Suisse

Un «Suisse» à la présidence du Guatemala

Jacobo Arbenz et son épouse Maria Vilanova Kreitz lors d’un séjour à Zermatt en janvier 1955. Keystone / Yves Debraine

D’Andelfingen à la tête d’une république d’Amérique centrale: voici l’histoire de Jacobo Arbenz, qui fut président du Guatemala de 1951 à 1954 et dont les réformes agraires lui valurent de puissants ennemis.

Ce contenu a été publié le 14 décembre 2023 – 11:00



blog du Musée national suisseLien externe. Ils sont systématiquement disponibles en allemand et la plupart du temps en français et en anglais également. End of insertion

La population indigène vivant sous le joug d’un système de travail forcé et de servitude pour dettes, la pauvreté, l’analphabétisme et la malnutrition étaient très répandus. La situation politique était elle aussi particulièrement instable, les gouvernements se succédant les uns aux autres, souvent à la suite de révoltes.

La colonie suisse

En 1950, la colonie suisse au Guatemala comptait 320 habitants, la plupart appartenant à une classe moyenne, alors sous-représentée. C’est là-bas que Jacobo Arbenz vit le jour en 1913. Son père Hans Jacob, originaire d’Andelfingen dans le canton de Zurich, s’installa au Guatemala en 1899, à l’âge de 16 ans.

Sur place, il travailla pour le compte de son oncle Luis Gröbli, un commerçant de Frauenfeld, puis ouvrit une pharmacie à Quetzaltenango, à un peu plus d’une centaine de kilomètres de la capitale Guatemala. La condition sociale de Jacobo Arbenz se détériora néanmoins au fil du temps en raison de la dépression dont souffrait son père, qui finit par se suicider en 1934.

Andelfingen dans une carte postale de 1904. Schweizerisches Nationalmuseum

À l’âge de 17 ans, des difficultés financières contraignirent Jacobo à intégrer l’école polytechnique militaire du Guatemala. Bien qu’il n’ait jamais parlé le dialecte zurichois, Jacobo entretenait des liens étroits avec la Suisse, tant et si bien que ses camarades de classe le surnommèrent El Suizo.

Arbenz El Suizo

Le «Suisse» s’avéra être un officier compétent qui fut nommé instructeur en 1935. Quatre ans plus tard, il épousa Maria Vilanova Kreitz, originaire du Salvador voisin. Maria avait reçu une éducation multilingue et universitaire grâce à son père, un riche Bavarois propriétaire de plantations de café. Cette union éveilla en Jacobo Arbenz une conscience politique. En dépit de sa carrière militaire et de ses origines, celui-ci portait un regard différent sur la situation sociopolitique de son pays natal.

Jacobo Arbenz et son épouse Maria Vilanova Kreitz, dans un cliché de 1939. wikimedia

Le 20 octobre 1944, Jacobo Arbenz, alors capitaine, participa au coup d’État qui renversa Juan Federico Ponce Vaides, successeur éphémère du dictateur Jorge Ubico. À 31 ans, Arbenz se retrouva ministre au sein du premier gouvernement démocratiquement élu du Guatemala, sous le président Juan José Arévalo, après avoir été membre d’un triumvirat révolutionnaire, représentant aussi bien la société civile que l’armée, qui mit en œuvre plusieurs réformes démocratiques. Avec le recul, il s’agissait d’une tentative de la classe moyenne, pour ainsi dire inexistante à cette époque, de prendre le pouvoir politique et de contenir l’influence de l’armée et de l’oligarchie locale.

L’élection en tant que président

Le 11 novembre 1950, Jacobo Arbenz, alors âgé de 37 ans, fut élu démocratiquement à la tête du pays. Le nouveau président ne tarda pas à se faire de puissants ennemis, avec son projet de vaste réforme agraire et son intention d’exproprier les grands propriétaires terriens moyennant indemnisation afin de distribuer les terres aux paysans pauvres. Au premier rang de ses ennemis figurait la multinationale américaine United Fruit Company (UFC), connue de nos jours sous le nom Chiquita.

L’UFC constituait alors le plus grand propriétaire terrien du pays, contrôlant de vastes pans de l’infrastructure du Guatemala, dont des chemins de fer, des réseaux électriques et Puerto Barrios, le seul port du pays sur la côte Atlantique. L’entreprise lança une campagne de relations publiques contre le gouvernement Arbenz, alertant qu’un régime communiste était en train de se mettre en place au Guatemala avec le concours de l’Union soviétique. À l’apogée du maccarthysmeLien externe, période de lutte fanatique contre le communisme, l’implication du gouvernement américain dans la manœuvre allait de soi. Au cœur de celle-ci: les frères Dulles.

Quatre ans plus tard, le putsch

Les frères John Foster et Allen Dulles, ce dernier ayant dirigé le service de renseignement américain OSS à Berne durant la Seconde guerre mondiale et notamment organisé l’opération SunriseLien externe en 1945 à Ascona, étaient étroitement mêlés dans les affaires de l’UFC. John Foster Dulles avait représenté l’UFC et les dictatures guatémaltèques par l’intermédiaire de son cabinet d’avocat dans les années 1930, tandis qu’Allen Dulles, avocat dans le même cabinet, fut membre du conseil d’administration de la multinationale fruitière dans les années 1950. Lors de sa prise de fonctions en janvier 1953, le président Eisenhower nomma John Foster Dulles secrétaire d’État, et fit de son frère cadet Allen le premier directeur de la CIA.

Les liens entre l’UFC et le gouvernement américain portèrent très rapidement leurs «fruits». Équipés et financés par la CIA, soutenus par les dictatures voisines du Honduras et du Salvador, plusieurs centaines de putschistes envahirent le Guatemala et renversèrent Jacobo Arbenz le 18 janvier 1954. Ce dernier, abusé par la propagande américaine, avait par ailleurs sous-estimé la puissance de son adversaire.

blogLien externe du Musée national suisse.

Articles mentionnés

En conformité avec les normes du JTI

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative