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Bâle-Nice : Trois ans et demi après, où en est le projet Ineos pour l’OGC Nice ?

La phase 1 du projet n’a pas fonctionné, la seconde sera-t-elle à la hauteur des ambitions ? Au moment de son rachat de l’OGC Nice à la fin de l’été 2019, l’entreprise Ineos assurait vouloir en faire une place forte du football français, à même de concurrencer à terme le PSG ou à tout le moins de jouer la Coupe d’Europe chaque année. Quand il disait ça, Jim Ratcliffe, big boss du géant britannique de la pétrochimie et troisième fortune du Royaume, ne pensait pas vraiment à la Ligue Europa Conference. Mais en attendant, peut-être, d’arriver à ses fins, le milliardaire fan de sports n’est paraît-il pas mécontent de voir son bébé, opposé à Bâle ce jeudi soir en quart de finale, être le dernier club français présent en Europe.

Un « vrai tournant » dans le projet

Si ce joli parcours se transforme en vraie épopée, ce qui semble dans les cordes des Niçois au vu des adversaires restant en lice et de leurs performances depuis l’intronisation de Didier Digard, il peut constituer un moment charnière dans le projet d’Ineos pour le Gym. Son acte fondateur. Car trois ans et demi après, il se fait toujours attendre. On avait cru déceler le début de quelque chose en fin de saison dernière, mais la défaite en finale de la Coupe de France et l’explosion en vol du duo formé par l’entraîneur Christophe Galtier et le directeur du football Julien Fournier, qui ont tous les deux fini par aller voir ailleurs, ont entériné la fin d’une époque – ressurgie tristement dans l’actu ce mercredi.

Après l’intérim catastrophique de Iain Moody, un consultant extérieur britannique chargé de s’occuper des transferts estivaux, les dirigeants du club ont remis de l’ordre à partir de l’automne. Jim Ratcliffe et Dave Brailsford, l’homme qui a permis à l’équipe Sky de régner sur le peloton dans la décennie 2010 et qui s’occupe aujourd’hui de la performance pour toutes les antennes de la branche sport de la maison mère (qui comprend du football, de la Formule 1, du cyclisme, de la voile, de l’athlétisme) ont convaincu Florent Ghisolfi, architecte en chef du renouveau lensois, de prendre le poste de directeur sportif. Avant le coup de maître, la nomination de Jean-Claude Blanc, l’homme au CV XXL passé par ASO, la FFT, la Juventus et le PSG, en tant que directeur général d’Ineos Sport.

Ces deux arrivées marquent « un vrai tournant » dans le projet, estime un bon connaisseur du club. D’abord côté transferts. « Le projet Fournier, c’était une méthodologie précise pour essayer de faire des plus-values sur de jeunes joueurs. Là avec Ghisolfi ce n’est plus la même, reprend-il. 30 millions pour un attaquant qui vient de Lorient [Moffi], c’est colossal à l’échelle de Nice. Tu sens qu’il y a moins de réserves à dépenser de l’argent, même si ce n’est pas sans compter non plus. »

Ensuite, l’expérience de Blanc, homme de confiance de QSI pour tout ce qui ne concernait pas le terrain pendant 12 ans à Paris, doit permettre au club de réellement trouver sa place dans la galaxie Ineos. Car Brailsford, envoyé à Nice pour éteindre l’incendie l’été dernier, avait fait le constat que le Gym évoluait un peu seul dans son coin et qu’il fallait le « ramener vers les autres composantes du groupe », comme il l’avait expliqué à L’Equipe en juillet. Virgile Caillet, spécialiste de l’économie du sport et président de l’Union sport et cycle, éclaire :

Ils vont donner le temps à Jean-Claude Blanc de faire une sorte d’audit, d’analyser tous les actifs du groupe dans le secteur sportif et voir où l’OGCN va se situer dans ce portefeuille d’actifs. Ineos, ce sont des investisseurs. On peut s’interroger sur rentabilité à long terme d’un club comme Nice, sauf s’il s’inscrit dans une logique globale, et c’est ce travail qu’ils sont en train de mener avec Blanc. »

En place officiellement depuis février, le poids lourd du management sportif a également la tâche de s’occuper du rachat de Manchester United, pour lequel son patron s’est porté candidat. Ratcliffe rêve de mettre la main sur le club qu’il supporte depuis l’enfance, et aurait fait selon la presse britannique une offre de 5 milliards de livres (5,7 milliards d’euros) pour acquérir son nouveau jouet. A peu près la même que le cheikh Jassim Bin Hamad al-Thani, président de la Qatar Islamic Bank et principal concurrent en lice.

L’issue de cette affaire influera évidemment sur l’avenir du club niçois. « Il ne sera pas délaissé, mais ça changera des choses selon que l’OGCN soit la tête de proue du projet ou non, observe Virgile Caillet. Nice pourrait se retrouver être l’outil pour relancer des grands joueurs en panne à MU, ou faire monter des jeunes. »

La surprise Digard

Nice succursale de MU ou projet parallèle, qu’on fait grandir à la hauteur qu’il mérite indépendamment du club anglais ? Pour l’instant, aucune déclaration d’intention n’a été faite à ce sujet. Sachant qu’il faudra le cas échéant, il faudra faire avec le règlement de l’UEFA, qui interdit – pour le moment – à deux clubs appartenant à un même propriétaire de concourir dans la même compétition.

Des considérations auxquelles Didier Digard ne veut pas trop prêter attention. L’ancien milieu de terrain, 36 ans, ne correspond pas tout à fait à l’image que l’on se faisait de l’entraîneur en charge du projet Ineos. Mais le successeur de Lucien Favre, dont le revival a tourné court, a les résultats pour lui (huit victoires, six nuls et une seule défaite en 15 matchs depuis son intronisation), ainsi que l’appui de son directeur sportif. « Pour Ghisolfi, c’est confortable d’avoir Digard, explique notre habitué du Gym. Il y a beaucoup de dirigeants dans ce club, si le coach ne roule pas pour toi tu peux rapidement te trouver isolé. Stratégiquement il a tout intérêt de continuer avec lui, parce qu’il s’entend bien avec et qu’il connaît parfaitement l’environnement. »

L’intéressé avait été sondé début mars par L’Equipe sur son ressenti. « Est-ce que je me sens capable d’incarner le projet Ineos à long terme ? Je ne le contrôle pas, c’est délicat de se positionner. Mais oui, forcément, sinon j’aurais refusé de prendre l’équipe », avait-il répondu. S’il emmène le club en demi-finale de Coupe d’Europe et qu’il termine aux portes du top 5 en Ligue 1 (par exemple), il sera difficile de ne pas le conforter l’été prochain.

Curiosité

Lui se voit bien en tout cas s’inscrire dans la durée. Et accompagner le plan de développement du club. Celui-ci prévoit notamment l’agrandissement du centre d’entraînement et de formation grâce à l’achat de nouveaux terrains, et l’installation à côté d’un grand centre de performance qui accueillera également l’équipe cycliste ainsi qu’une partie des branches F1 et voile. Pour un meilleur partage des compétences, notion chère à Ratcliffe et Brailsford.

Pas de raison alors que le reste ne suive pas. Le but ultime, selon l’ancien boss de la team Sky ? « Etre respectés pour nos résultats et être aimés. Etre plus Ayrton Senna que Michael Schumacher. Etre plus le Brésil que l’équipe d’Allemagne, illustrait-il dans son interview à L’Equipe. À Nice, on veut une équipe avec le sourire. » A écouter ce qu’il se dit, le prochain mercato estival pourrait envoyer du lourd. On n’est peut-être pas plus avancé sur le dessein précis de ce projet Ineos, mais on ne peut pas lui enlever qu’il suscite toujours la curiosité.