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« Il faut découvrir le Fernandel dramatique » : Pour son petit-fils, Vincent, le comique vieillit plus mal

Il est des rires qui signent une identité. Celui de Vincent Fernandel, le petit-fils de Fernandel, sonne tout de suite familier à l’oreille quand il s’amuse de cette formule, liée à la date anniversaire du 8 mai 1903 : « Il aurait eu 120 ans ». « Comme s’il avait pu les atteindre, s’il avait mangé un peu moins de viande ou autre ! », enchaîne-t-il au téléphone depuis Paris, où il vit désormais et travaille comme conteur, producteur et éditeur musical. Les « commémorations » ou « les tournées de gâteau d’anniversaire », très peu pour lui. En revanche, oui, retrouver le public au cinéma L’Eden à La Ciotat, comme il l’a fait dimanche pour une projection de L’Auberge rouge, parler de films, témoigner d’une époque, « c’est gai, c’est joyeux ». Et c’est la façon dont il veut transmettre la mémoire de son grand-père.

Comment parleriez-vous de Fernandel à un public qui ne le connaîtrait pas ?

Je vais vous donner un exemple. J’ai dirigé une école de théâtre et la plupart des jeunes élèves savaient qui était Fernandel, mais rares sont ceux qui avaient vu ne serait-ce que deux ou trois de ses films. Et c’est normal, il n’y a rien d’infamant à cela. Je sais très bien qu’à un moment donné le temps passe et qu’on ne peut pas être et avoir été, même si on s’appelle Fernandel. Aller aux projections qui rendent hommage à mon grand-père me permet de le faire découvrir à un public qui souvent connaît mal sa carrière Et évoquer un acteur, c’est une bonne occasion de parler également du cinéma en général.

Parlons d’abord cinéma ! Quelle est pour vous la meilleure porte d’entrée pour découvrir son œuvre, qui compte 148 films ?

Je dirais qu’il faut commencer par les films qu’il a tournés avec Marcel Pagnol. C’est grâce à lui que le public s’est rendu compte, et mon grand-père le tout premier, qu’il était plus qu’un comique, un grand acteur. Il y a aussi les films d’Henri Verneuil. Ils en ont fait huit ensemble dans les années 1950, dans différents registres. Le Fruit défendu est l’un des films qui m’a le plus marqué. Mon grand-père y joue un médecin, honorable homme de famille, qui tombe amoureux d’une jeune femme. Cela bouleverse sa vie. Dans ce film, Fernandel est d’une humanité absolue. Et c’était intéressant comme choix de carrière. Déjà avec cela, un peu de Don Camillo et L’Auberge rouge de Claude Autant-Lara, avec lequel il n’a collaboré qu’une fois, on a un essentiel de Fernandel assez solide.

Nous ne sommes pas vraiment dans le registre comique…

Je comprends tout à fait que les gens aiment le Fernandel comique. Mais il vieillit moins bien que dans le drame. Dans les années 1950, mon grand-père le disait lui-même : les films comiques des années 1930, c’est beaucoup moins drôle car on a changé de manière de jouer, l’écriture a évolué aussi. Le drame parle de l’intérieur de l’humain, qui lui ne change pas. C’est pour cela que je dirais aujourd’hui : découvrez le Fernandel dramatique. Parce qu’il est très bon là-dedans et que les films restent d’actualité. Comme Don Camillo qui repasse à chaque fois parce qu’il a résisté au temps. C’est d’abord une coproduction franco-italienne, nous sommes donc dans cette veine du cinéma italien social. Don Camillo, c’est un film politique, pris sur le ton de l’humour, mais qui raconte un rapport entre deux personnages aux idées très différentes. La politique contre l’église, c’est un sujet qui restera toujours d’actualité. C’est pour cela que ce sont des films qui résistent au temps. Après, si cela fait rire les gens tant mieux. Je ne dis pas qu’il ne faut pas regarder La Cuisine au beurre, même si je trouve que c’est un film très surestimé.

Comment Fernandel est-il devenu cet artiste si populaire ?

C’était d’abord un Marseillais, un vrai méridional qui a été élevé dans une famille nombreuse et qui est parti de rien. Son père, Denis, était comptable le jour et allait chanter le soir dans les cafés-concerts. C’est là que Fernandel a découvert le monde du spectacle et s’est pris d’amour pour les chansonniers, les comiques troupiers. Il est monté sur scène très jeune. A l’époque, on devenait vedette dans sa ville, dans sa région, et puis on montait à Paris. Comme Gabin, comme Montand, il a commencé par le music-hall. Devenu célèbre, il déclenchait des émeutes quand il sortait, il en était le premier étonné. « Mais pourquoi on ne me laisse pas acheter mon pain ? », disait-il. Ce n’était pas un mondain. Il aimait plus que tout le calme et le repos chez lui. Et adorait partir pêcher à 5 heures du matin, pour être tranquille. C’était un excellent pêcheur.

Que reste-t-il de Fernandel à Marseille ?

Il ne reste rien du tout. Le buste devant son lieu de naissance… je ne connais pas le sculpteur et ne veux pas être blessant, mais il est très à côté de la plaque il me semble. Au musée d’Histoire, il y a très peu de choses sur Fernandel. Dans l’absolu, je me fiche qu’il ne reste rien de concret. Je n’ai pas l’esprit muséal. A la mort de mon père Franck Fernandel, qui était chanteur, nous avons d’ailleurs trouvé préférable de vendre la maison familiale car, pour nous, c’était une page de vie qui se tournait. Mais je trouve dommage que rien ne soit fait dans cette ville pour transmettre cette mémoire. Je ne suis pas en train de me faire le défenseur de Fernandel, mais de toute une culture qu’on ne défend plus. Je pense par exemple à Jean-Claude Izzo. Qui parle de lui à Marseille aujourd’hui ? Alexandre Toursky a laissé son nom à un théâtre, mais qui le connaît ? Je suis méridional, je suis né dans cette région, mais on est passé de la culture au folklore. La ville de Marseille n’a certes jamais rien fait, mais nous-même, la famille, n’avons pas été proactifs sur la question. Parce que ce n’est pas dans notre ADN, contrairement à Nicolas Pagnol qui, lui, fait un travail de mémoire exceptionnel sur l’œuvre de son grand-père. Mais les initiatives viennent globalement de lui. Les choses, ceci dit, il fallait les faire il y a 20 ou 30 ans, quand il y avait encore de l’argent pour la culture. La ville de Marseille a bien d’autres priorités aujourd’hui que de se préoccuper de cette mémoire-là, et je le comprends très bien.