France

« Comme photographier Marilyn Monroe »… Cette artiste s’est penchée sur la sexualité des aînés

Ce sont des images qu’on ne voit pas souvent. Des clichés en noir et blanc magnifiant des peaux fripées, des yeux ridés et des cheveux décolorés. Même quand il s’agit de faire la promotion de plans de retraite, de monte escaliers ou de pilules stimulant les érections, les publicitaires choisissent des modèles âgés d’à peine 50 piges pour leurs affiches. Les photos prises par Arianne Clément sont loin, bien loin de ça. Installée au Québec où elle est née, l’artiste s’est spécialisée dans la photographie d’aînés. Depuis une petite dizaine d’années, elle parcourt le monde à la rencontre de nos anciens pour tirer le portrait de leurs traits tirés. Une idée qui a germé dans son esprit quand elle a vu sa grand-mère lui interdire de la photographier « parce qu’elle se sentait laide en vieillissant ».

Au fil de ses rencontres, Arianne Clément a eu l’idée de pousser son travail un peu plus loin en mettant en valeur la sexualité toujours active des seniors. Un sujet tabou qui fait l’objet d’une exposition de sa série « En corps, en vie » qui démarre à Rennes. L’occasion, aussi, d’un café-débat ce mercredi soir autour du thème de la vie intime et sexuelle des personnes âgées. Une interview réalisée dans le plus pur accent québécois.

Vous racontez que c’est votre grand-mère qui vous a inspiré ce choix de photographier les aînés. Pourquoi ?

Parce qu’elle détestait être photographiée ! Quand nous étions en famille, elle nous interdisait de la prendre en photo. Elle nous disait toujours que si on prenait une photo d’elle, elle casserait notre caméra. Du coup, je n’ai aucune photo de ma grand-mère et ça m’attriste Après réflexion, je pense qu’elle se sentait laide en vieillissant. Elle ne voulait pas le voir ni le montrer. C’est une blague que j’entends souvent maintenant quand je fais des photos. On me dit : je vais casser ta caméra ! Mais il y a souvent des éclats de rire, des blagues, des grimaces. Il y a un côté enfantin. C’est ce que je veux montrer : lutter contre l’âgisme et la représentation habituelle que l’on a de nos aînés.

C’est pour cela que vous avez choisi de vous pencher sur leur sexualité ?

J’ai envie de sortir de l’image de la grand-mère qui tricote. Nos aînés ont une sexualité, une vie intime, des opinions politiques, des activités culturelles mais on ne les entend pas. La série sur la sexualité est née d’une rencontre avec Marie-Berthe quand je menais un travail sur les centenaires. Elle avait 102 ans et elle était très à l’aise devant moi. Elle se sentait belle, elle était magnifique malgré les marques du temps. Elle était très coquette, elle se donnait à fond. C’était comme photographier Marilyn Monroe !

La photographe québécoise Arianne Clément s'est spécialisée dans les images de personnes âgées. Elle a voyagé dans différentes régions du monde où les gens vivent plus vieux.
La photographe québécoise Arianne Clément s’est spécialisée dans les images de personnes âgées. Elle a voyagé dans différentes régions du monde où les gens vivent plus vieux. – Arianne Clément

Vous n’avez pas eu trop de mal à convaincre des modèles de poser ?

Au début si. Je ne trouvais personne donc j’ai demandé à une amie et à son mari si je pouvais faire des photos coquines. Christine avait 87 ans, son mari avait 101 ans. Elle hésitait un peu au début et elle a fini par accepter. On les voit tous les deux allongés, on voit leur corps. J’ai posté la photo sur mes réseaux sociaux et elle a été partagée des centaines de milliers de fois. Je ne m’y attendais pas. J’ai profité de cette photo pour lancer un appel aux volontaires. J’ai reçu beaucoup de messages de femmes du Québec mais aussi de France, de Belgique. Je n’ai pas pu voir tout le monde mais j’ai senti de la confiance. Les gens avaient pu voir que mon travail était délicat. Ce n’est pas de l’obscénité ou de la pornographie. Je veux simplement montrer que ce n’est pas parce qu’on vieillit que l’on n’a plus de désir ou de sexualité.

Avez-vous le sentiment que les mentalités évoluent ?

Celle des aînés oui. Il y a une vraie différence avec les baby-boomers. La génération d’avant au Québec, on les appelle « la génération des silencieux ». C’était une vie plus pudique. Avec ma grand-mère, jamais on n’a abordé la question de la sexualité. Les baby-boomers sont différents. Ils ont connu la révolution sexuelle, la révolution féministe. Ils ont révolutionné la société.

Vous avez voyagé dans des « zones bleues » du monde où les gens vivent plus longtemps. Quels sont leurs points communs ?

Je suis partie dans cinq zones où l’espérance de vie est plus élevée. En Italie, au Costa Rica, en Grèce, au Japon et en Californie. Souvent, c’était dans des familles de paysans qui se nourrissaient de produits locaux et non transformés. Les gens travaillaient dur mais ils étaient dehors et ils bougeaient.

Ce qui est universel, c’est le filet social, qui était à chaque fois très fort. Ces gens avaient des amis, de la famille, des proches. Ils n’étaient pas seuls. C’est ça qui les fait vivre. Au Québec, la Covid a révélé des drames. On a vu qu’on n’avait pas assez de moyens et de personnel pour s’occuper de nos aînés. On a aussi vu des gens mourir dans la solitude. Mon grand-père est mort à ce moment-là. Il est mort seul, car tout le monde était confiné. Mon travail rappelle qu’il nous faut être solidaires avec les personnes âgées.