France

« Lambert contre Lambert » : Le vrai visage de Vincent, derrière « l’affaire »

« Vincent Lambert est mort, après dix ans de bataille judiciaire », titrait 20 Minutes le 11 juillet 2019 alors que « l’affaire Lambert », au cœur des débats sur la fin de vie, a divisé la France pendant plus d’une décennie. Le nom de Vincent Lambert, infirmier psychiatrique de 32 ans, lourdement handicapé après un accident de la route en 2008, a peu à peu été vidé de son humanité, vampirisé par l’affaire qui en a découlé. La série documentaire Lambert contre Lambert, au nom de Vincent, disponible sur Apple + ce mercredi, apparaît comme une tentative de réparation, remettant cet homme au centre. Qui était Vincent Lambert avant l’affaire du même nom ?

La série de quatre épisodes revisite cet accident de la vie au cœur d’un combat entre deux clans qui a peu à peu invisibilisé Vincent. Près de trente témoins – proches, familles, médecins, hommes politiques – ont été interrogés pour offrir le regard le plus précis et le plus objectif possible de ce qui s’est joué pendant ces dix ans. Mais, au-delà du débat public sur la fin de vie et des déchirements familiaux qui ont défrayé la chronique, le documentaire signé Elodie Buzuel et Vincent Trisolini présente un Vincent Lambert humain, fêtard et complexe. Un homme qui brûlait la vie par les deux bouts et qui, malgré la naissance de sa petite fille, âgée de deux mois lorsqu’il est victime de son accident de voiture, ne se voyait pas vieillir.

Grâce aux archives familiales, on rencontre un homme toujours prêt à déconner, un mari complice, heureux de sa maison dans un patelin de 600 habitants avec son chat et sa petite fille. On découvre sa voix, son humour caustique, sa personnalité et ses fêlures. « On avait plein d’excuses pour faire la fête, je dirais qu’on faisait sûrement une fête toutes les semaines, […] on partageait le côté festif d’étudiants dont on a bien abusé », raconte Benoît Meric, son ami de l’école d’infirmier dans le documentaire. « Vincent c’est quelqu’un de sympathique, de très vivant, décrit Vincent Caruel, un autre ami d’école. Il était toujours prêt à faire la fête, il abusait peut-être parfois un peu plus que les autres, c’était sa façon à lui d’être pleinement vivant. » Et, derrière son humour corrosif, à contre-courant de son éducation catholique traditionaliste, ses proches évoquent une part plus sombre.

« Une vie intense, sans concession »

« Vincent avait le goût du risque, la fureur de vivre », décrit son épouse Rachel Lambert. Il « était à la recherche de choses qui le poussaient à aller très très vite, en ski, très très vite, en voiture », explique sa demi-sœur Marie-Geneviève, au point que beaucoup de gens avaient peur de monter en voiture avec lui. « Il a un côté très « je contrôle » et effectivement il n’a jamais d’accident, mais la conduite est périlleuse », confirme son neveu François dont il était très proche. Il aimait « vivre avec une très grande intensité sur les moments à vivre, comme si c’était les derniers », note sa sœur Marie. Et l’accident dont il est victime en 2008 pose question. Aucune trace de freinage n’a été retrouvée sur les lieux, une route toute droite qu’il empruntait pourtant plusieurs fois par jour. Que s’est-il passé ?

« Il y a de la vitesse, il y a un accident avec des tonneaux. Il y a un choc cinétique avec une expulsion du véhicule qui fait que Vincent Lambert va tomber dans le coma instantanément », détaille Elodie Buzuel, créatrice et coréalisatrice du documentaire. Mais la série ne parvient pas à dissiper le mystère. « On a voulu rendre la vérité de cet homme ainsi que les zones qui restent mystérieuses », poursuit-elle.

Faut-il penser qu’il a provoqué cet accident ? Les membres de sa famille n’écartent pas complètement cette hypothèse. « Les témoignages de ses proches concordent, ils racontent tous que Vincent Lambert traînait un mal-être né de ses blessures d’enfance et qu’il l’exprimait en menant une vie intense, sans concession, dont il aimait explorer les limites, analyse Elodie Buzuel. Il y a quelque chose qui plane au-dessus de cet homme toute sa vie. Et sa femme en témoigne. Elle dit : « Vincent pensait qu’il allait mourir jeune ». »

Un docu intimiste et émouvant pour un sujet hors-norme

Sans jamais verser dans l’impudeur, le documentaire évoque l’agression sexuelle dont Vincent a été victime à l’âge de 9 ans par un prêtre de la Fraternité Saint-Pie X, une communauté traditionaliste à laquelle appartenaient ses parents. Un traumatisme qui pourrait expliquer en partie ses fragilités. « Je sais qu’il a des choses qui le rongent, auxquelles il pense tout le temps », souligne Rachel Lambert. Cet épisode de son passé est notamment évoqué par le clan de son épouse – en faveur de l’interruption des traitements – pour faire valoir le refus de soin lié à la mémoire du corps traumatique. « Il était important qu’on puisse aussi, par cette histoire, éclairer ce que pouvait être la vie de ce corps, insiste Me Sara Nourdin, avocate de Rachel Lambert. Il y a une forme de violence, à la lecture de cette histoire, qui est infligée à ce corps. »

Ces quatre épisodes reconstituent avec beaucoup de justesse onze ans de débats sur la fin de vie qui ont pris d’assaut la chambre du CHU de Reims. Comment a-t-on pu oublier que derrière ce nom, Vincent Lambert, il y avait un individu ? Lambert contre Lambert tente d’expliquer comment ce fait divers banal a créé un tel brouhaha médiatique. Un documentaire aussi intimiste et émouvant que son sujet est hors-norme.