France

La gauche anti-Nupes, de qui parle-t-on ?

Il y a plus de neuf heures de route pour aller de Rouen à Foix en voiture. Douze heures en train, même. Mais Nicolas Mayer-Rossignol, maire de la capitale normande et principal opposant à Olivier Faure au PS, n’a pas hésité à faire le déplacement, dimanche, pour constater le triomphe de la candidate socialiste dissidente lors de la législative partielle en Ariège face à la sortante insoumise. Martine Froger a devancé de vingt points Bénédicte Taurine, élue en 2017. Tout ce que la gauche – et un peu au-delà – compte d’opposants à la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), et surtout de la France insoumise (LFI), s’est félicité de cette élection.

Mais toute cette gauche-là, c’est qui ? Pas mal de monde à l’intérieur du PS : Carole Delga, la présidente PS de la région Occitanie, Anne Hidalgo, la maire PS de Paris, et leur courant Refondations sont depuis le début très critique vis-à-vis de la stratégie d’alliance avec LFI dans la Nupes. Il y a aussi le courant resté fidèle à l’héritage du quinquennat de François Hollande, autour de l’ex-ministre Stéphane Le Foll, notamment. A l’extérieur du PS, l’ancien premier ministre Bernard Cazeneuve a fondé La Convention, « moins qu’un parti mais plus qu’un club », qui a vocation à « structurer la gauche de gouvernement ». Une initiative très suivie par le Parti radical de gauche de Guillaume Lacroix.

Agapes

Une bonne partie de cette troupe s’est récemment retrouvée lors d’un dîner avec François Hollande, révélait Le Journal du dimanche fin mars. Avec comme perspectives un meeting fin mai et des assises en fin d’année. Bref, la gauche anti-Nupes tente de s’organiser pour défendre une « gauche de gouvernement », encore elle. Sur le fond, Cazeneuve la définit en quatre points : une gauche « attachée au multilatéralisme et viscéralement au projet européen, mais pas tel qu’il fonctionne » ; une gauche « du respect démocratique, de l’Etat de droit et du respect tout court : républicaine » ; une gauche de « l’efficacité économique et la justice sociale », pour qui « le quoiqu’il en coûte ne peut pas tenir éternellement » ; enfin, une gauche qui se prépare « à la grande mutation environnementale et écologie » mais qui « ne croit pas à la décroissance ».

La question du rapport à la République et à la laïcité revient souvent chez les anti-Nupes pour se distinguer de LFI, comme pour faire renaître les « gauches irréconciliables », théorisées à la fin du quinquennat Hollande par Manuel Valls. Pourtant, ils sont nombreux à l’affirmer : ils sont pour l’union de la gauche. Mais pas celle-là. « Le vrai débat, c’est quel est le rassemblement gagnant ? demande Nicolas Mayer-Rossignol. Celui qui permet de faire barrage à l’extrême droite ? Pour ça, je pense comme Fabien Roussel que la Nupes est dépassée. » 

C’est clair : c’est pas clair

Les anti-Nupes du PS ne veulent pas d’une union dominée par LFI. Mais disent-ils oui à une union avec LFI ? On n’est toujours pas sûr d’avoir compris. Sur le papier, oui : « Evidemment qu’on ne peut pas faire sans, disait un des leaders de Refondations pendant la campagne du congrès socialiste. On ne peut pas être pour l’union et dire  »oui, mais pas avec celui-là ».  On le fait dans nos collectivités ! » Limpide. Dans les faits, Nicolas Mayer-Rossignol et Anne Hidalgo gouvernent leurs villes avec les communistes et les écologistes, mais pas les insoumis. Carole Delga, en Occitanie, a refusé de fusionner avec les listes EELV et LFI pour le second tour des régionales en 2021.

Et puis les termes utilisés pour qualifier LFI ne posent pas une base de négociation sereine : « Cette gauche de l’outrance, qui traite des ministres d’assassins, pas claire sur l’Europe, les violences et la laïcité », cingle le maire de Rouen. Dans l’entourage de Bernard Cazeneuve, on semble même obnubilé : « Mélenchon, c’est un leader vociférant. Le cynisme à l’état pur. Il n’y a pas de sincérité chez lui », dit un de ses proches. Guillaume Lacroix, lui, assume le fait que ce qui est proposé aux partis de gauche « est forcément un retournement d’alliance », sans le parti dominant.

« Une blague »

A la Nupes, on se gausse – et on s’indigne – de cette gauche qui passe plus de temps à taper sur elle que sur le gouvernement et l’extrême droite, en pleine bataille sur les retraites. « Les gens qui n’ont pas l’humilité de l’autocritique, ça ne m’interesse pas. Je ne vois pas l’espace qu’ils peuvent avoir », analyse un écologiste, estimant que l’électorat de gauche déçu par Emmanuel Macron a déjà été récupéré et que ce sont « les électeurs qui ne votent plus depuis Hollande qu’il faut aller chercher ». On met aussi en garde contre la division : « Si on casse la Nupes, on casse la possibilité pour la gauche d’avoir 151 sièges. Sans, Emmanuel Macron aurait eu sa majorité et la réforme des retraites serait largement passée », assure Olivier Faure, le premier secrétaire du PS.

Bernard Cazeneuve a lui droit à de nombreuses piques de Jean-Luc Mélenchon et des siens. Mais les socialistes ne sont pas en reste : « Quand j’ai entendu qu’il voulait  »créer un mouvement contre le bruit », je pensais que c’était une blague, s’amuse un cadre du parti. Un truc pour les gens qui habitent à côté d’une autoroute ! C’est une bulle spéculative, Bernard Cazeneuve, ça ne parle qu’à des socialistes qui regrettent le temps de l’hégémonie. » Le même doute de l’unité des anti-Nupes, qui auraient chacun leur ambition présidentielle personnelle.Sans compter que les conditions posées par Fabien Roussel à des discussions avec Bernard Cazeneuve sont assez éloignées de sa ligne.

Vrai sujet

Les anti-Nupes ont le mérite de poser la question – pas nouvelle – de l’efficacité de la radicalité des insoumis, sur le fond comme sur la forme. N’est-elle pas contre-productive, jusqu’à mobiliser contre elle, comme en Ariège ? Chez les partenaires de LFI, on considère que c’est un cas particulier, mais on reconnaît que la question se pose si la Nupes veut un jour être majoritaire. « La crédibilité est notre prochain sujet, croit Cyrielle Châtelain, présidente du groupe écologiste. On doit montrer qu’on est en capacité de gouverner. » « Il y a un vrai problème avec leurs provocations. Avant, ils nous écoutaient un peu, mais maintenant, ils sont dans une forme d’autoradicalisation », déplorait il y a peu un socialiste.

Être revenu deux fois de suite du diable Vauvert pour faire des scores canons au premier tour de la présidentielle ne doit pas inciter LFI à la modestie stratégique. D’autre part, l’échec des candidats de la « gauche de gouvernement », expression préférée d’Anne Hidalgo pendant la campagne de 2022, n’a semble-t-il pas questionné les ambitions des intéressés. Les électeurs et électrices de gauche ont, lors des deux dernières présidentielles, largement placé en tête Jean-Luc Mélenchon. La première fois, c’est peut-être un accident. La seconde trace peut-être une ligne. Et ne tenir aucun compte de cette réalité dans l’électorat de gauche – quand bien même l’effet du « vote utile » a été important – paraît risqué. Dans les derniers sondages d’intentions de vote aux législatives, cette option oscille entre 3 et 5 %. Loin de la Nupes, entre 25 et 26 %.