Belgique

Paul Van Tigchelt à La Libre: « Il faut être réaliste : la drogue, on ne va pas s’en débarrasser, mais on peut limiter la violence qui en découle »

Je ne crois pas avoir été dur. Mais en tant que nouveau ministre de la justice, je prends mes responsabilités et je dis les choses qui doivent être dites. Je suis un pragmatique et, peu importe la fonction occupée, j’ai toujours pris mes responsabilités. Mais – et je l’ai déjà dit – je souhaite que toutes les personnes impliquées et concernées par le fonctionnement de la justice fassent leur job et prennent, elles aussi, leurs responsabilités. Je suis le premier soutien des magistrats, je l’ai moi-même été. Je n’ai pas besoin d’être convaincu de la dureté de la fonction, je sais ce que c’est. Cela étant dit, j’estime que nous tous, dans le monde judiciaire, devons faire notre possible pour éviter les dysfonctionnements comme dans la gestion du dossier de l’auteur de l’attentat du 16 octobre à Bruxelles. Certes, l’adage dit que l’erreur est humaine. Mais selon l’expression complète : “Errare humanum est, perseverare diabolicum”. Persévérer dans l’erreur, c’est diabolique, c’est une erreur. Mon but n’est pas de faire mal, mais d’avancer.

Sauf qu’il y a un autre problème mis en avant, notamment, par des magistrats : les manques de moyens de la justice. Prendre ses responsabilités, dans un tel contexte, est-ce possible ?

J’entends ces critiques, et je suis à l’écoute. Mais c’est injuste d’évoquer, dans le cas du parquet de Bruxelles, le manque de moyens pour justifier le fait qu’un dossier a été mis au placard pour être oublié. Il y avait 31 dossiers de ce type qui devaient être pris en charge, 30 ont été traités. Face à un tel constat, c’est difficile de défendre l’absence du traitement de ce dossier par un manque de moyens.

Un milliard pour la justice, 320 millions pour la police: le plan ambitieux des Engagés pour redynamiser les fonctions régaliennes

C’est donc plutôt un problème de gestion au sein du parquet de Bruxelles ?

Ce n’est pas à moi de répondre à cette question. Des enquêtes sont en cours, tant en interne au sein du parquet de Bruxelles, que de la part du Conseil supérieur de la Justice. Il faudra attendre les conclusions de ces enquêtes avant de tirer des conclusions.

Est-il vrai qu’à une certaine époque, le parquet de Bruxelles fonctionnait avec moins de moyens, tout en étant plus efficace ?

Je n’ai pas d’informations chiffrées à ce sujet, mais c’est possible. Ce que je sais, c’est que nous n’avons pas attendu l’attentat du 16 octobre pour octroyer des moyens supplémentaires au parquet de Bruxelles. Avant même les attentats, un budget de plus de 3 millions a été investi dans le renforcement du parquet de Bruxelles grâce aux moyens supplémentaires alloués à la Justice. Au total, il y a eu 55 personnes – parmi lesquelles la plupart ont été engagées – dont 9 magistrats. À côté de cela, des procédures étaient déjà en cours avant l’attentat pour le recrutement de 14 magistrats supplémentaires. En vertu de l’accord du 21 octobre survenu au sein du gouvernement, onze places de magistrats et quinze places pour des juristes de parquet ont déjà été publiées, le 31 octobre 2023. Donc il y a eu un réel investissement : le budget de la justice a évolué sous cette législature de 1,9 milliard d’euros à 2,6 milliards d’euros. Mais il est vrai qu’à Bruxelles, il y a un problème dû au fait qu’un nombre important de personnes s’en vont et ces départs peinent à être remplacés. Nous agissons, mais cela prend du temps.

« Nous sommes confrontés au narcoterrorisme, mais la Belgique est loin d’être un narco-état, au contraire. Nous sommes extrêmement durs face à cette forme de criminalité, c’est véritablement une priorité pour la justice et pour la police. Et puis, la situation en Belgique, aussi préoccupante soit-elle, ne ressemble pas à ce que l’on voit, par exemple, chez nos voisins Néerlandais. »

Il y a d’autres tensions vives dans le monde de la Justice, par exemple avec la présidente de la Cour d’appel de Bruxelles, Laurence Massart – dont la prolongation à son poste a été refusée, décision qu’elle a contesté devant la justice où elle a eu gain de cause. Il y a aussi le fait que le Conseil supérieur de la Justice n’a pas choisi de remplaçant à Johan Delmulle qui doit bientôt quitter le parquet général de Bruxelles. Vous n’avez pas peur des conséquences ?

Il ne faut pas non plus dramatiser la situation. Concernant ce qui s’est passé avec le Conseil supérieur de la justice sur la non-nomination d’un nouveau procureur général à Bruxelles, je ne peux pas m’exprimer. À propos de Laurence Massart, je ne peux rien dire non plus.

Où en êtes-vous dans votre lutte contre les narcotrafiquants ?

Chaque jour, des personnes sont interpellées. Le grand défi, c’est d’ailleurs de faire venir les cerveaux de ces organisations criminelles. La plupart vivent à l’étranger, aux Émirats arabes unis entre autres. Il y a un accord d’extradition qui doit permettre de faire venir ces individus en Belgique et de les juger. Du côté de la Belgique, tout est prêt. Nous attendons que nos partenaires d’autres pays agissent. Parce que le narcotrafic, ça n’est pas un problème belge, c’est un problème mondial.

« Trafiquants de drogue, d’armes et de cigarettes se croisent s’il y a des intérêts communs. Sinon, c’est chacun sa spécialité »

Mais la Belgique est, dans ce réseau mondial, un pays important. On parle souvent de narco-état…

Nous sommes confrontés au narcoterrorisme, mais la Belgique est loin d’être un narco-état, au contraire. Nous sommes extrêmement durs face à cette forme de criminalité. C’est véritablement une priorité pour la justice et pour la police. Et puis, la situation en Belgique, aussi préoccupante soit-elle, ne ressemble pas à ce que l’on voit, par exemple, chez nos voisins néerlandais. Maintenant, je ne vais pas dire comme certains qu’on va “gagner la guerre contre la drogue”. Il ne faut pas être défaitiste, mais il faut aussi être réaliste : la drogue, on ne va pas s’en débarrasser, mais on peut limiter ses effets, la violence qui en découle. C’est possible en s’attaquant à la colonne vertébrale de la mafia. Je suis convaincu qu’on y arrivera comme l’Italie et les États-Unis l’ont fait.

Pour y arriver, vous évoquez souvent la volonté de “taper au portefeuille” de la mafia ?

C’est tout l’enjeu de notre stratégie “follow the money”. Rien qu’au mois d’octobre, 40 tonnes de cocaïne ont été saisies par les douanes. Quand cette drogue est mélangée à d’autres produits avant d’être revendue, on en arrive à 80 tonnes. Sachant qu’un gramme coûte 50 euros, cela signifie que ce que nous avons interpellé, c’est l’équivalent de 4 milliards d’euros, soit plus ou moins l’équivalent du budget fédéral de la justice et de la police. Donc évidemment que cibler l’argent, c’est faire du tort aux mafias.

Paul Van Tigchelt est un magistrat et un homme politique belge flamand membre de l'Open Vld. Depuis le 22 octobre 2023, il est vice-Premier ministre de Belgique et ministre fédéral de la Justice chargé de la mer du Nord dans gouvernement d'Alexander De Croo
Paul Van Tigchelt est un magistrat et un homme politique belge flamand membre de l’Open Vld. Depuis le 22 octobre 2023, il est vice-Premier ministre de Belgique et ministre fédéral de la Justice chargé de la mer du Nord dans gouvernement d’Alexander De Croo ©cameriere ennio