France

« Le modèle de réussite unique n’existe plus » assure Alexandre Mars, l’entrepreneur solidaire

Il a créé sa toute première entreprise à 17 ans, avant de fonder l’une des premières agences Web de France. Après avoir revendu plusieurs sociétés à de grands groupes, Alexandre Mars, surnommé l’entrepreneur philanthrope, a décidé de se consacrer à la lutte contre les inégalités, en favorisant notamment la solidarité et le don des entreprises, vers les associations et les ONG. A 48 ans, l’entrepreneur français fourmille encore d’idées et de projets.

Qu’est-ce qui vous a amené à créer Epic, et comment la fondation fonctionne-t-elle ?

Après avoir revendu mes deux dernières entreprises au groupe Publicis et au groupe BlackBerry, je savais que j’allais dédier une partie de ma vie aux autres. Je me suis dit qu’il fallait accompagner les entreprises qui veulent donner davantage, et aider les organismes qui ont besoin d’argent. Comme pour une entreprise, j’ai fait une étude de marché, et apporté une vision entrepreneuriale dans le monde de l’humanitaire qui pouvait parfois en manquer.

C’est très important que ces associations soient « challengées » au même titre qu’une entreprise, surtout au regard de la méfiance qu’il y a parfois autour du don, non ?

Chaque fois que j’allais voir des entreprises pour leur demander pourquoi elles ne faisaient pas plus, très souvent elles me répondaient qu’elles n’avaient pas confiance, ou alors qu’elles n’avaient ni le temps ni la connaissance. Du coup, elles faisaient le minimum. Je leur ai dit qu’on allait leur redonner confiance en analysant ces ONG, avec 45 critères de sélection.

Vous avez aussi créé un fonds d’investissement, Blisce, dans lequel les notions d’engagement, de responsabilité, sont prises en compte. Les entreprises vont-elles devoir être de plus en plus responsables ?

Le monde a beaucoup évolué ces dernières années, avec en plus une accélération due au Covid. En 2018, dans mon livre La Révolution du partage, j’expliquais déjà qu’une entreprise aurait de plus en plus de mal à embaucher et à vendre ses produits si elle ne mettait pas du sens dans sa démarche. La notion de finance positive paraissait encore incongrue il y a quelques années, mais, aujourd’hui, je suis convaincu que la finance a un rôle majeur à jouer, c’est ainsi que nous sommes devenus le premier fonds d’investissement B Corp en Europe [certification accordée aux entreprises répondant à des exigences sociétales et environnementales]. Chaque personne qui travaille chez Blisce doit reverser 20 % de ses bonus, et doit donner 5 % de son temps tous les mois. Et ils le font avec un énorme plaisir. Nous avons soutenu un certain nombre d’entreprises, comme Too Good to Go [appli contre le gaspillage alimentaire], dans cette perspective de finance positive.

C’est d’autant plus essentiel avec la jeune génération accorde une grande importance à ces valeurs, au sein même de l’entreprise ?

Oui, mais il n’y a pas que les moins de 30 ans, on voit qu’il y a aujourd’hui des remises en question des quadras, des quinquas, etc. Ils se demandent si ce qu’ils font depuis vingt ans a encore du sens, s’ils doivent continuer à habiter les grandes métropoles. Il y a dix ans, réussir, c’était habiter dans les grands centres urbains, avoir une voiture de fonction, un bureau d’angle, etc. On a grandi avec ce type de pensées. Aujourd’hui, le modèle de réussite unique n’existe plus. Pour certains, l’essentiel est d’être chez soi à 18 heures pour s’occuper des enfants, pour d’autres, c’est d’habiter un coin tranquille à la campagne. Pareil pour l’entrepreneuriat, tout ne se joue pas à Station F à Paris.

Vous dites aussi qu’aujourd’hui, c’est également le consommateur qui décide…

Nous pouvons décider avec notre carte bleue. Nous pouvons décider quelle entreprise va réussir ou pas. Regardez ce que fait « C’est qui le patron ? » [marque de consommateur qui « rémunère les producteurs au juste prix »]. En 2016, des gens se sont dit qu’on allait payer correctement les producteurs agricoles laitiers, et, aujourd’hui, ils sont devenus la première marque de lait vendue en France. Pourquoi ? Parce que des consommateurs se disent qu’il vaut mieux mettre en avant ce type d’entreprises, en acceptant de payer un euro [1,27 euros exactement] le litre de lait [dont 54 cents va directement au producteur]. La base peut avoir des impacts considérables sur des évolutions de société.

J’ai dit aux entreprises qu’on allait leur redonner confiance en analysant ces ONG, avec 45 critères de sélection. »

Comment pensez-vous que le rapport au travail évoluera dans les prochaines années ?

Il y a une crise de l’emploi, avec une tension sur certains postes, et c’est aux salariés d’imposer le type de société qu’ils veulent. Je fais évidemment une différence entre ceux qui peuvent se permettre de choisir, et ceux qui n’ont pas le choix de leur travail, mais ce mouvement traverse toutes les catégories. Regardez ce qu’il se passe dans l’hôtellerie-restauration : à la faveur du Covid-19, il y a une remise en cause générale d’un statu quo.

On sent une envie forte chez les jeunes de se lancer dans l’entrepreneuriat, d’être leur propre patron. Quels conseils leur donneriez-vous ?

Il ne faut pas attendre la grande idée : il y a une différence entre entrepreneur et inventeur. On se met une pression extrême si on attend d’avoir l’idée d’Elon Musk. Sur les six entreprises que j’ai montées, une seule reposait sur une véritable innovation qui n’existait pas avant, pourtant, les cinq autres ont aussi eu du succès. Après, il y a une notion de travail : j’ai rarement trouvé des gens qui réussissaient sans avoir beaucoup travaillé, aussi bien le boulanger que le start-uppeur. Enfin, il faut faire une réelle étude de marché, il faut être une éponge, passer du temps avec les gens pour savoir si son produit est adapté au marché… Quand les gens se plantent, c’est qu’ils imaginaient quelque chose qui n’était pas adapté au marché.

Quel sera votre prochain projet ?

Je travaille sur un projet de lutte contre l’inégalité des chances. Celle-ci est criante à deux moments de la vie : à la naissance, et on n’y peut pas grand-chose, et à la fin du lycée, car, selon les moyens de ses parents, ou l’endroit où l’on habite, un jeune aura accès aux études qu’il souhaite faire, ou pas. Et quand on n’a pas les moyens, on a une tendance à se fermer, à ne même pas essayer. Mon nouveau projet va travailler sur l’accès du plus grand nombre aux grandes écoles, quand ils en ont les capacités intellectuelles et qu’ils le méritent. C’est cela, la méritocratie.