Belgique

Schild&Vrienden : “Il y a aujourd’hui un essoufflement de ce mouvement qui a connu son heure de gloire il y a quelques années”

Schild&Vrienden ? Cette formule néerlandaise donne d’emblée le ton. Elle est tirée d’un épisode sanglant des Mâtines de Bruges. Le 18 mai 1302, les Brugeois auraient massacré toutes les personnes incapables de prononcer correctement le son “sch” de l’expression Schild en vriend (Bouclier et ami), trahissant par là leur identité française. Cet évènement est au cœur de l’imaginaire flamand et de ses mythes. Il débouchera sur la bataille des Éperons d’Or, à Courtrai, le 11 juillet 1302. Mais le mouvement créé par Dries Van Langenhove n’est pas que nationaliste. Il puise son idéologie dans des eaux bien plus noires…

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En quoi Schild&Vrienden est-elle d’extrême droite ?

Schild&Vrienden est clairement une organisation d’extrême droite. Elle fait partie d’une constellation d’acteurs qui gravitent les uns autour des autres avec un fond idéologique commun reposant sur une vision profondément inégalitaire de la société, un nationalisme exacerbé et des moyens d’action qui mettent sous tension la démocratie libérale. Ce mouvement a été créé en 2017 comme une communauté virtuelle mais s’est rapidement structuré pour tenter de mieux défendre ses idées dans une perspective métapolitique.

C’est-à-dire ?

Il s’agit pour Schild&Vrienden et Dries Van Langenhove de mener une action politique en amont de l’action politique institutionnelle. Cette stratégie est directement inspirée par Alain de Benoist (journaliste et essayiste français classé à l’extrême droite) et ses amis de la “Nouvelle droite” (mouvement intellectuel polymorphe créé notamment en réaction aux troubles de mai 68 en France). Alain de Benoist envisage, en amont de la bataille politique, une bataille culturelle elle-même en lien avec la notion d’hégémonie culturelle théorisée par le communiste italien Antonio Gramsci.

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“Le Belang voulait pouvoir compter sur Dries Van Langenhove pour affronter Theo Francken”

Cette volonté d’action à la source est très relative puisque, rapidement, Schild&Vrienden se rapproche du Vlaams Belang (VB). Cette alliance entre d’ailleurs en contradiction avec la volonté d’adoucissement de l’image du président du VB, Tom Van Grieken.

Ces rapports peuvent sembler ambigus, en effet. Le VB tente de se dédiaboliser mais sans aller aussi loin que ce que l’on connaît aujourd’hui au Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen et de Jordan Bardella. Quelques personnalités du Vlaams Belang sont allées fleurir la tombe du fondateur du parti, Karel Dillen. Des cadres historiques – je pense surtout à Filip Dewinter – entretenaient des rapports avec Aube Dorée en Grèce, un parti ouvertement néonazi. En fait, le Vlaams Belang marche sur des œufs afin de continuer à tirer derrière lui la frange la plus radicale de son électorat tout en élargissant sa base en se dédiabolisant. Le parti a senti très rapidement, après la diffusion du reportage de la VRT sur Schild&Vrienden en 2018, qu’il y avait une opportunité électorale à saisir. Entre autres, le VB voulait pouvoir compter sur Dries Van Langenhove dans le Brabant flamand pour affronter Theo Francken (N-VA) sur ses terres.

Dries Van Langenhove a été élu député fédéral en 2019 sur une liste du Vlaams Belang, mais il a soudainement quitté la Chambre au début de cette année. Il avait eu des mots très durs contre le système parlementaire à l’occasion de son départ. L’idéologie de Schild&Vrienden coche décidément toutes les cases de cette nouvelle extrême droite antisystème qu’on voit se répandre aux États-Unis ou en Europe…

Schild&Vrienden coche toutes les cases de l’extrême droite ; et même certaines cases supplémentaires en s’inscrivant dans la branche la plus droitière du nationalisme flamand. Pour le reste, ses positions sont très nettes : opposition à l’immigration, aux médias traditionnels, à un enseignement présenté comme partisan et “wokiste”… Le rapport au religieux est intéressant à examiner : cette organisation n’est pas profondément catholique mais, sur le plan identitaire, Schild&Vrienden se dit en faveur de la défense des traditions, de l’histoire et de l’héritage d’une Europe chrétienne. Dries Van Langenhove a un comportement très conservateur sur le plan bioéthique et de la transidentité. Il défend une vision traditionnelle et patriarcale de la société. Cela relève, d’ailleurs, du point de vue défendu presque systématiquement par l’extrême droite.

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Dans votre étude, vous établissez un lien entre Schild&Vrienden et Génération identitaire en France, organisation qui a été interdite en 2021. Va-t-on vers une dissolution de Schild&Vrienden également ?

C’est une question importante. En Belgique, il y a eu des débats à la Chambre pour actualiser la loi de 1934 qui prévoit l’interdiction des milices privées. Cette loi a été difficile à appliquer notamment parce que la plupart des mouvements visés sont dépourvus de personnalité juridique. Désormais, ces organisations sont encore plus poreuses car elles existent principalement sur les réseaux sociaux. Les tentatives de révision de la loi visent à renforcer l’arsenal juridique et judiciaire pour permettre l’interdiction d’une organisation comme Schild&Vrienden. Il faudra donc voir s’il y a une évolution législative. Mais Schild&Vrienden va peut-être disparaître d’elle-même, à petit feu. Lors de sa création, cette organisation était avant tout étudiante. Depuis lors, ses membres sont entrés sur le marché du travail et sont peut-être moins actifs ou moins militants. Il y a aujourd’hui un essoufflement de ce mouvement qui a connu son heure de gloire il y a quelques années.

La France est-elle plus ferme que la Belgique face à ces mouvements ?

En France – et c’est aussi le cas en Allemagne -, il existe une tradition de dissolution plus importante qu’en Belgique à l’égard des extrêmes politiques ou des fondamentalismes religieux. Il y a quelques semaines, Gérald Darmanin (ministre français de l’Intérieur) a annoncé sa volonté de dissoudre l’organisation d’extrême droite Civitas, par exemple.

Dries Van Langenhove, ex-député élu sur une liste Vlaams Belang et fondateur du mouvement d'extrême droite Schild & Vrienden.
Dries Van Langenhove, ex-député élu sur une liste Vlaams Belang et fondateur du mouvement d’extrême droite Schild & Vrienden. ©BELGA Nieuwsbrief

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