Belgique

« Si on contrôle les magistrats, on doit aussi contrôler le politique », « une dérive totalitaire »: le screening des magistrats divise

Les magistrats bientôt soumis à un screening pour lutter contre les tentatives de corruption ?

Les magistrats contactés ont refusé de s’exprimer ouvertement et préfèrent l’anonymat. “Cela vous donne le ton sur le contexte actuel. La gestion du pouvoir judiciaire, en ce moment, c’est véritablement malheureux”, déplore l’une des sources.

« Qu’on arrête de se draper dans notre dignité, cessons d’être naïfs : on sait que certains criminels sont capables de séquestrer des gens puis de les tuer, alors corrompre un juge, ça se tente. »

Moi, je ne suis pas contre le principe », avance un magistrat. « Qu’on arrête de se draper dans notre dignité, cessons d’être naïfs : on sait que certains criminels sont capables de séquestrer des gens puis de les tuer, alors corrompre un juge, ça se tente, poursuit cette personne. « En Italie, ils sont plus finauds. Les criminels ont essayé d’infiltrer le monde de la justice en poussant leurs progénitures à entamer des études de droit et devenir proc, juge, etc. C’est une technique, mais elle prend trop de temps, donc la corruption, c’est une piste. Donc, je ne suis pas contre un contrôle, mais cela ne doit pas se transformer en une chasse aux sorcières, prévient-elle encore. Il faut également que ce contrôle soit élargi et ne soit pas uniquement soumis au monde de la justice. Si on contrôle les magistrats, on doit aussi contrôler le politique. S’il faut être attentif à la corruption, il faut l’être à tous les étages.”

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« Si les extrêmes arrivent au pouvoir et que le screening tel qu’il est imaginé aujourd’hui est en place, c’est la porte ouverte à toutes les dérives totalitaires. On pourrait écarter un magistrat parce qu’il serait considéré trop de droite, trop de gauche, trop militant, pas assez ceci, ou trop cela. »

”Cela me rappelle ce qui se passe en Hongrie ou en Pologne”

Un contrôle élargi au monde politique, c’est également le souhait d’un autre magistrat contacté. Mais ce dernier craint malgré tout des dérives à l’encontre des magistrats, surtout si le screening est opéré par un organisme autre que, par exemple, le Conseil supérieur de la Justice (CSJ).

Aujourd’hui, j’ai deux obligations en tant que magistrat : l’indépendance et l’impartialité. Avec ce qui est en train de se passer maintenant, je n’aurai qu’une obligation : obéir au Collège des cours et tribunaux (CCT) (organe qui assure le bon fonctionnement général de tous les cours et tribunaux de Belgique, NdlR) qui pourrait vraisemblablement se charger de ce screening alors qu’il devient de plus en plus le bras armé du politique. Car le CCT joue un rôle important dans tout ce processus et semble vouloir agir en lieu et place d’un organe constitutionnel et indépendant déjà existant : le Conseil supérieur de la justice (CSJ), avance cette source. Lorsque le CSJ a été mis en place après l’affaire Dutroux, il devait nommer les chefs de corps de façon dépolitisée. Là, on va rétablir un système qui n’est rien d’autre qu’une mise sous tutelle du pouvoir judiciaire.”

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Et d’ajouter : “Si les extrêmes arrivent au pouvoir et que le screening tel qu’il est imaginé aujourd’hui est en place, c’est la porte ouverte à toutes les dérives totalitaires. On pourrait écarter un magistrat parce qu’il serait considéré trop de droite, trop de gauche, trop militant, pas assez ceci, ou trop cela. Cela me rappelle ce qui se passe en Hongrie ou en Pologne”.

Un autre juge se dit, lui, totalement ouvert à un processus de screening. Mais à une condition : que l’organe contrôleur soit également contrôlé. “Pourquoi veulent-ils, là, aujourd’hui, nous contrôler alors qu’on n’a rien entendu de concret concernant les magistrats, interroge-t-il. S’ils veulent fouiller dans nos vies, qu’ils le fassent. Mais je refuse que les contrôleurs soient eux-mêmes des gens potentiellement corrompus. J’exige qu’ils soient clean. Soit on contrôle tout le monde, soit on contrôle personne.”

« L’indépendance des magistrats est réduite à néant. Lutter contre la corruption est tout à fait souhaitable, mais ici, on s’attaque à l’état de droit, pas à la corruption ».

Un texte trop évasif

Selon une autre source, la pertinence d’un tel avant-projet de loi pose question, tout comme les motifs invoqués pour permettre une “telle intrusion dans la vie privée des magistrats”. “Les vérifications qui pourraient être opérées ne sont pas banales. Pourtant, les justifications apportées pour y arriver sont abstraites, évasives alors qu’il faut que cela soit un peu plus concret. Quand on limite les droits fondamentaux des citoyens, il faut plus d’éléments. Ici, j’ai l’impression qu’on se base sur des risques hypothétiques pour justifier une telle intrusion.

Et une magistrate de conclure : “C’est purement et simplement une tentative de mainmise du judiciaire par le pouvoir exécutif. L’indépendance des magistrats est réduite à néant. Lutter contre la corruption est tout à fait souhaitable, mais ici, on s’attaque à l’état de droit, pas à la corruption”.