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« C’est devenu un stade de touristes »… Le public du Parc fait grincer des dents

Champion (du business) mon frère ! Malgré une nouvelle saison morose pour le Paris Saint-Germain, émaillée par une énième élimination piteuse en 8e de finale de Ligue des champions, un jeu qui frôle le ridicule, des affaires extra-sportives en cascade et une brouille avec ses ultras, le club de la capitale aura au moins réussi une prouesse. Celle de devenir, selon la dernière étude du cabinet Deloitte datée de janvier dernier, le club numéro 1 eu Europe sur les revenus tirés de la billetterie, devant les mastodontes du continent que sont habituellement le Real Madrid, le FC Barcelone ou Manchester United. Le tout avec un stade d’une capacité de seulement 47.000 places, quand le Camp Nou ou Santiago Bernabu affichent des jauges proches des 100.000 places.

Il faut dire que ces dernières années, le club a énormément œuvré pour développer ce qu’on appelle les hospitalités (les loges et les places les plus chères et les plus confortables du stade), passant de 1.500 à 4.642 sièges, ce qui représente aujourd’hui 10 % de la capacité du Parc et près de 50 % des recettes billetterie. « l’indicateur qui montre bien tout le travail de fond mené par les dirigeants du PSG à ce niveau-là, c’est la hausse considérable du nombre de salariés sur toutes les activités commerciales, marketing et de billetterie. Il y a eu un effort très poussé là-dessus, ça montre bien à quel point c’est un élément stratégique fondamental dans la réflexion des dirigeants », analyse Ludovic Lestrelin, enseignant-chercheur à l’Université de Caen Normandie et auteur du livre Sociologie des Supporters aux éditions La Découverte.

Voir Messi comme on va voir la Joconde

Le problème, c’est que cette haute société qui se presse au stade pour se délecter des accélérations du Kyks ou des (rares) coups francs de Messi, entre deux bouchées de petits fours et une gorgée de champ’, a fini par gagner d’autres endroits du Parc, au point de faire de cette enceinte un lieu à des années-lumière de bouillant chaudron qu’il était avant l’arrivée de QSI (et le plan Leproux). A Paris comme ailleurs, difficile d’avoir le beurre et l’argent du beurre. Interrogé à la sortie du stade par le média indépendant Canal Supporter, début mai, un fan résume parfaitement ce qu’ils sont de plus en plus nombreux à dénoncer.

« Le Parc des Princes c’est devenu Dysneyland. Les 3/4 des gens n’en ont rien à foutre, ils sont là avec leur maillot des Tigres, ils viennent faire des photos de Messi, ils n’en ont rien à battre du PSG, ça me dégoûte de plus en plus. Ça fait dix ans que je suis dans la même tribune et plus les années passent, plus les gens arrivent en retard, ils partent avant la mi-temps pour aller manger. On n’est plus dans un stade de foot, c’est devenu un musée à ciel ouvert. »

De par notre petite expérience personnelle, difficile de donner tort à ce supporteur. Il suffit de déambuler autour du Parc quelques heures avant les matchs pour se rendre compte de la transformation sociologique du public depuis quelques années. Difficile de faire deux mètres sans entendre majoritairement parler espagnol, anglais, chinois ou japonais. On vient désormais au Parc voir Messi et Mbappé comme on va au Louvre voir la Joconde. Parce que ça fait bon genre. Supporter le Paris Saint-Germain n’est d’ailleurs plus un prérequis aujourd’hui.

« Les gens viennent voir un spectacle… »

« C’est quand même sympa de venir au Parc même si on n’est pas concernés par le match, nous racontaient Charles et Alexandre, deux supporteurs rennais habitant Paris, avant la réception de Lens. Surtout pour un match à enjeu comme ça. Et puis Paris, bon, même si ce n’est pas fameux cette année, il y a toujours Mbappé et Messi ». CQFD. « Aujourd’hui les gens viennent voir un spectacle, se lamente ce membre influent du Collectif Ultras Paris. Que le PSG gagne ou pas, des fois t’as l’impression que si Messi marque un but ça suffit à leur bonheur. »

Croisé quelques mètres plus loin, Paul est venu transmettre la passion du club à son fils. Du mois il essaye. « Pour le moment il est plus pour Mbappé que pour Paris mais ça va venir ! Mais ce n’est pas aussi facile qu’avant de tomber amoureux du Parc. Quand j’étais plus jeune, l’époque de Weah, Rai, c’était bouillant ici. Ça me manque… ». 

« La composition du public est en quelques sortes entre les mains des hauts dirigeants, explique Ludovic Lestrelin. Le Paris Saint-Germain s’est engouffré dans la voie de la starisation, avec une politique marketing ultra-offensive, la volonté de construire une marque mondiale, les dirigeants ne s’en sont jamais cachés et aujourd’hui le Parc des Princes n’est que le reflet de tout cela. »

Faute de places à des prix abordables, les classes populaires issues de région parisienne n’ont plus vraiment voix au chapitre. Un problème accentué ces dernières années par le système de revente de billets sur la plateforme Ticketplace, qui a fait exploser les prix sur le marché secondaire. A l’arrivée, ce public hétéroclite et majoritairement aisé ne semble plus animé par la même passion que ses ancêtres, ce qui se ressent fatalement d’un point de vue de l’ambiance.

Auteuil pas épargné par l’effet Ticketplace

Si certains petits groupes ont bien tenté de redonner vie à la tribune Boulogne ces dernières saisons, le club leur a bien fait comprendre que ce n’était pas le lieu indiqué pour s’ambiancer. « Le parc c’est horrible, mis à part Auteuil c’est devenu un stade de touristes, nous dit David, 22 ans de tribune au compteur. A Boulogne, je t’en parle pas, on n’a pas les mêmes voisins d’un match sur l’autre à cause de Ticketplace et des reventes de billets. Or tu peux pas demander a des touriste de chanter ».

Si les ultras du CUP, massés dans le virage Auteuil, arrivent encore à mettre le feu au stade, ils subissent régulièrement de nombreuses critiques de la part des supporteurs historiques ayant déserté l’enceinte depuis la mise en place du Plan Leproux. Car, là aussi, Ticketplace fait des ravages.

La dernière fois, j’ai croisé un groupe d’une quarantaine de touristes asiatiques près du stade, et une demi-heure après je me rends compte qu’ils étaient à vingt mètres de nous dans le virage Auteuil !, s’étrangle un membre du Collectif Ultras Paris. Pour faire vivre le virage, on a besoin de supporters actifs, des gars qui connaissent les chants et les codes ultras, ce qui n’est pas toujours le cas ces derniers temps. C’est pour ça qu’on dénonce en partie le système Ticketplace, on aimerait lui mettre des limites en instaurant un plafond tarifaire. Je comprends que le club a besoin d’attirer des touristes car ça ramène de l’argent dans les caisses, mais ça ne doit pas se faire uniquement au détriment des supporteurs historiques et des classes populaires. »

Samedi soir, contre Ajaccio, l’ambiance risque encore de prendre un nouveau coup dans les carreaux, le CUP ayant décidé de faire la grève des encouragements jusqu’à nouvel ordre pour protester contre le manque d’implication des joueurs et le manque de considération de la part de la direction. Mais tant que les hospitalités sont blindées, le PSG devrait s’en accomoder.