France

Délinquance : Pourquoi les affaires de vols ou de cambriolages sont-elles si rarement élucidées ?

Un fossé. Comment pourrait-on décrire autrement l’écart béant entre les taux d’élucidation des affaires portant sur les atteintes aux personnes et celles visant les biens ? Selon une note publiée ce jeudi par le service statistique du ministère de l’Intérieur, dans 75 % des cas, un an après la commission d’un homicide, une personne – au moins – a été interpellée, placée en garde à vue puis présentée à un juge. Pour les affaires de coups et blessures, ce taux s’établit à 71 %. Et si l’élucidation des crimes et délits à caractère sexuel est nettement en deçà – 56 % – elle reste néanmoins incomparable avec les chiffres des enquêtes visant des biens : 16 % des vols avec violence, 8 % des cambriolages et 7 % des vols de véhicules sont élucidés après un an d’enquête.

Certes, la nature de ces affaires – et leur gravité – sont difficilement comparables. Mais la délinquance du quotidien est considérée comme une priorité par le gouvernement, notamment en raison du sentiment d’insécurité qu’elle génère. Comment, alors, expliquer de tels écarts ? D’abord par la spécificité de ces dossiers. « Dans la grande majorité des affaires d’atteintes aux personnes, les suspects se trouvent dans l’entourage de la victime, note une source policière haut placé. Les violences gratuites existent, mais elles restent rares. » Ainsi, que ce soit dans les affaires de meurtre ou de violences, de quelque nature que ce soit, les enquêteurs commencent systématiquement leurs investigations par les proches de la victime, en travaillant ensuite par cercles concentriques.

« Les proches d’une victime ne se réduisent pas à la famille »

Cela se ressent d’ailleurs dans les chiffres de l’étude : dans la catégorie « coups et blessures » par exemple, le taux d’élucidation passe de 71 % à 58 % lorsqu’on exclut les violences intrafamiliales. Il en est de même – dans une moindre mesure – pour les affaires de violences sexuelles, où l’on passe de 56 % à 53 %. « Les proches d’une victime ne se réduisent pas à sa famille, insiste cette même source. Si on retire les amis, connaissances, collègues, les chiffres seront assurément bien plus bas. » Le constat est implacable lorsqu’on se penche sur les auteurs de meurtres. Dans une vaste enquête sur les homicides commis en France entre 2013 et 2020, l’Insee a établi que 30 % d’entre eux ont eu lieu dans le cadre familial. Les meurtres à l’occasion de vol ne représentent que 3 % et ceux en lien avec un règlement de comptes 9 %.

A l’inverse, les atteintes aux biens – tels que les vols, cambriolages – étant rarement commises par des proches, les pistes d’enquête sont plus difficiles à établir. De plus, note un commissaire, « dans les affaires d’atteintes aux personnes, les témoignages sont bien souvent plus faciles à recueillir, à commencer par celui de la victime elle-même si elle est encore là. » De même, les techniques d’enquête mobilisées ne sont pas les mêmes. Si désormais, les policiers et gendarmes relèvent quasiment systématiquement les empreintes digitales en cas de cambriolage et s’appuient de plus en plus sur la vidéosurveillance, le nombre de faits commis rend impossible l’utilisation systématique de l’ADN, plus cher et chronophage. « On a généralement beaucoup plus d’éléments identificateurs dans toutes les affaires d’atteintes aux personnes », poursuit cette source.

Chercher les affaires en « série »

Dans le même temps, les cambrioleurs sont de plus en plus précautionneux. Les équipes sont généralement très mobiles, les techniques perfectionnées. « Les auteurs sont de plus en plus au fait des techniques policières, c’est indéniable, ils portent quasiment systématiquement des gants, par exemple », note une source policière. Face à cela, les enquêteurs tentent autant que possible d’identifier les faits « sériels », c’est-à-dire de remonter la piste d’équipes ayant commis de multiples vols ou cambriolages, en rapprochant notamment les modes opératoires ou les périmètres d’action.

Il est alors plus facile de mobiliser davantage d’enquêteurs et d’avoir recours à des techniques plus poussées. Reste que dans les trois quarts des cas, les vols avec violence élucidés l’ont été dans le mois qui a suivi les faits. 

Plus de faits, taux en chute

Plus inquiétant : le taux d’élucidation a tendance, ces dernières années, à reculer. C’est flagrant dans les affaires d’escroqueries. En 2017, 29 % des dossiers étaient résolus dans l’année. Trois ans plus tard, ce ne sont plus que 17 % des affaires. Un recul qui s’expliquent notamment par la complication et la diversification des modes opératoires, notamment sur Internet. Mais c’est surtout la hausse du nombre d’affaires, + 43 % sur cette période, qui fait baisser le taux d’élucidation. Un effet qu’on retrouve dans diverses catégories : l’augmentation de 82 % des enquêtes sur des violences sexuelles a fait reculer de 6 % le taux d’élucidation. Le nombre d’homicides a, quant à lui, augmenté de 7 % entre 2017 et 2020 et le taux de résolution a reculé de 4 %. 

Et pour cela, pas de mystère, ce sont les effectifs qui sont pointés du doigt. « Si on a plus d’affaires mais pas plus d’enquêteurs, même avec la meilleure volonté du monde et les meilleurs outils, on ne pourra pas tout faire », soupire le commissaire interrogé.