambés comme des brochettes ? »

« Les trafiquants ne sont pas de chez nous », assure sa voisine Espérance, âgée de 76 ans. Elle, a été cambriolée en pleine après-midi, le temps d’une course. Des fois, elle voit « les grands costauds » se promener dans les allées. « Ils regardent tout ce qu’ils se passent, ils surveillent », raconte-t-elle avec un fort accent espagnol. D’autres fois, ils sonnent à son interphone « à deux ou trois heures du matin ». « Mais je n’ouvre pas, j’ai peur », confie-t-elle d’un timide sourire. Pourtant, elle dit aimer la Duchère, « ses jardins », et « la belle vue » dont elle profite depuis quarante ans. Alors, elle espère que la réhabilitation « ramènera le calme ». Tout comme Alagoz qui prédit que le changement annoncé sera « mieux pour tout le monde ».

Une lutte « incessante » contre le trafic de drogue

Rachida reste beaucoup plus sceptique : « Un coup de peinture et des belles vitres, je ne sais pas si c’est ça qui réglera le problème. J’espère… Mais je n’y crois pas. » Aujourd’hui, la retraitée ne décolère pas. « J’avais déjà prévenu la SACVL que si les trafiquants s’installaient, on n’allait plus pouvoir les faire partir. Et que ça allait mal finir. Mais ils n’écoutent pas », soupire-t-elle.

Du côté du bailleur, on assure pourtant faire le nécessaire. « Cet immeuble a été conçu comme une souricière. Au quotidien, il est difficile de garantir la sécurité des habitants. C’est pour cela qu’il fallait intervenir et réhabiliter les lieux », répond Raphaël Michaud.

Fabienne Buccio, préfète du Rhône, est toutefois consciente que cela ne réglera pas tous les problèmes. « La lutte contre le trafic de drogue est une lutte incessante, précise-t-elle. Les trafiquants se réadaptent en permanence pour trouver de nouveaux points de deal. Mais si l’on ne travaille pas sur le bâti, sur les actions sociales qui peuvent être menées, si l’on ne s’appuie pas sur les acteurs du quartier, cela n’a pas de sens. »