France

« Demain, c’est nous »… Le prof de techno qui va très loin pour sensibiliser ses élèves à la crise climatique

« On ne peut vouloir la disparition de ce qu’on aime ». François Bernard en est convaincu, et se dit que cette maxime s’appliquerait très bien à la Terre et à l’éveil des consciences sur la gravité du changement climatique en cours. Pour le montrer, ce prof de techno un peu atypique est allé très loin. Au sens propre comme au figuré. Jusqu’à embarquer une classe de 3e de son établissement Fénelon-Notre Dame de La Rochelle aux îles Svalbard.

L’archipel, sous pavillon norvégien, est à 3.600 km au nord de La Rochelle, et à un petit millier du Pôle Nord. C’est le territoire de l’ours blanc, et là aussi où s’observe sans doute le mieux le réchauffement climatique. « Le Svalbard se réchauffe sept fois plus vite que le reste de la planète. Comme nulle part ailleurs sur Terre », rappelle la glaciologue Heidi Sevestre dans Demain, c’est nous (édition du Faubourg), le livre qui retrace cette aventure dont elle est partie prenante depuis le début.

Se débarrasser des carcans de l’école

Il n’empêche que début avril, sur cet archipel constitué à 60 % de glace, les températures frisent toujours les -10 °C, avec des minimales à – 17°C. C’est à cette période de l’année que François Bernard et ses collégiens ont posé le pied dans ce désert blanc, au bout du monde. Un premier groupe en 2018, un second un an plus tard. Chaque fois pour une dizaine de jours.

Si c’est souvent ce voyage étonnant que l’on retient, le projet pédagogique de François Bernard est loin de se résumer à ça. « Demain, c’est nous », c’est d’abord une option que le prof de techno est parvenu à convaincre la directrice de son établissement de lancer. Deux à trois heures par semaine consacrées au changement climatique.

Pas de cours au tableau, pas d’examen ni de devoirs imposés à la maison. François Bernard entend se débarrasser des carcans habituels de l’école, « qui forme à entrer dans le système et pas dans la vie », dépeint-il, pas tendre. Les deux heures se construisent à partir des revues de presse que préparent les élèves, des questions qu’elles suscitent, des réponses qu’ils y trouvent, notamment auprès de Heidi Sevestre, dont les interventions par visio sont l’un des fils rouges de l’option.

« Recréer un lien émotionnel avec la nature »

L’autre, c’est donc l’expédition au Svalbard. Ce voyage choc au chevet des glaciers et de la banquise que François Bernard a toujours eu en tête, et qui a convaincu la glaciologue française – qui a fait quatre ans de doctorat sur l’archipel – de rejoindre l’aventure. L’expédition est complexe à organiser – financièrement déjà – et n’est pas non plus sans poser de question. « Forcément, le bilan carbone est contradictoire avec le projet », concède François Bernard. Mais le professeur y tient et en fait le premier pilier de son projet pédagogique : « éduquer par les émotions », répète-t-il, persuadé que ce sont elles qui poussent à se mouvoir. Décliné au changement climatique, « cela implique de (re) créer un lien affectif, émotionnel entre les élèves et la nature, poursuit l’enseignant, déplorant qu’on l’ait trop souvent perdu, « au point de ne plus comprendre notre place d’humains dans la chaîne de la vie sur Terre ».

Question nature, les collégiens sont servis au Svalbard, entre excursion sur un glacier, remontée d’un fjord en bateau. Et même, pour la deuxième promo, expédition scientifique sur deux jours, avec nuit sous tente. Le tout ponctué par de multiples rencontres avec la population et les scientifiques locaux. Mission réussie ? « Je reçois régulièrement des mails d’anciens élèves ou de leurs parents me disant que cette option les a marqués à vie. L’un d’eux, Thibault, a même entrepris des études pour devenir le futur Heidi. »

Dans le cadre de l'option « Demain c'est nous », lancé par le prof de techno François Bernard dans son établissement à la Rochelle, un groupe de collégiens est parti, à deux reprises, au Svalbard, en Arctique, là où sans doute se mesurent le mieux les effets du changement climatique.
Dans le cadre de l’option « Demain c’est nous », lancé par le prof de techno François Bernard dans son établissement à la Rochelle, un groupe de collégiens est parti, à deux reprises, au Svalbard, en Arctique, là où sans doute se mesurent le mieux les effets du changement climatique. – @Mathieu Vouzelaud / Demain C’est nous

« Demain c’est nous » continue

Surtout, même si François Bernard a dû prendre du recul pour des raisons de santé, d’autres enseignants ont pris le relais. Si bien que « Demain, c’est nous » continue toujours à Fénelon-Notre Dame et regroupe désormais, chaque année et dans une même classe, une trentaine d’élèves de la 3e à la terminale.

Si le Svalbard n’est plus au programme, l’année scolaire est toujours marquée par une expédition en pleine nature. Cette semaine, la classe était ainsi dans les Alpes, avec un crochet à la Mer des Glace, cet autre symbole fort du changement climatique. Le reste de l’année, « Demain c’est nous », aussi devenu une association, se démène pour sensibiliser et agir localement. De l’organisation de « la semaine pour le climat » dans l’établissement à la création d’un jeu de cartes permettant d’estimer l’empreinte carbone de ses activités, en passant par l’animation d’un site web pour faciliter les initiatives environnementales en milieu scolaire, et bien d’autres projets encore. Le tout a été récompensé du prix de l’Education citoyenne il y a un an tout juste.

Alors, pourquoi pas « Demain, c’est nous » dans toutes les écoles ? François Bernard et ses élèves ont écrit en ce sens à Jean-Michel Blanquer [l’ancien ministre de l’Education nationale] et Pap Ndyaie [l’actuel]. Sans grand succès, se désolent-ils. C’est tout le paradoxe que pointe François Bernard : « De belles choses se font en primaire, notamment à travers l’essor des écoles du dehors. Mais aussi dans l’enseignement supérieur, avec de plus en plus d’étudiants qui demandent la création de matières dédiée au changement climatique, commence-t-il. Mais au lycée, et pire encore au collège, il n’y a quasiment rien. Juste quelques notions noyées dans les programmes, essentiellement en SVT. »

D’autres François Bernard ?

L’enseignant se console en se disant qu’il y a, en France, des collègues ultra-motivés pour lancer des projets dans la même veine que « Demain c’est nous ». Là encore, le prof de techno dit recevoir des témoignages réguliers, « encore plus depuis la sortie du livre ». « Certains ont notamment réussi à débloquer des fonds européens et sont partis en Islande ou au Groenland… », lance-t-il, avec un petit bémol tout de même pour cet aventurier dans l’âme. « Ces projets restaient assez scolaires et n’ont pas été aussi loin, je pense, que « Demain, c’est nous » dans le lien direct avec la nature. » 

Allez voir Les Têtes givrées, conseille-t-il avant de raccrocher. Le film, sorti en février, suit une classe de Segpa au pied du Mont-Blanc, mobilisée par leur professeur principal pour tenter de stopper la fonte d’un glacier local en le protégeant de bâches blanches géantes, comme les Italiens l’ont fait sur le glacier de Presena. Une fiction, certes, « mais ça donne des idées », lance François Bernard. Le plus dur, à l’écouter, c’est de se lancer.