France

Cannes, son festival, ses paillettes et son taux de pauvreté

Ses tapis rouges, ses soirées huppées, sur des yachts ou au bord des gigantesques piscines de villas cossues… Dans quelques jours, plongée dans son festival, Cannes paraîtra au monde entier comme la capitale du cinéma, mais aussi du faste et du luxe. Les dernières conclusions de la Chambre régionale des comptes (CRC) Paca rappellent pourtant une « réalité historiquement autre », rectifie le maire LR David Lisnard. En 2018, le taux de pauvreté mesuré dans la deuxième ville des Alpes-Maritimes, à 20 %, était plus élevé que ceux enregistrés à l’échelle de la communauté d’agglomération (16,5 %) et en moyenne dans la région (17,3 %), note l’administration. Il était même largement supérieur à celui relevé par l’Insee pour toute la France : 14,8 % cette année-là.

En 2020, selon les données de l’Insee, le taux de pauvreté cannois est même monté à 21 %, à égalité avec Nice, soit le plus fort du département. Celle que l’on surnomme la cité des festivals ne se résume pas qu’à sa Croisette, où le prix du mètre carré peut parfois flirter avec les 90.000 euros. Elle comprend aussi « deux quartiers prioritaires », dont celui de La Frayère-Ranguin, qui ne comptaient que 23,5 % à 27,2 % de ménages imposés en 2016, rappelle le CRC dans son rapport de 68 pages.

Loin, donc, de l’image véhiculée par « certains » qui, « dans la paresse des clichés, continuent de présenter Cannes comme  »ville de riches »,  »facile » », maugréait l’édile, en début de semaine, sur Twitter.

En 2021, la façade du poste de police municipale installé dans le quartier de la Frayère, avait été incendiée après des saisies de drogue et l’interpellation d’un dealer présumé
En 2021, la façade du poste de police municipale installé dans le quartier de la Frayère, avait été incendiée après des saisies de drogue et l’interpellation d’un dealer présumé – F. Binacchi / ANP / 20 Minutes

« Des situations extrêmement compliquées »

David Lisnard visait alors peut-être, entre autres, Renaud Muselier qui doutait, en 2021, juste avant son élection à la tête de l’Association des maires de France, de la légitimité du maire de Cannes à accéder à ce poste. « Du haut de son tapis rouge, niché dans son Palais des festivals, [il] ne pourra jamais comprendre ce que vous et vos concitoyens vivez au quotidien dans vos territoires, dans le monde réel », écrivait le président de la région Paca dans un courrier aux élus locaux.

Le maire montait même au créneau après des déclarations d’Emmanuel Macron lui-même. Le président de la République avait estimé qu’il « est plus facile de décentraliser quand on est à Cannes qu’à Marseille, parce que les gens ne sont pas les mêmes ». David Lisnard avait, lui, conclu, que le chef de l’Etat « ne connaît manifestement que les quartiers riches de notre ville et ne voit que la belle exposition événementielle ».

« C’est évident, beaucoup de gens ne voient pas l’arrière-boutique, confirme Dominique Henrot, candidat PC-PS aux dernières élections municipales, en 2020. Il y a des situations extrêmement compliquées, en particulier pour des familles monoparentales, avec des mères qui sont obligées de gérer des situations très difficiles. » Et avec de très faibles ressources. Selon d’autres données rappelées par le CRC, « le revenu médian disponible par unité de consommation » était en 2018 « plus faible » à Cannes [20.230 euros] que « dans le reste de l’agglomération [21.590 euros] et dans la région ».

Des actions et la question de l’offre d’emploi(s)

« Mais une fois qu’on a fait le constat de ce contraste, on fait quoi ? C’est ça la vraie question », interroge Dominique Henrot. Sollicitée par 20 Minutes, la ville de Cannes explique que 24 millions d’euros sont consacrés chaque année aux actions « de politique sociale, de politique solidaire et de lutte contre la pauvreté ». Soit « le deuxième plus gros budget municipal après celui de la culture », à 30 millions d’euros.

« Même si la politique sociale est une compétence du département et de l’Etat, la mairie intervient de façon volontariste », assure-t-elle encore, évoquant l’ouverture d’une épicerie sociale en mars 2022 ou encore les « nombreuses subventions aux associations et structures qui œuvre en faveur des plus fragiles et en difficultés ». Elle met également en avant « la mise à disposition, depuis vingt ans, d’une structure d’accueil de jour et de nuit pour les personnes sans domicile fixe » ou encore l’ouverture, d’ici fin 2024, d’une nouvelle résidence autonomie « pour les personnes âgées à très faibles revenus ».

Pour Dominique Henrot, il faudrait surtout aller plus loin, sur l’offre d’emploi(s). Selon lui, « les choix faits par la mairie actuelle et la précédente, de toujours privilégier le tourisme » seraient à la source d’un important taux de pauvreté. « Il y a encore de nouveaux projets d’hôtels 4 et 5 étoiles. Un site de 5 hectares a été cédé à l’ouest de la ville pour créer des studios de tournage, prend-il en exemple. Mais ce n’est pas comme ça qu’on peut créer des emplois diversifiés et surtout pérennes. » Et de proposer de « lancer des activités industrielles propres plutôt que tout consacrer au luxe et à l’événementiel. »