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Bouches-du-Rhône : Ordonnances interdites, dérive sectaire… Le point sur le scandale sanitaire de Complexus Care

Une longue enquête qui a fait l’effet d’une déflagration dans la petite commune de Pélissanne, près d’Aix-en-Provence. Ce mardi, le journal La Provence a révélé l’existence d’un « centre de santé holistique », Complexus Care, au cœur de plusieurs plaintes pour escroquerie et exercice illégale de la médecine, fondé par Hocine Sekkio, un influenceur très suivi sur les réseaux sociaux. Un centre qui employait des diététiciens et des naturopathes qui allaient visiblement bien au-delà de leurs prérogatives. Ce mercredi, au lendemain de cette révélation, quatre anciens salariés ont témoigné sous couvert d’anonymat devant une poignée de journalistes*, dont 20 Minutes, au sein des locaux de la CFDT. On fait le point sur ce qui s’apparente à un scandale sanitaire.

Qu’est-ce que Complexus Care ?

Crée dans la commune de Velaux, toujours dans les Bouches-du-Rhône, en 2021, avant de déménager à Pélissanne, Complexus Care se définit comme un « centre de santé holistique » pluridisciplinaire, notamment pour faire face à l’errance médicale de certains patients. Le centre emploie une vingtaine de personnes, notamment des naturopathes et des diététiciens, souvent débutants ou peu expérimentés. Avec, pour les patients, la promesse de prendre en charge les potentiels clients au cas par cas, et de manière globale. C’est d’ailleurs ce qui a plu à Perrine, diététicienne, quand elle a été embauchée. « J’étais attirée par la promesse d’une équipe pluridisciplinaire, faites de chercheurs, de médecins, de laborantins, le fait de pas être seul face à des patients, et discuter avec d’autres professionnels. » Un conseil scientifique qui serait un pur et simple mensonge, selon ces salariés.

Car la réalité décrite par Perrine et ses collègues est tout autre : l’impression d’une systématisation du traitement, suivant peu ou prou le même parcours, qui a la particularité d’être particulièrement lucratif. « On nous disait qu’il fallait remplir les agendas, explique Joseph, ancien assistant administratif au sein de la structure. De par ma fonction, je prenais contact avec les patients pour leur expliquer les rendez-vous. J’avais une trame d’appel, exactement comme si j’étais un commercial. » Selon la CFDT, qui a été alertée par des salariés de la structure, les praticiens étaient payés entre 1.500 et 1.700 euros. « Notre patron parlait pas mal d’argent, de business model », affirme Charlie. « Ça se dit humain dans la prise en charge, mais quand on est à l’intérieur, on ne ressent pas ça, abonde Perrine. C’est du business. » « Pour le nombre de consultations, on avait un minimum à faire par semaine, pour les thérapeutes », explique son ancienne collègue Lucile. « Et nous, en tant qu’agent administratif, on s’est fait convoquer plusieurs fois pour nous demander pourquoi les agendas sont vides », rapporte Charlie.

A la demande de leur direction, les diététiciens enchaînaient les consultations, entre 8h30 et 13h30, toujours en visio. D’abord une consultation de prise de contact, facturée 150 euros, durant entre une demi-heure et une heure. Puis il était recommandé au client de commander un kit de prélèvement auprès d’un laboratoire belge, Limms, qui réalise des analyses de sang et d’urine, pour un tarif minimum de 241 euros. Il fallait ensuite reprendre une consultation en visio, pour 150 euros de nouveau, avec le diététicien qui interprétait les résultats… alors que c’est hors de ses compétences. « On était briefé pour ça », explique Perrine. Les patients payaient ensuite entre 50 et 60 euros pour s’acquitter d’une ordonnance délivrée par un médecin belge qu’ils ne voient pas, qui prescrit des compléments alimentaires, mais aussi des hormones ou des corticoïdes.

Pourquoi des patients pris en charge par Complexus Care ont porté plainte ?

Environ 6.000 patients auraient été pris en charge de la sorte depuis l’ouverture de la structure. « La majorité avait des troubles de la thyroïde ou des troubles de la fertilité », rapporte Perrine. « On avait aussi des Covid longs ou des rémissions de cancer de sclérose en plaques », abonde Charlie. Selon une source proche du dossier, une vingtaine de plaintes ont d’ores et déjà été déposées depuis la fin de l’année dernière pour exercice illégal de la médecine et escroquerie, à Marseille, Paris ou encore Clermont-Ferrand. « Ce qui ressort de ces témoignages, c’est le sentiment d’avoir été manipulé avec un véritable impact sur leur santé, détaille cette source. On constate une aggravation des pathologies, de nouvelles pathologies qui apparaissent, mais aussi des conséquences financières et psychologiques. »

Un groupe Facebook d’anciens patients qui voulaient tirer la sonnette d’alarme a été créé à la fin de l’année dernière. Une plainte collective auprès du pôle santé publique du tribunal de Marseille est par ailleurs en préparation et sera déposée d’ici la semaine prochaine. Dans les colonnes de La Provence, l’agence régionale de santé indique qu’une instruction est en cours sur des signalements pour pratique illégale de la médecine par un diététicien. Selon plusieurs salariés, l’ordre des médecins a également été avisé.

La prescription des médicaments aux effets secondaires importants et l’interprétation d’analyses par des thérapeutes qui ne sont pas des médecins sont au cœur de ce dossier sensible. « Les informations en notre possession sur ce concept sont nombreuses et sembleraient indiquer une mauvaise prise en charge de certains patients, des ordonnances médicales en dehors tout cadre légal, des médicaments prescrits au-delà des posologies et des durées de traitements prévus », écrit dans un communiqué la CFDT S3C Provence Alpes, saisi il y a quelques semaines par des salariés en détresse.  « En grande détresse morale, prises en étau entre leur employeur, leur contrat de travail avec clause de confidentialité, et la déontologie d’un diététicien au service de leurs patients, ces personnes avaient besoin d’aide », poursuit le syndicat. « Se dire que, au final, on a peut-être participé au fait que les gens ne soient pas forcément mieux, mais qu’ils soient plus mal, voire éventuellement de les avoir mis en danger, c’est le plus dur à accepter », confie Joseph.

Qui est l’homme derrière cette structure ?

Le fondateur de cette structure s’appelle Hocine Sekkio. Cet homme est une figure connue des réseaux sociaux, avec plus de 100.000 followeurs sur Instagram. Sur son compte, dans des vidéos bien léchées qui épousent les codes de ce réseau social, Hocine Sekkio dispense des conseils en diététique.  « Il est accro aux réseaux sociaux », abonde Perrine. La communication sur Instagram de Complexus Care est aussi particulièrement soignée, et le nombre de followers avoisine les 27.000. « Les patients idolâtrent Hocine, rapporte Charlie. 99 % des patients veulent avoir un rendez-vous avec lui. » « Il y a dans cette affaire une forme de « gourouisation » », estime une source proche du dossier. Dans les colonnes de La Provence, la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) confirme avoir reçu une alerte collective au sujet de Complexus Care.

Toujours selon nos confrères, plusieurs patients affirment penser que Hocine Sekkio était médecin. Interrogé par La Provence, Hocine Sekkio met en avant l’obtention d’un BTS en diététique et un master de biochimie, dont la CFDT, qui a fait des recherches, dit ne pas avoir de preuves. « Je ne suis pas médecin, mais ça ne veut pas dire que je ne m’y connais pas, estime-t-il. Je fais mes propres recherches. » Il se dit, au contraire, victime de jalousie. « C’est quelqu’un qui est incapable de se remettre en question et qui remet tout le temps la faute sur les autres », lance Charlie. Contacté, Complexus Care n’a pas donné suite à nos sollicitations à l’heure où ces lignes sont écrites.

*A la demande de ces anciens salariés, les prénoms ont été changés.