France

Entre théories fumeuses et vérités historiques, pourquoi les Templiers continuent-ils à nous fasciner ?

Elles avaient réuni 50.000 spectateurs en 2014. Passées à la trappe, malgré cette affluence record, sous la précédente municipalité et pendant les années Covid, les reconstitutions historiques de « Biot et les Templiers » sont de retour, neuf ans après. Tout ce week-end, cette commune des Alpes-Maritimes limitrophe d’Antibes, plus connue pour ses souffleurs de verre que pour son passé de commanderie, va multiplier les animations : spectacles équestres, de rapaces, affrontements de chevaliers, artisanat, concerts et musiques médiévales, défilé aux flambeaux, etc. « Et l’attente était très grande, souffle la conseillère municipale Christine Pélissier-Tabusso. Car cette partie de l’Histoire et ses légendes font toujours rêver le public. »

Sept siècles après sa dissolution, l’ordre des Templiers continue en effet à être un objet de fascination. Mais alors comment l’expliquer ? Au-delà de leur supposé trésor et de leur aura de « société secrète », « c’est sans doute la fin dramatique des Templiers qui suscite cet intérêt, comme ça a été le cas pour Jeanne d’Arc et les Cathares », théorise l’auteur Arnaud Baudin, docteur en histoire médiévale.

« Une cause injuste à venger »

Accusé par le roi Philippe IV le Bel de s’être dévoyé, et entre autres choses d’hérésie et de comportements sexuels déviants, le groupement militaire et religieux fondé en 1129 est officiellement supprimé le 22 mars 1312 par le pape Clément V. Ses membres et chevaliers, chargés de protéger les pèlerins dans le contexte de la Guerre sainte et des Croisades, sont emprisonnés à vie ou condamnés à mort à l’issue de « l’un des plus grands procès historico-politique », rappelle le maître de conférences Philippe Josserand.

« Il s’est joué à charge uniquement, explique aussi le spécialiste, coauteur avec Arnaud Baudin du livre à paraître Les origines du temple. Les crimes d’hérésie évoqués ne reposaient sur rien du tout. Tout ça a entraîné toute une aura de fascination, une cause injuste à venger. » « Ce qui passionne certainement aussi, c’est cet aspect un peu complotiste du pouvoir royal contre des minorités », avance également son confrère.

Déclaration prophétique et malédiction

Jacques de Molay, le dernier maître de l’ordre, brûlé vif en mars 1314 sur l’Île de la Cité, est le plus connu de ces accusés. Notamment pour ses mots prononcés (ou supposément prononcés) sur le bûcher. Selon la littérature de l’époque, il souffla : « Dieu sait qui a tort, qui a péché. Il va bientôt arriver malheur à ceux qui nous ont condamnés à tort. » Une déclaration prophétique. Le Saint-Père disparaît un mois plus tard. Le roi succombe en septembre de cette même année. De quoi exciter certaines croyances.

Encore jusqu’à aujourd’hui. « D’autant plus que beaucoup d’entre nous ont lu Les Rois maudits, poursuit Arnaud Baudin, où Maurice Duron reprend l’idée d’une malédiction supposée », inventée par l’historien italien Paolo Emilio. « Vous serez tous maudits jusqu’à la treizième génération », aurait ainsi déclaré le supplicié.

Les Templiers, ces « icônes pop »

Une force occulte parmi autant de théories souvent des plus fumeuses qui ont fini par propulser les membres de l’ordre, dont la franc-maçonnerie serait l’héritière, au rang « d’icônes pop », affirme même l’auteure et historienne italienne Simonetta Cerrini. Présents au cinéma, dans des BD et des jeux vidéo (Assassin’s Creed notamment), ils sont devenus « un fait culturel », explique-t-elle. « Ils ont aussi aiguisé un intérêt politique, dans certains milieux extrémistes comme avec le terroriste Anders Behring Breivik, en Norvège, et un intérêt criminel, expose la spécialiste. Au Mexique, un cartel de narcotrafiquants actif entre 2010 et 2017 s’est fait appeler les Chevaliers templiers. »

« Ils ont suscité beaucoup de fantasmes qui ont occulté leur réalité, poursuit l’autrice du livre Le dernier jugement des Templiers (Flammarion). En fait, l’ordre des Templiers était très novateur dans le contexte de l’époque, pour ce qui est de la spiritualité et des pratiques de la société. »