France

« Les gens ont un rapport effrayé à la justice », selon Marianne Bressy

C’est une grande, très grande maison dans laquelle on n’aime guère être convié. Garante de l’État de droit, la justice nourrit à la fois les plus grands fantasmes et les pires craintes. Érigée pour protéger la population en faisant respecter la loi, l’institution est aussi capable de briser des vies quand elle condamne à tort. Régulée par d’innombrables textes de loi, la justice se révèle trop complexe pour être comprise du grand public. Dans un vocabulaire parfois incompréhensible, elle tente de rendre les décisions les plus justes dans un contexte de manque criant de moyens humains et financiers. Malgré des efforts consentis depuis 2016, la justice française voit son budget s’établir à 72,50 euros par an et par habitant, d’après le rapport de la Commission européenne. Basée sur les données de 2020, cette enquête révèle que les dépenses de justice en France sont inférieures à la moyenne européenne.A commencer par l’Allemagne où elles sont deux fois supérieures.

C’est pour tenter de rendre la justice française plus lisible que le festival Images de justice a été créé à Rennes en 2003. À l’occasion des vingt ans de l’événement, 20 Minutes a rencontré Marianne Bressy, directrice artistique du festival depuis 2011. Cette militante, ancienne organisatrice de rave party, livre un regard à la fois froid et admiratif sur l’institution qu’elle aimerait tant voir évoluer.

Le festival Images de justice s’attaque à un sujet complexe. Pourquoi ce choix de parler de la justice ?

Parce qu’elle régit notre quotidien. On ne s’en rend peut-être pas compte mais tout ce que l’on touche est régi par la loi. Pourtant, on n’apprend absolument pas comment fonctionne la justice. On ne le voit jamais à l’école à moins d’aller en fac de droit, c’est hallucinant. C’est comme une science spécialisée. L’objectif du festival est de désenclaver la justice, de la rendre plus lisible et donc plus compréhensible.

Avez-vous la sensation qu’elle fait peur ?

Oui. Les gens ont un rapport effrayé à la justice. C’est plutôt quelque chose que l’on évite, que l’on soit victime ou coupable d’ailleurs. On n’aime pas y être mêlé alors qu’elle est pourtant écrite pour nous, dans le but de nous protéger. On a l’impression d’une forme de passivité face à elle. Les procès, la prison… Tout ça est mis de côté. Comme si on gérait ça pour nous, sans que nous n’ayons à nous en occuper. C’est comme la politique, cela paraît trop loin de nous, trop éloigné de notre réalité. On a du mal à comprendre, ce qui crée une défiance.

La question de l’erreur judiciaire est aussi dans toutes les têtes, elle fait peur. On a l’impression que la justice est quelque chose de très carré alors que c’est très humain. C’est toujours au juge de décider de l’application de la loi. Dans cet espace entre le juge et le texte, il peut tout se passer.

D’autant que la justice peut s’inviter au cœur de nos vies et de nos secrets.

Elle vient parfois au plus intime. Dans le cadre d’un divorce par exemple, c’est parfois un juge qui s’immisce dans l’intimité de notre couple. On se retrouve face à un parfait inconnu qui ne parle pas notre langue et veut tout savoir de nous : est-ce qu’on boit souvent, quels sont nos revenus ou si on couche encore ensemble. La justice est souvent là où il y a des tensions. C’est elle qui est censée les régler mais c’est parfois illisible.

La plupart des salles d’audience sont libres d’accès. Pourquoi est-ce que personne n’y va ?

Parce que si on n’a pas appris la langue, on ne comprendra rien. C’est long, c’est lent, c’est difficilement compréhensible. Il faut libérer la justice, lui redonner sa citoyenneté. C’est pour cela que la disparition des jurés citoyens est très dangereuse. Le jury d’assise est le seul endroit où le citoyen est en lien avec la peine. C’est le seul moment où le peuple peut dire quelque chose. Les jurés sortent toujours très marqués par ces procès.

Il y a pourtant une fascination pour les faits divers et les grands procès…

On est plutôt là dans le goût du sang. C’est davantage une fascination sur ce que l’humain est capable de faire à un autre être humain.

On évoque souvent la question du manque de moyens. Votre festival a-t-il pour ambition de le dénoncer ?

Nous ne sommes pas là pour dire comment faire. Nous sommes là pour débattre, pour montrer des films, inviter des spécialistes qui invitent à une réflexion. J’ai la sensation qu’on ne se pose la question de la justice que quand on y est confronté. Mais comment ne pas se décourager quand on fait face à une telle lenteur ? Oui nous manquons de juges et oui, ils sont trop mal payés comme les soignants dans les hôpitaux ou les enseignants à l’école. C’est pour ça qu’il y a plus d’avocats que de juges.

Vous intervenez également en prison. Quel regard les détenus portent-ils sur la justice qui les a condamnés ?

Tous les détenus avec qui je travaille sont dans l’incompréhension. Même quand ils ont accepté la peine, ils vous le diront : de justice, il n’y en a pas. La population a l’impression que les condamnés doivent payer pour leur crime. Mais quand on voit le taux de récidive, on peut se dire que ça ne marche pas. Pas plus que les peines alternatives. Même un criminel qui a tué, violé ou volé, on doit en faire quelque chose. La question, c’est quoi ? Est-ce qu’enfermer des criminels dans un endroit peuplé de criminels c’est efficace ? Les SPIP (services pénitentiaires d’insertion et de probation) travaillent beaucoup et font ce qu’ils peuvent mais ça ne marche pas. Peut-être parce que la justice reste trop éloignée de sa population.