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70 ans après, la folie collective de Pont Saint-Esprit est toujours un mystère, mais sans lien avec les chemtrails

A plusieurs dizaines de kilomètres d’Avignon, le village de Pont-Saint-Esprit, dans le Gard, porte encore aujourd’hui un lourd mystère. Aux débuts des années 1950, la commune aurait été mystérieusement aspergée de LSD par la CIA. « Quels sont leurs projets ? », « Expérience dans quel but ? », questionne une vidéo publiée sur TikTok et largement repartagée sur Facebook depuis le mois de décembre dernier.

La vidéo montre l’extrait d’un journal télévisé diffusé sur France 3. « Aux débuts des années 1950 à Pont-Saint-Esprit, dans le Gard, les habitants avaient été pris de folies, cinq d’entre eux avaient été tués ». A l’origine, le pain du boulanger avait été pointé du doigt comme le principal suspect avant que des révélations éclatent sur l’implication du service de renseignement américain dans l’affaire.

Mais d’après l’internaute, cette affaire serait également liée aux chemtrails, ces traînées blanches laissées dans le ciel par les avions. Afin de mieux comprendre, 20 Minutes a fait un petit voyage dans le temps.

FAKE OFF

Nous sommes au mois d’août 1951 à Pont-Saint-Esprit. Dans ce petit village médiéval du Gard, la folie s’empare des habitants. Le responsable de l’affaire ? Le pain vendu par un boulanger, Monsieur Briand. Ce dernier aurait pourtant été prévenu de la possible contamination de ses produits, mais aurait continué à les vendre, rappellent des documents de l’Institut national d’audiovisuel (INA). 

Il faut également prendre en compte le contexte. Nous sommes à la fin de la Seconde Guerre mondiale et la famine reste très présente en France. La plupart des produits sont importés sauf… le pain. « Les grands moulins de Corbeil et la minoterie marseillaise sont quasiment les seuls en charge du ravitaillement de ce territoire, créant un dangereux monopole. Le prix du pain, fixé administrativement, les pousse à réduire au maximum leur coût, provoquant la commercialisation de farine de très mauvaise qualité », restitue le site Revue histoire.

La tragique « Nuit de l’apocalypse »

A partir du 16 août, les médecins de Pont-Saint-Esprit notent des premiers symptômes inquiétants faisant penser alors à une intoxication alimentaire collective : des vomissements, des frissons ou des maux de tête. Mais dans les semaines suivantes, la situation s’aggrave. Dans la nuit du 25 au 26 août – « la Nuit de l’apocalypse », comme l’appelleront les médias – les habitants sont pris de lourdes hallucinations. D’autres tentent même de se jeter par la fenêtre. Au total, l’incident aura fait sept morts et plus de 250 personnes intoxiquées. Une trentaine d’entre eux seront même internés.

Les semaines suivantes, l’enquête conclut à la négligence d’un meunier de la Vienne. Le pain est également envoyé en laboratoire pour connaître la mystérieuse bactérie amenant la folie collective dans la commune. Mais au départ, aucune trace de poison n’est retrouvée parmi les échantillons.

Aucune thèse vraiment plausible

Fin août, un professeur annonce ses conclusions au juge d’instruction de Nîmes. Les résultats montrent la présence « d’une substance présentant les caractères d’identification toxicologiques et biologiques des alcaloïdes de l’ergot parasite de céréales », relate le magazine Phytoma. Autrement dit un champignon parasite secrétant de l’acide lysergique, un dérivé du LSD. Mais l’hypothèse est finalement abandonnée car très peu probable. En effet, l’ergotisme était une maladie davantage présente au Moyen-Âge. Mais à l’époque des faits, sa présence reste minime.

D’autres hypothèses voient également le jour, notamment celle du mercure. Des experts imaginent que la farine du pain a pu être accidentellement souillée lors de sa conservation. Seulement cette version déplaît aux meuniers qui demandent une thèse plus précise. Résultat, les conclusions montrent finalement l’impossibilité de cette version.
D’autres thèses comme la moisissure, la contamination de l’eau ou le blanchiment de la farine sont également étudiées, mais les enquêtes ne mènent toujours à rien.

L’implication de la CIA ?

Alors que s’est-il réellement passé dans la commune de Pont-Saint-Esprit ? En 2009, soit presque soixante ans après l’affaire, une dernière piste fait son apparition : celle de l’implication de la CIA. Dans son livre Une terrible erreur : le meurtre de Frank Olson et les expériences secrètes de la guerre froide de la CIA, le journaliste américain Hand Albarelli révèle que l’agence de renseignement aurait organisé plusieurs tests chimiques en aspergeant du LSD par pulvérisation aérienne.

Enquêtant à l’origine sur le suicide d’un biochimiste Frank Olson, le journaliste se sert d’une conversation entre un agent de la CIA et un chimiste du laboratoire Sandoz, Albert Hoffman – créateur du LSD. Une nouvelle thèse semble donc se dessiner, celle d’une expérimentation secrète de la CIA. Le but de l’opération ? Expérimenter les effets du LSD auprès de la population civile.

« C’est simplement de la connerie »

Mais, très vite, des historiens réfutent cette hypothèse. C’est notamment le cas de Steven Kaplan, auteur du Pain maudit, retour sur la France des années oubliées. « Il y a tellement de différences entre les symptômes du LSD et ceux vécus à Pont-Saint-Esprit, ce n’est juste pas possible », soulignait-il au micro d’Affaires sensibles, sur France Inter. Pour lui, cette hypothèse ne collerait en effet pas avec la période de l’histoire. « La priorité américaine, c’était de rassurer la France […] et certainement pas de prendre comme expérience une petite ville bombardée par les Américains ». Par ailleurs, toujours d’après l’historien, le LSD serait une drogue trop puissante et toxique pour être diffusée dans les airs et ne toucher que 300 personnes. « C’est simplement de la connerie », concluait-il face à Fabrice Drouelle.

Par ailleurs, la vidéo publiée sur Tik Tok associe l’affaire aux chemtrails, des traînées blanches créent après le passage des avions dans le ciel. Une théorie du complot vieille de plusieurs décennies qui imagine l’organisation d’opérations secrètes dans les airs laissant se propager de nombreux produits chimiques auprès des populations civiles. Ce serait l’œuvre des géants de la Big Pharma qui laisseraient se diffuser des pesticides cancérigènes pour augmenter leurs ventes de traitements par la suite. Une théorie qui n’a toutefois jamais été validée.