Belgique

Mohamed Abrini raconte « son » 22 mars à Zaventem

Et, pourquoi ne pas avoir empêché – ou à tout le moins avoir tenté de dissuader – les deux autres terroristes de déclencher leurs bombes qui tueront 16 personnes et en blesseront des dizaines d’autres ?

Jeudi, lors de son interrogatoire mené par les magistrats de la cour d’assises, Mohamed Abrini, n’a, pas plus qu’en cours d’instruction, véritablement convaincu. Mais il n’a pas éludé les nombreuses questions qui lui ont été posées sur la genèse des attentats.

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À l’entendre, Mohamed Abrini a quitté quelques jours la planque de la rue Max Roos à la mi-mars après l’arrestation de Salah Abdeslam le 18 mars 2016. Il est revenu le lundi 21 mars en soirée dans l’appartement de la rue Max Roos, d’où partiront, le lendemain à 07 h 15 à bord d’un taxi, les trois terroristes de Zaventem.

”Salah Abdeslam a été arrêté et cela s’est enchaîné rapidement. Le plan A est tombé à l’eau”, a dit Abrini, après avoir indiqué qu’initialement la cellule comptait frapper l’Euro de football qui devait se tenir en juin 2016 en France. Et de préciser que, même pour ces plans pour l’Euro, “je savais que je n’allais pas y aller”.

”Il va y avoir un drame”

La veille du 22 mars, quand il rentre à Max Roos, il voit les sacs chargés d’explosifs dans le hall de la planque. “Je sais qu’il va y avoir un drame”, dit-il. Mais il dit ne pas connaître les plans. Il sait toutefois qu’il y a deux projets car un des deux terroristes de Maelbeek est venu chercher deux sacs d’explosifs le 21 mars en soirée.

Le même soir, les testaments sont envoyés et des photos en armes du trio sont prises dans l’appartement : “Il n’y a pas besoin d’avoir un diplôme en physique nucléaire pour savoir que c’est le package du djihadiste qui va passer à l’action”.

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Mais il insiste : “Je savais que je n’allais pas me faire exploser”. Il ne dira rien à ses deux comparses. Dans le taxi, qui les emmènera à Zaventem, Mohamed Abrini est resté silencieux. “J’étais en train de réfléchir comment leur dire que je n’allais pas y aller”, dit-il.

Une fois dans le hall des départs, Najim Laachraoui et Ibrahim El Bakraoui regardent les écrans des départs pour notamment vérifier les vols pour les États-Unis. Abrini est en retrait. Le trio prend une consommation au Délifrance. “Sans doute parce que les gens n’étaient pas encore dans les rangées” des comptoirs d’enregistrement pour les États-Unis, décrypte Abrini.

C’est au Délifrance que “Najim Laachraoui a installé les piles et effectué les branchements” pour le système de mise à feu, a expliqué Mohamed Abrini.

”Je ne fais pas ça”

Ibrahim El Bakraoui a alors expliqué qu’Abrini serait le premier à devoir déclencher sa bombe et lui a désigné la rangée. “On me montre du doigt la file. J’ai fait demi-tour immédiatement et c’est là que je me décide à leur dire. Je vois des femmes, des enfants. Je les vois de loin, je fais demi-tour directement. Je leur dis que je ne fais pas ça”, a raconté Mohamed Abrini.

Lorsque le premier terroriste déclenche, il dit avoir senti le souffle. “Je l’ai sentie cette chaleur. J’ai eu des vibrations dans la jambe pendant un mois et demi”. Il sait qu’il y aura une deuxième explosion et, en prévision, “je mets mes mains dans mes oreilles”.

Il abandonne son chariot avec le sac d’explosifs contre une poutre, avant de s’enfuir. Mais il ne désamorce pas le système de mise à feu. “Cela aurait été très dangereux d’ouvrir le sac, de tirer les câbles. Cela aurait été un risque”, justifie-t-il. Et face à la présidente qui insiste sur sa connaissance de ce “risque majeur”, il est quelque peu fataliste : “Que voulez-vous ? La panique, la pagaille, le stress”.

Mohamed Abrini n’a pas tenté de dissuader ses deux comparses : “Comment voulez-vous que je les dissuade ? Pour Najim, c’était dans la logique de faire cesser avec des représailles les bombardements en Syrie”.

À l’entendre, lors de discussions, Najim Laachraoui lui avait dit qu’en Syrie, les bombes ne faisaient pas la distinction entre les femmes et les enfants. “Ma connaissance de la religion est alors proche de zéro. C’est compliqué de venir avec des arguments”, justifie-t-il.

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Cette volonté de ne pas se faire exploser et de s’enfuir expliquerait que, à l’inverse des deux autres terroristes, Mohamed Abrini portait un chapeau, pour, reconnaît-il, dissimuler son visage. Il rentrera à pied à Bruxelles, sans plan précis : “Comme une personne en cavale ou un évadé. C’était la débrouillardise”.

Son intention était de retourner en Syrie. C’est là un projet, dit-il, qu’il nourrissait de longue date. “J’avais l’intention, bien avant le 22 mars, de repartir en Syrie car j’étais recherché”. Et Mohamed Abrini d’ajouter qu’il avait déjà renoncé à prendre part aux attentats du 13 novembre 2015 à Paris. “J’étais prévu pour le 13 novembre. C’est compliqué. Les événements se sont déroulés tellement vite”.