France

A-t-on le droit de rester écolo jusque dans sa dernière demeure ?

Humusation, cryomation, résomation. Ces termes ne vous disent rien ? Pourtant, ces nouveaux concepts de sépultures font partie des pistes plébiscitées par certains pour des funérailles un peu plus vertes. Elles sont même déjà autorisées dans certains pays ou ont été soumises à l’étude d’un comité bioéthique, comme chez nos voisins belges.

Pour un retour à la terre, la technique d’humusation en milieu naturel consiste à placer le corps dans un tas de compost afin qu’il se désagrège au bout d’une année et se transforme en humus. Aux Etats-Unis, six états autorisent déjà la « terramation », une méthode de compostage humain, mais cette fois-ci en version express, le processus étant accéléré dans un cercueil en métal.

Encore plus rapide, la résomation permet de dissoudre un cadavre lorsqu’il est plongé dans une solution d’eau et d’hydroxyde de potassium chauffée à 160 ou 180 degrés en quelques heures. Quant à la cyromation, appelé aussi promession, elle consiste à placer le corps du défunt dans de l’azote liquide à une température proche des – 200 °C avant de le réduire à l’état de poussière. Autant de méthodes plus écoresponsables qui ont le vent en poupe.

De nouvelles techniques qui viennent s’ajouter aux traditionnelles inhumations et incinérations, moins sobres écologiquement, mais qui restent les seules légales en France, insiste Mathieu Touzeil-Divina, professeur de droit public à l’université Toulouse-Capitole. Cet initiateur du « Traité des nouveaux droits de la mort » évoquera ce jeudi soir au Muséum ce qu’il est possible de faire ou pas en matière de « funérailles vertes ».

Les restes humains, un objet pas comme les autres

« La destination des restes humains est considérée par le droit français comme une question de santé publique. Non seulement pour des questions de salubrité mais aussi de dignité. Le droit est là pour protéger, en particulier les plus faibles, que ce soit les enfants, ceux qui souffrent ou ceux qui ne peuvent pas s’exprimer. En l’occurrence, les restes humains ne peuvent pas s’exprimer », rappelle tout de go l’enseignant.

Hors de question donc de traiter les restes humains comme on traiterait un objet quelconque ou un déchet. « Mais la difficulté, c’est qu’en droit vous ne pouvez être sujet de droit, donc acteur du droit et bénéficier de droits subjectifs, que si vous êtes une personne en vie. Les restes humains, sont certes humains mais non en vie, ils ne sont plus qualifiés de personne en droit mais d’objet. Un cadavre ou des cendres d’humains, c’est un objet. Et parce que c’est un objet, se pose la question de savoir si on peut les posséder », précise ce spécialiste.

Inhumation, bio ou pas, mais pas n’importe où

Ainsi, pendant longtemps, des crânes humains de parfaits inconnus ont trôné sur des bureaux ou dans des armoires. Jusqu’en 2008, année où la loi Sueur a été adoptée. « Depuis il n’y a que deux destinations possibles : soit une inhumation des cendres ou du corps, soit une dispersion des cendres. Il n’y a pas d’autres possibilités. Et la dispersion ne peut pas se faire n’importe comment. Pour éviter que l’on tombe dans certaines dérives, on préfère interdire beaucoup plus de choses », relève Mathieu Touzeil-Divina.

Impossible donc désormais de conserver les cendres de papi sur la cheminée. Mais par contre, il est tout à fait faisable de les disperser en montagne où il randonnait ou dans la mer, dès lors que c’est déclaré et qu’elles sont toutes disséminées au même endroit. C’est même désormais possible aujourd’hui dans la stratosphère.

Par contre, si les cendres sont placées dans urne, biodégradable ou pas, puis inhumées en pleine terre, cela ne peut se faire que dans un lieu fixe et surtout sur le domaine public. Depuis 2008, impossible, sauf sur dérogations préfectorales, de pouvoir enfouir les urnes sur des sites privés. Notamment dans les rares parcs funéraires qui avaient vu le jour en France qui avaient vu le jour, comme les Arbres de mémoire, à Pruillé, ou encore les Jardins de mémoire en Bretagne.

L’importance du contexte historique et religieux

Ces questions de réglementation ont aussi freiné le projet très avancé de la forêt cinéraire d’Arbas, au sud de la Haute-Garonne, où des amoureux de la nature avaient la possibilité de réserver leur emplacement sous un arbre, en pleine montagne. Une première en France, suspendue pour l’heure, qui s’inspirait de ce que fait chez nos voisins depuis un certain temps. « En Allemagne il y a une cinquantaine de forêts cinéraires et il en existe aussi en Angleterre, mais elles sont gérées et mises en avant par l’église », avance Clément Legrand, auteur d’un mémoire en anthropologie sur le rapport aux défunts et à la mort dans les lieux funéraires naturels.

Pour celui qui s’est penché sur les pratiques en vogue ces dernières années, du développement des cercueils en carton aux nouvelles pratiques beaucoup plus technologiques, le contexte est important. « La dispersion des cendres a ainsi été popularisée dans les années soixante, avec une volonté de trouver d’autres solutions quand l’église a donné son aval pour l’incinération. On est passé de 5 % de défunts incinérés en 1960 à 40 % aujourd’hui et 60 % qui disent vouloir désormais se faire incinérer et disperser », poursuit-il, pointant le rôle de la religion, toujours prégnante sur ces questions-là.

Si le monde funéraire a été rattrapé par les questions écologiques, il l’a été aussi par des choses plus terre à terre, comme l’aspect financier. Il y a quelques années, les caveaux étaient en concession à perpétuité, ce qui n’existe plus désormais. Contrairement à la nature qui offre d’infinies possibilités, les sépultures comportent un nombre de places limitées et les mises en bière dans des cercueils en bois massif coûtent cher.

Mais si les projets privés de jardins de mémoire se sont développés à la fin des années 1990, c’est, selon Clément Legrand, moins pour des questions écologiques « que pour être en dehors des cimetières parfois en décrépitude et impersonnel ». Aujourd’hui, la vague autour des funérailles vertes pourrait un jour les remettre au goût du jour. En janvier, une proposition de loi demandant l’expérimentation de l’humusation a ainsi été portée par plusieurs députés français. Un sujet qui est donc loin d’être définitivement enterré.