Belgique

Un sandwich au Starbucks a changé la vie d’Alexia Bertrand : « Elle aurait pu faire comme Paris Hilton mais elle préfère se chamailler au kern »

Un appel téléphonique bouscule soudain son agenda. Egbert Lachaert, le président de l’Open VLD, veut la voir d’urgence. La politique vient la rechercher. Par le haut. Au sein du gouvernement De Croo, la libérale flamande Eva De Bleeker est en train de sombrer. Le député N-VA Sander Loones a découvert une incohérence dans les comptes publics s’élevant à 1,7 milliard d’euros. Le déficit fédéral est plus profond qu’annoncé et la position de la secrétaire d’État au Budget vacille. Au parlement, l’opposition se déchaîne.

Egbert Lachaert doit anticiper. Si les heures qui suivent se passent mal pour Eva De Bleeker, Alexia Bertrand est-elle prête à monter au feu ? Prise par sa formation, cette dernière demande au patron des libéraux flamands de venir à sa rencontre à City 2, près des locaux où se transmet l’art des soins palliatifs.

Les grandes décisions se prennent parfois dans un décor prosaïque. Sur le temps de midi, c’est au Starbucks du centre commercial bruxellois que Lachaert lui explique son plan. “J’ai besoin de quelqu’un de Plug and Play”, de quelqu’un d’immédiatement opérationnel, lui assure-t-il à plusieurs reprises. Pas d’hésitation, elle accepte. Et, sans avoir pu terminer son sandwich, retourne à sa formation.

Vincent De Wolf tombe des nues…

Le lendemain après-midi, le scénario se confirme. Eva De Bleeker, dans une situation intenable, doit démissionner. Le Palais transmet aux rédactions le communiqué de presse annonçant son remplacement par Alexia Bertrand. Tout se précipite, elle n’a pas le temps de prévenir ses proches. Elle reçoit des dizaines de messages la félicitant. Son vieux smartphone n’arrive plus à suivre et semble prêt à rendre l’âme. Sur le groupe WhatsApp familial, les enfants d’Alexia Bertrand l’interrogent : qu’implique au juste ce mandat de “Staatssecretaris “ ? “Ah, cela veut dire ministre ? Félicitations maman !

Chez les libéraux francophones, les esprits s’embrouillent. Après un moment de flottement, on commence à comprendre ce qu’implique cette arrivée au sein du gouvernement De Croo. Oui, l’ancienne cheffe du groupe MR au Parlement bruxellois monte dans l’exécutif fédéral… mais en tant qu’Open VLD. Alexia Bertrand doit l’expliquer par téléphone à Vincent De Wolf, bourgmestre MR d’Etterbeek. “Mais alors tu vas à l’Open VLD ?”, s’écrie-t-il. Comme beaucoup, il tombe des nues.

Le MR a eu du mal à digérer le passage d’Alexia Bertrand à l’Open VLD

Direction le Palais royal. Devant le chef de l’État, Alexia Bertrand est troublée et, au moment de prêter serment, oublie de lever la main. Le Roi ne le lui fait pas remarquer. Ayant pris conscience de sa petite gaffe, elle se corrige. Dans la foulée, une conférence de presse au siège de son nouveau parti est organisée. Allez-vous démissionner de vos mandats, lui demande un journaliste flamand ? “Je démissionne de tous mes mandats”, tranche-t-elle. Rien n’avait été préparé, mais elle savait qu’elle n’avait pas le choix. En particulier, elle quitte son siège au conseil d’administration de la holding anversoise Ackermans&van Haaren (AvH), dirigée par son père, Luc Bertrand.

Une route périlleuse

La voilà jetée dans l’arène fédérale. Ce niveau de pouvoir est difficile, frénétique, mais il l’attire. Et elle le connaît bien. Alexia Bertrand a été la cheffe de cabinet de Didier Reynders (MR) lorsqu’il était vice-Premier ministre. Il n’empêche, passer d’un parlement régional au gouvernement De Croo produit un choc. “Je n’ai plus la maîtrise de mon agenda”, euphémise-t-elle dans un demi-sourire.

Alexia Bertrand prend ses fonctions dans un climat délétère. Après avoir fait rouler au sol la tête d’Eva De Bleeker, les députés N-VA veulent pousser leur avantage. Électoralement, les libéraux flamands constituent une cible pour le parti de Bart De Wever. Le moindre couac supplémentaire serait un désastre pour Alexander De Croo, pour sa nouvelle secrétaire d’État au Budget et pour tout l’Open VLD.

Eva De Bleeker (Open VLD) s’était exprimée à l’égard de sa démission.

À 43 ans, la libérale s’est engagée sur une route périlleuse parsemée de chausse-trapes… Les comptes publics ? Tout le monde n’est pas capable de gérer ce portefeuille austère. En 2015, lorsque Sophie Wilmès (MR) était sortie des rangs parlementaires pour devenir ministre du Budget, Alexia Bertrand s’était dit qu’elle n’aurait pas pu accepter de telles compétences. Mais son regard sur ces matières a évolué. “Le budget, c’est génial, s’enthousiasme-t-elle. C’est passionnant. La technique budgétaire est amusante quand on la comprend. Cela demande un petit effort pour rentrer dedans mais ce n’est pas de l’astrophysique.”

Son portefeuille est transversal par essence. Les ministres du Budget, quel que soit le niveau de pouvoir, ont un œil sur les dossiers de leurs collègues, ce qui leur confère un avantage politique. Pour celui ou celle qui sait la manier, cette fonction aux apparences arides peut aussi être un tremplin. Le cas de Sophie Wilmès, passée des comptes de l’État au 16, rue de la Loi, l’illustre.

“Elle aurait pu avoir une vie d’héritière”

Pour l’instant, Alexia Bertrand n’abuse pas de la force de frappe que lui confère son poste. Elle se voit plutôt comme la “gardienne du temple” : elle veut préserver la santé des finances publiques. Elle ne met pas de bâton dans les roues de ses collègues. Même avec les socialistes, qui ont pourtant une vision plus généreuse de la dépense publique que les libéraux…

Un ministre PS le confirme : “Alexia joue un rôle central. Sa relation en tandem avec Alexander De Croo marche bien. Elle se sent beaucoup mieux à l’Open VLD qu’au MR, je crois… Elle est très correcte et professionnelle. Parfois, on sent bien qu’elle n’est pas allée se balader dans des familles de chômeurs. On sent qu’elle est parfois déconnectée à l’égard de ces situations. Comme disait Rabelais, la moitié du monde ne sait pas comment l’autre moitié vit. En même temps, dans le spectre de ces personnes qui ont grandi dans des milieux ultra-privilégiés, c’est incroyable qu’elle ait un tel parcours, un tel engagement politique et social. Elle aurait pu avoir une vie d’héritière à la Paris Hilton. Mais elle a préféré faire des études brillantes et aller se chamailler au kern…

guillement

Dans le spectre de ces personnes qui ont grandi dans des milieux ultra-privilégiés, c’est incroyable qu’elle ait un tel parcours, un tel engagement politique et social.« 

Son père, justement, qu’en pense-t-il ? Juriste diplômée de Harvard et de l’UCLouvain, avocate spécialisée en droit financier et en droit des sociétés, Alexia Bertrand aurait pu suivre une voie dorée dans le privé. “Il a été surpris mais heureux de ma nomination par l’Open VLD, confie-t-elle. Il respecte mon choix. Il m’a dit qu’il ne connaissait pas le monde politique et qu’il ne pouvait pas me donner de conseils pour ma carrière. C’était gentil de sa part mais je ne lui avais de toute façon rien demandé… S’il y a un truc qu’il m’a appris, c’est l’indépendance d’esprit. Si j’étais passée chez les Engagés ou chez Défi, par exemple, je pense qu’il n’aurait pas compris. On lui a prêté beaucoup d’appartenances politiques : N-VA, CD&V… Sur le plan socio-économique, il est clairement libéral. Ce que je sais, c’est que depuis que je fais de la politique, il vote pour moi (rires).

À l’aise chez les libéraux flamands

Même si elle a gardé sa carte de membre du MR, elle n’a pas l’intention de faire marche arrière. Les libéraux flamands lui ont donné sa chance alors qu’elle voyait sa route barrée au sein du parti de Georges-Louis Bouchez. Ses espoirs avaient été douchés lorsque le jeune président lui avait préféré Hadja Lahbib pour remplacer Sophie Wilmès aux Affaires étrangères en juillet 2022.

Idéologiquement, elle est en symbiose avec la ligne de l’Open VLD. Notamment, en matière de transition écologique. Les libéraux flamands sont plus progressistes que le MR sur les questions éthiques et cela convient à leur nouvelle recrue, même si des nuances existent. “Je ne vais pas militer activement à titre personnel pour l’extension du délai légal pour l’avortement, confie-t-elle. C’est une vraie question de société. Aller jusqu’à vingt semaines, ce n’est pas une évidence. Il y a une marge entre 12 et 20 semaines. Mais l’Open VLD respecte la liberté éthique de ses élus comme le MR le fait. Je me considère comme progressiste et je défends le libre choix des femmes. Cela n’empêche pas que la question du délai doit être bien examinée.

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Je ne vais pas militer activement à titre personnel pour l’extension du délai légal pour l’avortement. C’est une vraie question de société. Aller jusqu’à vingt semaines, ce n’est pas une évidence.« 

Une formation à l’intégrité

Au-delà du très sérieux défi budgétaire auquel la Belgique est confrontée, la secrétaire d’État traverse comme le reste de l’exécutif fédéral une période difficile. Les démissions se sont multipliées au sein du gouvernement De Croo : Sarah Schlitz, Meryame Kitir, Eva De Bleeker… Désormais, c’est au tour de Petra De Sutter, la vice-Première ministre Groen, d’être sur le gril dans le dossier bpost. Plus généralement, les révélations se succèdent sur les “surpensions” des députés, les dépenses de prestige au Parlement wallon, les accusations de corruption au Parlement européen… Toute la classe politique est sous pression.

Au sein de son cabinet, elle a demandé pour ses 22 collaborateurs et elle-même une formation à l’intégrité donnée par l’administration fédérale. Estompement de la norme, contournement des règles… Ces écueils menacent inévitablement les cabinets ministériels qui sont autant de lieux de pouvoir. Personne n’est immunisé, le croire est un leurre, avertit avec fatalisme Alexia Bertrand. L’histoire qui touche Petra en est la meilleure preuve. Ceux qui la connaissent ne doutent pas de son intégrité. ”

Prime Minister Alexander De Croo and State Secretary for Budget Alexia Bertrand pictured during a press conference of the Federal Government on the budget, Thursday 30 March 2023 in Brussel. BELGA PHOTO NICOLAS MAETERLINCK
Le tandem entre le Premier ministre Alexander De Croo et Alexia Bertrand fonctionne bien. Et c’est un socialiste qui le dit….

Elle se présentera à Bruxelles

Il reste un an avant les prochaines élections et, déjà, certains prêtent de grandes ambitions à la secrétaire d’État. Un plus gros portefeuille dans un prochain gouvernement ? Vice-Première ministre ? Impossible de le deviner, trop de facteurs entrent en jeu. Tout dépendra, pour commencer, du score de l’Open VLD avec lequel Alexia Bertrand a lié son sort. Le parti du Premier ministre n’est pas en grande forme. Pourra-t-il se maintenir dans la prochaine majorité ?

Un problème à la fois. D’abord, le scrutin fédéral. Elle espère pouvoir ramener un siège aux libéraux flamands dans la circonscription bruxelloise. Lors de la discussion avec Egbert Lachaert préalable à sa désignation dans l’équipe De Croo, elle avait mentionné sa volonté de rester politiquement implantée dans la capitale. Une liste commune avec le MR est en cours d’élaboration et Alexia Bertrand devrait y figurer à la troisième ou la quatrième place, ce qui lui donne toutes les chances d’entrer à la Chambre.

Une liste commune MR/Open VLD est en préparation à Bruxelles.