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Masters d’Augusta : « Indispensable même sur une jambe »… Le monde du golf n’est pas prêt à dire au revoir à Tiger Woods

Dans le golf encore moins qu’ailleurs, on sait bien qu’on ne manque pas de respect aux légendes. Tiger Woods a débarqué à Augusta en début de semaine avec tous les égards qui lui sont dus, et parmi tous les plus grands golfeurs dans le portillon de départ pour le premier Majeur de l’année, pas un n’a osé balayer les chances du Tigre de bien figurer. Et tant pis s’il a fini dans les limbes au Genesis en février pour son premier tournoi depuis sept mois. « Il ne faut jamais écarter Tiger, a rappelé le numéro 2 mondial Rory McIlroy avant que le tournoi ne débute ce jeudi soir. Il est capable de faire des choses vraiment incroyables. »

Personne, évidemment, n’a oublié la dinguerie de 2019 ici même en Géorgie, l’un des plus beaux moments de l’histoire du sport, le grand retour du Tigre, vainqueur de son 15e Grand Chelem après une décennie passée plus bas que terre, entre révélations sur sa vie privée et opérations du dos à répétition. Sauf que depuis, l’Américain a encore cabossé la carlingue avec un accident de voiture qui a laissé sa jambe droite en miettes début 2021. Revenu à la compétition il y a un an tout pile, il n’a joué que quatre tournois depuis, loin de son niveau. « Oui, je suis rouillé, avait reconnu le désormais presque quinqua (47 ans) le mois dernier. Mais j’ai connu ça plusieurs fois par le passé et je me suis pas mal débrouillé. »

Tiger Woods à l'entame du trou numéro 7 sur le parcours d'Augusta, le 4 avril 2023.
Tiger Woods à l’entame du trou numéro 7 sur le parcours d’Augusta, le 4 avril 2023. – Charlie Riedel/AP/SIPA

Woods ou l’éternel retour. Accompagné de l’espoir de tous ceux qui aiment le golf de le voir enclencher le bouton comme par magie. « Si on est un peu honnête avec nous-mêmes, on dirait qu’il n’a aucune chance. Mais on ne dira jamais ça à la télé ! Il a gagné cinq fois ici, il y a de l’espoir, vous avez le droit de rêver avec lui », disaient mardi les sommités Tony Kornheiser et Michael Wilbon sur ESPN lors d’un débat enflammé sur le Tigre. C’est comme ça, sa seule présence électrise le public et fait entrer la compétition dans une autre dimension, fusse-t-elle une levée du Grand Chelem. « Il inspire de la curiosité, il intrigue, parce que c’est l’un des plus grands golfeurs de l’histoire, qu’il y a eu toutes ses frasques, ses accidents, résume Patrice Barquez, agent des meilleurs joueurs français et présent dans le milieu depuis 30 ans. On rêve toujours d’un énième retour et qu’il gagne son 16e Majeur. »

Peur du vide

En réalité, les doutes sur Woods se portent moins sur son niveau de golf que sur sa capacité à crapahuter pendant quatre jours sur l’exigeant parcours d’Augusta. La jambe est raide, la cheville affaiblie. Le Tigre boîte bas, désormais. « S’il n’avait pas à gravir ces collines et tout le reste, on pourrait presque dire qu’il est parmi les favoris, estime McIlroy. C’est juste cette contrainte physique pour lui de marcher 72 trous, surtout sur un parcours aussi vallonné. » Les prévisions météo exécrables, avec pluie et vents violents annoncés pour cette fin de semaine, ne vont pas arranger ses articulations non plus.

Pas facile de s’habituer à entendre parler du jeune chien fou qui a déboulé sur le PGA Tour comme une balle à la fin des années 90 comme d’un vétéran de guerre. Mais l’intéressé sait très bien ce qu’il en est. La peur du vide le saisit également. Mardi, il n’a pas caché que la possibilité que ce soit là son dernier Masters lui avait « traversé l’esprit ». « Quand je joue ce parcours, je me dis que c’est peut-être la dernière fois, a-t-il ajouté. L’an passé, je ne savais pas si je serais capable de le rejouer encore. J’ai passé le cut, et c’était super. Il faut être capable d’apprécier le temps que j’ai ici, et de se souvenir des très bons moments. »

Le simple fait de le voir au départ doit donc suffire à notre bonheur. Au-delà de notre petit plaisir personnel, l’homme aux 82 titres PGA (record partagé avec la légende Sam Snead) est tout bonnement « indispensable » pour le golf, observe Patrice Barquez. Deux raisons à ça :

« On est dans cette période un peu creuse en stars. Même si nous, Européens, on veut s’accrocher à Rory McIlroy ou Jon Rahm, ils n’arrivent pas à la cheville de Tiger en termes d’image. Donc pour le développement du golf au niveau mondial, la relève ne suffit pas. Et puis il y a le contexte actuel, le circuit est en train d’exploser avec le nouveau Tour financé par l’Arabie saoudite. La valeur golf, sa compréhension par le grand public, son image, sont diluées. Tiger Woods est au-dessus de toutes ces turbulences, il incarne le golf dans son ensemble. Donc même sur une jambe, il faut qu’il soit là et encore pour un moment. »

A écouter ce qu’il dit, l’Américain n’a pas envie de raccrocher. La manière dont il parle des anciens comme Fred Couples (63 ans), avec qui il s’est entraîné en début de semaine et qu’il se plaît à voir « encore compétitif », invite à l’optimisme. Mais on peut s’interroger sur la manière dont il vivra son déclassement si son niveau dégringole vraiment sur la durée. Combien de temps acceptera-t-il de considérer un tournoi réussi simplement parce qu’il a passé le cut ? Et ne serait-ce d’ailleurs pas trop triste pour le golf de voir une de ses idoles batailler loin des meilleurs au milieu de la plèbe ? Personne n’a envie de se poser ces questions pour le moment. Là tout de suite, seule compte la fébrile attente de le voir poser sa balle sur le tee du trou numéro 1.