Belgique

”Des désignations politisées, mais parmi des gens compétents” : comment les partis influencent la désignation des hauts fonctionnaires

Le gouvernement bruxellois n’en finit par exemple pas de reporter la nomination de Marie-Pierre Fauconnier à la tête de Bruxelles Environnement, pourtant classée première par un jury, en raison du refus d’Ecolo de valider la candidature de l’ancienne CEO de Sibelga, étiquetée socialiste.

L’an dernier, la désignation du nouveau délégué aux droits de l’enfant a également donné lieu à des mois d’affrontements politiques entre les socialistes et les verts.

Chez Bpost, après plus de 6 mois, le conseil d’administration n’a toujours pas désigné de CEO.

En 2020, le Gerfa (Groupe d’étude et de réforme de la fonction administrative) a pointé une procédure “sur mesure ratée” pour recruter un nouveau directeur chez Wallimage.

La liste est encore longue de ces procédures que certains disent tronquées.

À quel niveau, précisément, le pouvoir politique peut-il tenter d’influencer un résultat ?

”Primo, via le descriptif de la fonction, qui n’est pas toujours neutre. Secundo, via la manière dont sont sélectionnés les jurys. Enfin, sur la manière dont sont entraînés les candidats”, résume John Pitseys, chef de groupe Ecolo au Parlement bruxellois.

guillement

Ce n’est pas parce que les gens sont politisés qu’ils sont incompétents. Mais on ne choisit pas forcément la personne la plus pertinente. »

Ce n’est pas parce que les gens sont politisés qu’ils sont incompétents. Mais on ne choisit pas forcément la personne la plus pertinente. Ce sont dans les administrations régionales et communautaires qu’on retrouve les cas les plus problématiques, et avec le potentiel de clientélisme le plus fort. Au fédéral, la politisation existe aussi mais de manière moins pointue et moins directe”, analyse Michel Legrand, président du Gerfa. “Cela s’explique par le fait que les cabinets ministériels ont été créés avant l’administration (NdlR : après la création de la Région wallonne en 1980), et qu’ils géraient alors directement les dossiers. Il en est resté un gros système de cabinet, parallèle à l’administration.”

Les évolutions intervenues depuis lors ont mené à des systèmes différents en Wallonie et à Bruxelles.

Aujourd’hui, ces désignations restent politisées, mais on choisit parmi des gens compétents”, synthétise Marie Goranson, directrice du Centre d’études des politiques et de l’administration publique (ULB) et qui a participé à la mise en place d’un certificat de management public, en Wallonie.

Depuis 2002, les hauts fonctionnaires wallons sont en effet désignés sous mandat par le ministre de tutelle, pour la durée de la législature, à condition qu’ils soient titulaires d’un brevet de management, délivré par l’École d’administration publique (EAP).

Un certificat en management

Les candidats triés sur le volet après des examens et un parcours d’évaluation intègrent une base de recrutement pour managers du public. “Quand une place de mandataire est vacante, ils peuvent postuler. Le gouvernement peut décider qui il désigne, mais ce doit être des personnes du pool”, reprend Marie Goranson, qui ne juge pas la politisation comme problématique a priori. “Soutenir la politique de leur ministre, c’est ce pourquoi ces hauts fonctionnaires sont là. Dans la formation, j’appuie sur le fait qu’ils doivent pouvoir s’adapter et collaborer avec le politique.”

Patrick Dupriez, ex co-président d’Ecolo, y ajoute le point de vue d’un ancien dirigeant de parti. “Dans le dossier de la désignation du délégué aux droits de l’enfant, la présidente du jury d’experts était par exemple l’ancienne cheffe de celui qui a finalement été choisi, et non la candidate promotionnée par la ministre Bénédicte Linard (Ecolo). Dès le départ, certains ont anticipé dans la composition du jury… Il ne faut pas se bercer d’illusion en pensant que l’externalisation de la procédure de recrutement abouti nécessairement à de meilleurs choix. Selon moi, il faut laisser au politique la dernière main.”

Patrick Dupriez a lui-même été candidat au poste de directeur du Domaine de Chevetogne, qui a finalement échu à la candidate socialiste, mieux notée par le jury. Dans leur évaluation de Patrick Dupriez, les jurys ont pointé un “risque de confrontation entre les valeurs du candidat et la vision stratégique du domaine.”

”Ils ne voulaient pas d’un Ecolo”

En clair le jury ne voulait pas d’un Ecolo à la tête du domaine de Chevetogne”, observe Patrick Dupriez.

Le jeu de désignation est plus ouvert en Région Bruxelles-Capitale, où le système s’apparente davantage à celui en vigueur au fédéral. Les candidats ne doivent pas y disposer d’un certificat en management public. Les sélections sont effectuées par un jury a priori dépolitisé et constitué par Talent. brussels.

Ce jury établit au final un classement parmi les candidats, qui est généralement suivi par le gouvernement, sauf exception, comme dans le cas de Marie-Pierre Fauconnier.

La politisation peut toutefois se dérouler ultérieurement. Les hauts fonctionnaires bruxellois, lorsqu’ils s’estiment mal évalués par le jury en cours de mandats, ont coutume de déposer des recours au gouvernement bruxellois. Dans deux cas sur trois, l’exécutif revoit leur note à la hausse.

”Les dés ne sont pas à ce point-là pipés”

Cette politisation se situe aussi lors de la composition des jurys.

Les membres des jurys doivent le plus souvent être approuvés par le gouvernement (bruxellois, wallons,..) Le cabinet propose également des noms pour composer ces jurys.”, souligne Marie Goranson (ULB). “Dans ces jurys, il y a aussi souvent des pairs, donc des personnes qui exercent à un poste équivalent mais à un autre niveau de pouvoir. Un ancien chef de cabinet peut donc être présent, ce qui implique qu’il y aura un équilibre politique à prendre en compte. Mais au final, le jury ne classe pas toujours les candidats comme on l’aurait imaginé a priori. Les dés ne sont pas à ce point-là pipés. Je n’ai jamais assisté à un jury où on m’a dit : ce candidat doit passer. À différentes étapes, il y a de la place pour le politique, oui. Mais les compétences restent quand même au centre de la décision.