France

Expo à Paris : « Les félins ? On ne les connaît pas aussi bien qu’on le pense »

Non, il n’y en aura pas que pour le chat domestique, le tigre ou le lion… Car ce sont les 38 espèces des félins qui sont à l’honneur, à partir de ce mercredi et jusqu’au 7 janvier 2024, dans la grande galerie de l’Evolution du Museum national d’histoire naturel. C’est la grande exposition du printemps du musée parisien.

Et si les félins sont l’une des familles de mammifères les plus représentées dans les films et les livres, « en réalité, ce sont souvent les mêmes images et informations qui circulent », pointe Géraldine Véron, professeure au Muséum, spécialiste des carnivores et commissaire de cette exposition. Félins fait alors le pari de nous apprendre un maximum de choses sur nos animaux préférés. Interview.

Qu’est-ce qui a poussé le Muséum à faire sa grande exposition du printemps sur les félins ?

Nous avons acquis récemment beaucoup de spécimens naturalisés de félins, que nous avions fait faire par nos taxidermistes ou obtenus via un partenariat avec le parc des félins à Lumigny (Seine-et-Marne). Nous nous sommes ainsi retrouvés avec une collection de 80 naturalisations et de dix squelettes dynamiques. Dont des spécimens très récents, jamais montrés et dans des postures très intéressantes. Comme ce jaguar que nous avons récupéré récemment en Guyane, malheureusement fauché par une voiture alors qu’il était en position d’attaque. Ou ce caracal, un félin d’Afrique et d’Asie, capable de capturer des oiseaux en vol. Il a justement été naturalisé en position de saut.

Ces naturalisations sont utiles à la recherche scientifique mais sont également un très bon moyen de faire connaître les félins au grand public. C’est sans nul doute l’une des familles de mammifères les plus représentées dans les livres et les films, et le chat rivalise désormais avec le chien comme animal préféré des Français. Pour autant, nous ne connaissons pas les félins aussi bien que nous le pensons.

Qu’est-ce qu’on ne sait pas, ou moins, à leur sujet ?

Déjà, leur très grande diversité. La famille des félins regroupe 38 espèces, dont une grande partie totalement méconnue du grand public. Et encore, 38 est un chiffre qui fait débat. Certaines classifications grimpent jusqu’à 41 en intégrant certaines découvertes récentes. Une étude de 2007, par exemple, tend à montrer que les panthères nébuleuses vivant sur les îles indonésiennes de Sumatra et Bornéo constituent une espèce différente de celle vivant dans le reste de l’Asie du Sud-Est. Le chat bai de Bornéo, lui, n’a été photographié pour la première fois à l’état sauvage qu’en 1998, et on ignore encore quasi-tout de lui.

C’est cette diversité que nous voulons montrer. Pas seulement d’espèces, d’ailleurs. On trouve aussi toutes les morphologies chez les félins, des plus petits d’à peine 1 kg aux tigres de Sibérie, dont les mâles dépassent les 300. Leurs modes de vie et leurs spécialisations aussi sont très variées et font d’ailleurs que cette famille a conquis presque tous les continents, des déserts aux forêts tropicales.

L'exposition "Félins" au Muséum national d'histoire naturelle est construite autour de 80 naturalisations et dix squelettes dynamiques comme ceux-ci.
L’exposition « Félins » au Muséum national d’histoire naturelle est construite autour de 80 naturalisations et dix squelettes dynamiques comme ceux-ci. – @MNHN

Une diversité au plus mal aujourd’hui ?

C’est un autre point sur lequel nous voulons insister. On les voit peut-être partout à la télé ou dans les livres. Il n’en reste pas moins que près de la moitié de ces 38 espèces sont dans les catégories les plus menacées établies par l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN). Comme de nombreuses autres familles d’espèces, et bien que protégées par des conventions internationales, les félins font face à la destruction de leurs habitats naturels, la chasse, le braconnage, les conflits avec les éleveurs… Les jaguars, par exemple, n’occupe plus que 51 % de leur zone de répartition historique. Les tigres, eux, ont perdu plus de 93 % de leur territoire.

Et pas besoin de prendre des exemples aussi loin. L’exposition parle beaucoup aussi du sort du lynx d’Eurasie, chez nous, que peu de Français connaissent. Il avait entièrement disparu au début du XXe siècle avant d’être réintroduit dans les années 1970 dans les massifs forestiers de l’Est de la France. Mais les populations restent très fragiles, en raison des collisions routières, la fragmentation de leur habitat, la chasse illégale…

Dans cette exposition, il y a toute une partie consacrée aux techniques de chasse des félins… Sont-ils les prédateurs hors pair que l’on décrit souvent ?

D’un côté, ils ont des corps d’athlètes, façonnés au cours du temps pour être totalement adaptés à leurs techniques de chasse. De leurs squelettes à leurs muscles pectoraux, qui fonctionnent comme des ressorts et absorbent leurs sauts, en passant par leur oreille interne, qui leur permet de se retourner lorsqu’ils chutent sans être désorientés, ou leurs griffes rétractiles, pour avancer discrètement vers leurs proies.

Pour autant, le succès n’est pas toujours au rendez-vous. Malgré sa pointe de vitesse à plus de 100 km/h, le guépard a un taux de succès de ses attaques de 37 % face aux gazelles. Et même lorsqu’il a capturé sa proie, la dépense d’énergie a été telle qu’il n’est pas rare qu’exténué, il se la fasse chiper par des hyènes ou des lions. Et c’est un peu pareil pour bon nombre de félins. Y compris le lion, dont seul 11 % des attaques sont couronnées de succès face aux zèbres, par exemple. Ce ne sont donc pas les prédateurs tout puissants qu’on imagine. Bien souvent, les grands félins ne mangent pas tous les jours, ce qui est une autre prouesse de leurs anatomies. Ils ont système digestif qui leur permet d’ingurgiter une dizaine de kilos de viande en une prise entre deux périodes de disette.

Même dans notre rapport aux félins, en particulier au chat domestique, cette exposition a beaucoup à nous apprendre ?

Totalement. Les deux derniers espaces de l’exposition reviennent sur ces points à travers une cinquantaine de pièces d’anthropologie et d’archéologie, prêts de grands musées parisiens. La première salle aborde les liens anciens et solides qui unissent les hommes aux félins, en remontant aux premières divinités mésopotamiennes ou égyptiennes. L’autre revient sur les tentatives de domestication des félins à travers les âges et cultures et accorde une large place au chat domestique. Là encore, dans ce domaine, on continue d’apprendre.

Nous reconstituons par exemple la « sépulture au chat » de Shillourokambos, découverte à Chypre en 2002. Dans cette tombe d’un jeune homme, vieille de 9.500 ans, a été découvert le squelette entier d’un chat. Des analyses poussées ont montré que l’animal avait connu une croissance plus forte que ses congénères et avait été mieux nourri, vraisemblablement par l’homme. Cette découverte a ainsi fait reculer de plusieurs millénaires l’âge des premières domestications, bien avant celles, égyptiennes, d’il y a 5.700 ans.