Tunisie

Élections locales : l’échec est total, les conséquences sont graves – Actualités Tunisie Focus

Que signifie le plafond de verre des 11% de participation ? C’est désormais officiel : seuls 11,66% des 9 millions d’électeurs, sur une population de 12 millions d’habitants, se sont rendus aux urnes, selon les premières estimations de l’instance chargée d’organiser ce scrutin, l’ISIE.

Un taux dérisoire, record mondial historique d’abstention pour la deuxième fois consécutive après les élections législatives de 2022, fort préoccupant pour la santé de la démocratie tunisienne que l’on savait déjà mal en point, malgré les justifications du pouvoir en place.

Les électeurs ne font plus confiance en leurs institutions et élites dirigeantes. Une sorte de rupture opère insidieusement pour préparer le terrain à un avenir incertain.

Le pays organisait dimanche les premières élections de ses Conseils locaux post refonte constitutionnelle voulue par Kais Saïed, un scrutin largement boudé par les électeurs et dont l’objectif est de mettre en place une deuxième chambre au Parlement, dernière pierre de « l’édifice autoritaire » du président Kais Saied, selon l’opposition.

11% un Record mondial

Un paradoxe eu égard à la popularité relativement intacte du chef de l’Etat, ce qui tend à corroborer l’engouement des classes populaires pour le pouvoir d’un seul homme, en même temps que le désintérêt ou l’incompréhension du système de gouvernance qu’il tente d’installer.

Ornemental et facultatif pour certains puisqu’il ne remet pas en cause la centralisation du pouvoir de Carthage depuis 2021, ce système que Saïed appelle « la reconstruction par le bas » ne doit pas pour autant être sous-estimé, étant donné le rôle qu’il jouera sans aucun doute dans le réseau d’influence que compte établir le projet présidentiel en région pour y verrouiller sa mainmise et garantir le non-retour définitif des partis traditionnels à l’intérieur de la Tunisie, accusés de corruption et d’avoir trahi la révolution de 2011.

L’ISIE relativise l’échec

Le président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections, Farouk Bouasker, a bien tenté de voir la moitié du verre plein en conférence de presse à 18h00, en rappelant à qui veut bien l’entendre que le taux de participation est en progression dans l’absolu par rapport à celui des législatives (11,2%), sauf qu’il omet de préciser qu’il était pour ainsi dure difficile de faire pire que ce sinistre record international en la matière.

La malédiction des 11% de votants, tel un plafond de verre indépassable malgré toutes les campagnes de sensibilisation à grand renfort d’argent du contribuable, se serait-elle emparée du pays ? Cette barrière est en tous les cas en inadéquation avec le discours plein de superlatifs du président de la République Kais Saïed qui parle encore de « l’explosion révolutionnaire », une expression englobante qui lui est chère pour qualifier la pourtant bien obsolète révolution de 2011.

La Constitution qu’il a faite modifier par référendum à l’été 2022, institue un Parlement de deux chambres, respectivement haute et basse, s’inspirant en cela d’autres modèles de régimes présidentiels : l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et un Conseil national des régions et des districts. Mais l’ARP, aux pouvoirs extrêmement limités, a pris ses fonctions au printemps 2023 après des législatives boycottées par l’opposition et elle aussi massivement boudées par les électeurs.

L’investiture de la deuxième chambre est prévue en juin 2024, au terme d’un processus très complexe de scrutins locaux et de tirages au sort. Ce Conseil est en outre censé se prononcer sur le budget de l’Etat et des projets de développement régional. Dimanche, les Tunisiens ont été invités à élire plus de 2.000 conseillers locaux sur environ 7.000 candidats, dont un grand quota de personnes handicapées, selon un souhait compassionnel également cher au président Saïed.

Ainsi aux 2.155 conseillers élus s’ajouteront 279 porteurs de handicap, tirés au sort sur un millier de candidats. Des conseillers régionaux seront ensuite tirés au sort parmi les conseillers locaux puis voteront en leur sein pour désigner des conseillers de districts. En haut de la pyramide, les 77 membres de la deuxième chambre au Parlement seront choisis par des votes des conseillers régionaux et de districts.

« Je n’ai jamais vu une affluence aussi faible lors des élections organisées en Tunisie depuis 2011 », année marquant le début du Printemps arabe, a confié sous couvert d’anonymat le président d’un bureau de vote à Tunis. « Je n’ai rien compris de ce scrutin et je ne veux rien comprendre », s’est exclamée pour sa part Nadia Majer, une étudiante de 23 ans.

L’ISIE annoncera les résultats préliminaires définitifs du premier tour le 27 décembre. Le second tour est prévu en février. Mais ce temps long dans lequel s’inscrit le chantier institutionnel présidentiel pourrait être rattrapé par les préoccupations plus triviales des citoyens ayant trait à l’obtention des denrées alimentaires de base, qui viennent à manquer de façon de plus en plus chronique et annoncent un hiver social difficile.

Moktar Lamari

Photo du haut de page : Kais Saïed à sa sortie du bureau de vote