Belgique

Benjamin Biard (Crisp) : “L’écologie peut servir l’agenda nationaliste du parti d’extrême droite Chez Nous”

Il y a un double mouvement reposant sur des défections et sur une baisse de la mobilisation chez certains, particulièrement dans le Hainaut. Ces défections ne sont pas nombreuses mais elles touchent des personnalités particulièrement actives et visibles. Certaines d’entre elles étaient membres du bureau politique du parti. L’une des personnes ayant quitté le parti déplorait que Chez Nous entretienne des liens étroits avec le Vlaams Belang, qui est indépendantiste. D’autres critiquaient l’évolution de l’image du parti, perçu comme démagogue ou trop radical, notamment sur l’immigration. Il est vrai qu’une série de militants plus radicaux, issus entre autres de Nation, ont débarqué au parti.

Chez Nous va à l’échec lors des élections générales du 9 juin ? Le parti n’obtiendra aucun député ?

Pour l’instant, cela paraît en effet compliqué. Selon de récents sondages, on voit que Chez Nous reste tout à fait marginal dans les intentions de vote. Particulièrement dans le Hainaut, la dynamique a du plomb dans l’aile. Il y a toutefois des tentatives destinées à relancer la dynamique : je pense notamment à l’alliance avec le parti Agir de Salvatore Nicotra. Ce n’est pas anodin.

Chez Nous a l’exclusivité de l’usage en Belgique de la flamme tricolore du FN : “Cela renvoie ce parti aux anciens démons de l’extrême droite”

C’est un quitte ou double. Si les électeurs ne sont pas au rendez-vous, il est possible que le parti ne présente pas de listes aux élections locales d’octobre 2024

Des membres du bureau politique ont évoqué cette possibilité. En cas de succès, le parti se développera et ira plus loin en lançant de nouvelles sections. Un mouvement de jeunesse pourrait même être créé. Ce serait significatif car il y a de nombreux jeunes parmi la base militante la plus active. De nombreux jeunes hommes, d’ailleurs. Par contre, en cas d’échec électoral, la motivation et la mobilisation en prendraient un coup. Plusieurs membres importants ont laissé entendre qu’ils passeraient à autre chose. On sent déjà cette fatigue militante chez plusieurs personnalités de Chez Nous. Le parti fait face à de nombreuses difficultés. Notamment, le militantisme antifasciste l’impacte très fort et fait peur à certains membres. En outre, le cordon sanitaire médiatique réduit évidemment la visibilité et impose aux personnalités du parti de redoubler d’effort.

guillement

En cas de succès, le parti se développera et ira plus loin en développant des sections. Un mouvement de jeunesse pourrait même être créé. Ce serait significatif car il y a de nombreux jeunes parmi la base militante la plus active. De nombreux jeunes hommes, d’ailleurs.« 

Accord au sein de l’extrême droite : le Vlaams Belang ne présentera pas de listes en Wallonie afin de ne pas faire d’ombre à Chez Nous

Chez Nous souffre aussi d’une image ambivalente. D’un côté, le parti de Jérôme Munier veille à lisser son image, à se montrer fréquentable. De l’autre côté, il ne rompt pas complètement avec une extrême droite davantage antisystème. Vous montrez dans votre étude que Chez Nous adhère au “grand remplacement”, la théorie complotiste de Renaud Camus.

Chez Nous s’ancre dans l’extrême droite nationale populiste comme le Vlaams Belang ou le Rassemblement national, mais évolue tout de même dans une extrême droite plus globale dans laquelle on trouve des éléments beaucoup plus radicaux. En Wallonie, l’extrême droite a de vraies difficultés à s’imposer. L’une des clefs pour dépasser cela, c’est de rassembler toutes les chapelles. C’est ce qu’avait fait Jean-Marie Le Pen en France au début des années 70 en fédérant des républicains, des monarchistes, des catholiques intégristes, des néopaïens… On sent la même volonté au sein de Chez Nous. C’est pour cela que le parti axe ses priorités sur un nombre restreint de points afin de pouvoir rassembler les tendances : identité, sécurité, immigration, écologie… D’autres points feraient sans doute moins consensus au sein du parti. Il existe, par exemple, des sensibilités différentes entre le Hainaut et la province Liège en termes de stratégie politique et d’idéologie.

guillement

En Wallonie, l’extrême droite a de vraies difficultés à s’imposer. L’une des clefs pour dépasser cela, c’est de rassembler toutes les chapelles. C’est ce qu’avait fait Jean-Marie Le Pen en France au début des années 70 en fédérant des républicains, des monarchistes, des catholiques intégristes, des néopaïens…« 

Au sujet de l’écologie justement, Chez Nous n’est pas climatosceptique, ce qui est plutôt original à l’extrême droite.

C’est assez original. D’autant plus que Chez nous fait de l’écologie une priorité. Il s’agit de défendre “une écologie de terroir et de proximité”, selon les termes exacts du tract du parti. Il y a des évolutions dans des formations comme celle de Jordan Bardella (le président du RN) ou dans d’autres formations d’extrême droite en Europe sur la question écologique et climatique. Mais le positionnement de Chez Nous reste original à l’échelle globale. Cela ne veut pas dire que le parti partage les positions des écologistes, par exemple. Notamment sur le nucléaire. L’écologie peut servir l’agenda nationaliste de Chez Nous, à travers cette volonté de défense localiste de l’environnement. Sur les réseaux sociaux, toutefois, le parti communique nettement moins sur ce thème qu’il ne le fait sur la migration ou la sécurité.

Alain Destexhe, ancien sénateur MR qui avait lancé un parti en 2019 sur la ligne libérale-conservatrice, semble se rapprocher de Chez Nous. Avez-vous eu vent d’un intérêt de sa part pour cette formation ?

Difficile à dire. Chez Nous serait certainement heureux de le compter dans ses rangs. Une certaine proximité peut être signalée après la publication d’un article signé par Alain Destexhe dans le journal satirique Pan. Il y dénonçait la récente interdiction d’accès à un rassemblement prévu à Charleroi le 1er octobre prononcée par Paul Magnette à l’encontre Chez Nous. Il est venu au secours de Chez Nous en défendant la liberté d’expression. Mais il n’y a pas, actuellement, de soutien officiel d’Alain Destexhe en faveur de Chez Nous.

L’émergence d’une extrême droite francophone ? « Un risque à prendre au sérieux »

Benjamin Biard est docteur en sciences politiques. Il est chargé de recherches au sein du secteur socio-politique du CRISP. Ses principaux thèmes de recherche sont la démocratie, les idéologies et les partis politiques
Benjamin Biard est docteur en sciences politiques.
Il est chargé de recherches au sein du secteur socio-politique du CRISP.
Ses principaux thèmes de recherche sont la démocratie, les idéologies et les partis politiques ©cameriere ennio