France

Energie : Arnaud Crétot, le boulanger qui cuit son pain au soleil de Normandie

« Ça me désole mais, en même temps, notre système énergétique est condamné dans le temps. » Arnaud Crétot n’est pas si étonné des difficultés que connaissent de nombreux boulangers face à l’envolée des prix de l’énergie. Leurs fours, pour la plupart électriques et fonctionnant une grande partie de la journée, ont fait bondir leurs factures « par deux, quatre, six voire dix », s’affolait en début d’année la Confédération nationale de la boulangerie française.

Arnaud Crétot est aussi boulanger. À Montville, 10 km au nord de Rouen. Mais lui n’a pas vu ses factures flamber, et la raison trône au fond de son jardin, là où il a installé son atelier et son four solaire… Oui, oui, en Normandie.

Possible même à Rouen

Imposante, la machine n’en est pas moins low-tech. Pas d’électronique embarqué, pas de bouton à actionner. Juste un four et, lui faisant face, 69 miroirs en verre alignés sur 11 m². Ils sont montés sur roues, pour suivre le soleil, et orientés de manière à réfléchir ses rayons vers la vitre du four. « Et ça chauffe très vite, à la même puissance qu’un four boulanger classique, assure-t-il. En Normandie, on peut cuire environ 110 kg de pain les jours ensoleillés d’hiver, et 240 kg l’été. »

Seule contrainte, ce four ne s’allume pas à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, mais seulement quand l’ensoleillement est suffisant. C’est tout le pari d’Arnaud Crétot, qu’il détaille dans La boulangerie solaire (éditions Terres Vivante) qui vient de paraître : montrer, depuis Rouen, que les énergies intermittentes pourraient bien plus être mises à contribution pour faire tourner notre économie. « A aucun moment, je ne dis que c’est facile, insiste-t-il. Mais à condition de réfléchir autrement, de repenser l’organisation de nos activités, c’est possible. »

NéoLoco, la boulangerie-torréfaction artisanale qu’il a lancée fin 2019 avec Gaëlle, sa compagne et associée, a en tout cas trouvé son rythme de croisière. Jusqu’à compter aujourd’hui un troisième salarié, alimenter huit points de ventes autour de Rouen pour le pain, et 80 boutiques pour les produits torréfiés dans toute la Normandie.

Avant NéoLoco, les Vagabonds de l’énergie

Mais rembobinons. Avant NéoLoco, il y a eu les Vagabonds de l’énergie. Un tour du monde, en stop et à vélo, à la découverte d’une soixantaine de projets énergétiques qu’Arnaud Crétot lance avec un ami en 2009, à la sortie de son école d’ingénieur. Il prend une première claque en Inde, en visitant une entreprise qui développe du petit matériel de transformation agricole autonome en énergie, à destination des villages isolés et qui utilisait, pour cela, un four solaire conçu par Solar Fire.

L’ingénieur normand finit par rejoindre cette dernière entreprise qui équipe en four solaire des porteurs de projets artisanaux dans les pays en voie de développement. C’est au Kenya alors, début 2019, qu’il prendra une seconde claque, en observant les quantités impressionnantes de cacahuètes torréfiées que parvenaient à produire des femmes kenyanes via toujours leur four solaire et en vue de faire du beurre de cacahuète. « NéoLoco est né là, explique Arnaud Crétot. Même en ne produisant que la moitié de ce qu’elles faisaient là-bas, il y avait la place pour créer une activité de torréfaction 100 % solaire économiquement viable en Normandie. » Et plutôt que de faire venir de la matière première des quatre coins du monde, Arnaud Crétot décide de mettre en valeur les graines locales et des recettes du passé. Voilà comment NéoLoco s’est retrouvé à produire un substitut de café à base de lentilles vertes, des graines torréfiées à grignoter à l’apéro ou encore caramélisées dans du miel local pour remplacer le carré de chocolat de la soirée télé, sans oublier les céréales du petit-déjeuner.

Un four en bois en appoint sur le pain

Dans une semaine classique, le four solaire est dédié aux activités torréfactions les lundis, mercredis, et vendredis. « Mais tout le principe de travailler avec des énergies intermittentes est d’adapter son organisation à celles-ci et non plus l’inverse », explique Arnaud Crétot. En clair : lorsque le soleil n’est pas au rendez-vous sur ces trois jours, « on fait autre chose, poursuit-il. De l’emballage par exemple. » Cette souplesse est plus facile sur la torréfaction. « On est sur des produits de longue de conservation, reprend Arnaud Crétot. On peut rester plusieurs jours sans produire, l’enjeu étant surtout de maintenir un stock à un certain niveau et la Normandie a suffisamment de jours de soleil, même en hiver pour y parvenir. »

Pour la boulangerie en revanche, c’est une autre paire de manches. La cuisson des pains a lieu les mardis et jeudis. « Si nous n’avions que cette activité, nous aurions la flexibilité nécessaire pour ne fonctionner quasiment qu’avec le four solaire, en décalant simplement la production à un autre jour de la semaine en cas de mauvais temps », explique le Normand. Mais puisque le four solaire a un planning déjà bien chargé, NéoLoco doit parfois se rabattre sur son four à bois quand la grisaille joue les prolongations. « L’an dernier, alors que l’hiver avait été peu ensoleillé, un peu plus de la moitié des fournées de pain avait été fait dans ce second four », indique Arnaud Crétot. Certes, le bilan environnemental n’est pas optimal, mais ce four à bois permet tout de même de valoriser une ressource locale et d’échapper aux fluctuations des cours de l’énergie.

Et quand il pleut, on mange des biscottes ?

Quoi qu’il en soit, NéoLoco priorise le four solaire pour la cuisson des pains et, comme pour la torréfaction, cherche continuellement à améliorer son organisation pour s’adapter au mieux aux énergies intermittentes. Pour y parvenir, la petite entreprise embarque aussi dans la démarche la centaine de familles qui lui achètent régulièrement son pain. Une miche au levain, qui se conserve sept à dix jours. « On n’est plus dans l’idée d’acheter tous les matins son pain », pointe le Normand. « Et quand il pleut, on mange des biscottes ? », lui demandent les sceptiques. « Bah oui pourquoi pas ?, c’est exactement ce qu’on faisait autrefois », répond-il en renvoyant à l’étymologie du mot (cuit deux fois).

Arnaud Crétot n’est ainsi pas loin de se lancer dans la fabrication de biscottes pour élargir sa gamme. « Et le champ des possibles est aussi immense du côté de la torréfaction », glisse-t-il, lui qui n’abandonne pas l’idée de se lancer, un jour, dans une pâte à tartiner NéoLoco.

Mais le Normand voit bien plus loin encore dans son livre, une invitation à revoir notre rapport à l’énergie. « Une grande partie des besoins énergétiques des entreprises, de l’artisanat à la haute industrie, c’est de la chaleur, rappelle-t-il. La concentration solaire pourrait y répondre en partie, en particulier pour la production de tout ce qui se stocke. » Et l’idée n’est pas toujours de viser d’emblée le 100 % solaire. Dans son livre, Arnaud Crétot imagine quatre modèles possibles de boulangerie solaire. Dans le dernier, le four solaire n’est là qu’en appoint. « Ça peut-être un petit modèle qu’on installe dans la cour ou sur le toit et qu’on utilise les jours ensoleillés, pour réduire sa facture d’électricité, imagine-t-il. Même en ne l’utilisant que pour 20 % des cuissons, un four solaire peut être rentable. » Dans le contexte actuel, pas dit qu’il y ait besoin d’atteindre les 20%.