Belgique

La majorité Vivaldi proche de l’état de mort clinique

1. Fracture entre le PS et Alexander De Croo

Le Premier ministre avait ouvert les hostilités dimanche soir, veille de la Fête du travail. Devant ses militants réunis à Blankenberge, Alexander De Croo (Open VLD) avait salué la proposition de Vooruit, les socialistes flamands, visant à supprimer après deux ans les allocations de chômage des personnes qui n’acceptent pas “un emploi de base”. “La famille libérale a fait des propositions en ce sens” lors des discussions budgétaires de mars, a-t-il rappelé. Devinez qui a balayé ces propositions ? Je vous le donne en mille : les socialistes ! […] Mais, apparemment, les esprits ont mûri. C’est pourquoi nous remettrons nos propositions sur la table, au gouvernement, dans le cadre de la réforme fiscale.”

Le sang des socialistes francophones n’a fait qu’un tour. “Quand on est Premier ministre, on n’attaque pas ses partenaires de gouvernement, a tempêté Paul Magnette, président du PS, lundi. Quand on est Premier ministre, on se met au-dessus de la mêlée et on essaye de défendre l’intérêt général. Quand on est Premier ministre, on respecte l’accord de gouvernement. Ce point n’est pas dans l’accord de gouvernement, et donc nous n’en parlerons pas, punt aan de lijn.”

Les chômeurs contre les millionnaires : les discours du 1er mai donnent le coup d’envoi à la campagne électorale

Ahmed Laaouej, chef de file du PS à la Chambre, en a remis une couche mardi matin. “Alexander De Croo s’est comporté comme un chef de bande libéral. On va lui rappeler qu’il est d’abord Premier ministre, qu’il est comptable du respect de l’accord de gouvernement (et) qu’il doit faire vivre sa coalition, a-t-il dit sur les ondes de la RTBF. Il est rare de voir comme ça un Premier ministre torpiller les dossiers […] du gouvernement. […] Mais que les choses soient claires : nous sommes le premier parti de la coalition, on va lui rappeler qu’on n’est certainement pas d’accord avec sa proposition et sa méthode de travail.”

Le ton est déjà monté à plusieurs reprises entre le PS et le Premier ministre. Lorsque les éminences socialistes ont critiqué la méthode de travail d’Alexander De Croo, par exemple. Ou lorsque ce dernier a proposé sa propre version de la réforme des pensions, doublant ainsi la ministre en charge du dossier, Karine Lalieux (PS).

Malmenés dans les sondages, autour de 10 %, les libéraux flamands durcissent le ton depuis quelques semaines et, à un an des élections, réaffirment leur ADN en matière de fiscalité, d’emploi, de dépenses publiques. En tant pis pour le rôle de faiseur de compromis qu’est censé incarner le Premier ministre. Pour le PS, cette attitude passe mal, lui qui ne parvient pas à enrayer la progression du PTB.

2. Ces grandes réformes qu’on ne finit plus d’attendre

Un dernier missile pour la route. “Si le PS persévère à refuser une réforme du marché du travail, il crée un problème de gouvernement. Le PS aujourd’hui est l’élément bloquant de ce gouvernement”, a attaqué Georges-Louis Bouchez, président du MR, mardi matin, sur LN24.

Pour les distraits, on rappellera que ces échanges d’amabilités se font entre partenaires du gouvernement. Dans ce contexte, comment espérer que ceux-ci puissent encore dégager de grands accords d’ici les élections de 2024 ?

En matière de pensions, l’Europe demande à la Belgique de limiter l’impact budgétaire du bonus pension. Rien de compliqué a priori. Mais ce qui coince, ce sont les discussions sur une réforme plus large des pensions qui permettrait de contenir l’augmentation du coût des retraites.

En matière de fiscalité, tous les partis partagent l’objectif de diminuer l’impôt sur le travail. C’est sur la manière d’y parvenir que les opinions divergent. Par exemple, le MR réclame une diminution globale de la fiscalité (un tax cut), tandis que d’autres veulent un glissement fiscal (un tax shift) – ce que l’on donne d’un côté est compensé ailleurs sur le plan budgétaire. De même, le PS et les écologistes veulent une réforme qui profiterait aux bas et moyens revenus, alors que les libéraux et le CD&V estiment que tous les travailleurs doivent en tirer un bénéfice.

Enfin, on l’a vu de manière éclatante ce 1er mai, la réforme du marché du travail est une chimère. Or Georges-Louis Bouchez a lui même rappelé que tout est dans tout. “Si vous ne réformez pas le marché du travail, ça n’a pas de sens de réformer les pensions et vous ne savez pas faire de réforme fiscale.” Bref, c’est mal barré.

3. L’écart grandissant entre le PS et Vooruit

C’était l’un des grands enseignements du long exercice de formation gouvernementale de 2019-2020 : le retour des familles politiques. Les liens s’étaient renforcés entre socialistes flamands et francophones, entre libéraux, entre écologistes. Du côté d’Écolo et Groen, ils étaient déjà solides et ils le restent. Les relations entre le MR et Open VLD jouent à l’accordéon, mais on aura noté la présence d’Egbert Lachaert, président de l’Open VLD, au 1er mai des libéraux francophones à Tour et Taxis, signe sans doute d’une situation apaisée.

Dans les dossiers socio-économiques, des convergences sont en train d’apparaître entre les six partis de ce que l’on avait appelé la coalition Arizona.

Par contre, l’écart se creuse entre Vooruit et le PS. L’arrivée de Conner Rousseau à la tête du SP.A (précédent nom de Vooruit), en novembre 2019, s’était accompagnée d’un rapprochement avec le grand frère francophone. Le jeune socialiste flamand était sur la même ligne que le PS pour revaloriser les pensions, les bas salaires, le secteur des soins. Son mantra : l’amélioration des conditions de travail de “Debora, la caissière”. Physiquement aussi, Vooruit a emménagé dans les locaux du PS, au boulevard de l’Empereur, à Bruxelles.

Mais Conner Rousseau a ensuite pris des positions qui l’ont mis en porte-à-faux avec le PS. Par exemple lorsqu’il a dit ne plus se sentir en Belgique lorsqu’il circule à Molenbeek, une ville dirigée par Catherine Moureaux (PS). Lorsqu’il a menacé les francophones de ne pas donner “un seul euro supplémentaire […] à Bruxelles et à la Wallonie” s’ils refusent “des réformes majeures”. Lorsqu’on le voit se rapprocher de Bart De Wever, président de la N-VA. Et maintenant, lorsqu’il réclame une limitation des allocations de chômage dans le temps.

4. L’ombre de la coalition Arizona

La problématique du chômage est symptomatique. En 2019, seuls la N-VA et l’Open VLD proposaient dans leur programme électoral de limiter dans le temps (à deux ans) le versement des allocations. Depuis, Les Engagés, le MR et Vooruit se sont ralliés à la mesure, chacun avec ses nuances.

Dans les dossiers socio-économiques (emploi, pensions, fiscalité), des convergences sont en train d’apparaître entre le MR, l’Open VLD, le CD&V, Les Engagés, Vooruit et la N-VA, davantage qu’avec les écolos et le PS. Durant les négociations de 2019-2020, ces six partis avaient été cités pour constituer ce que l’on avait appelé la coalition Arizona. Et si la tentative était relancée après les élections de 2024 ?

On n’en est bien sûr qu’au stade des conjectures, basées sur une série de faits et déclarations. Rien n’est sûr, loin de là. Sur le plan arithmétique, il faudra que les six partis aient une majorité à la Chambre. Aujourd’hui, ils l’ont, mais pour un seul siège (76 sur 150). Sans doute trop court pour tenir toute une législature.

Sur le fond, une telle coalition n’aurait pas (c’est une quasi-certitude) la majorité nécessaire à une réforme de l’État. La N-VA devrait dès lors accepter une nouvelle fois de mettre en veilleuse l’essentiel de ses revendications institutionnelles. Une fameuse couleuvre à avaler.

L’édito de La Libre : La fracture du 1er mai