Suisse

Miró, Giacometti et Klee: une relation surréaliste particulière

Joan Miró dans son atelier Son Boter à Palma (Espagne), 1968 Francesca Català-Roca/Arxiu Històric del Col legi d’Arqui-tectes de Catalunya

L’artiste espagnol Joan Miró est connu pour ses univers oniriques surréalistes et colorés. Ce qu’on sait moins, c’est qu’il a noué une relation d’admiration réciproque avec deux des plus grands artistes suisses du 20e siècle.

Ce contenu a été publié le 22 avril 2023




l’exposition Nouveaux horizonsLien externe que lui consacre actuellement le Zentrum Paul Klee de Berne (à voir jusqu’au 7 mai 2023).  

Joan Miró, « Toile brûlée 2 » (1973), acrylique sur toile coupée et brûlée, 130 x 195 cm Successió Miró / 2022, ProLitteris, Zurich

Mais ce que beaucoup ignorent, c’est l’influence que Paul Klee a exercée sur son art. Miró et Klee ont partagé 19 expositions au cours de leur vie. Bien qu’ils ne se soient jamais rencontrés en personne, ils étaient unis par une relation d’admiration unique.

«Klee fut la rencontre capitale de ma vie», a dit un jour Joan Miró à propos de l’artiste suisse. Paul Klee a de son côté rendu occasionnellement hommage en public à l’artiste catalan. L’art délibérément «enfantin», le monde de la folie, le cirque et les marionnettes sont des éléments évidents dans le style des deux artistes. D’une certaine manière, ils ont toujours été proches, mais en même temps éloignés.

«Miró atteint une vision cosmique de l’art»

Le peintre catalan a vécu des événements politiques et sociaux mouvementés. La ville de Barcelone a été le témoin de ses premiers pas dans le monde de l’art. Mais ce sont les paysages émotionnels de Paris dans les années 1920, la poésie surréaliste, l’expressionnisme abstrait de New York et du Japon et la tranquillité de Majorque qui finiront par façonner son œuvre.

C’est précisément cette dernière étape de sa carrière qui constitue le point de départ de l’exposition bernoise. Elle reflète ce moment d’autocritique et de nouveau départ que Joan Miró a vécu lorsqu’il s’est installé définitivement à Palma de Majorque en 1956. À partir de ce moment, le peintre remet en question tous ses travaux antérieurs et reprend des œuvres inachevées.

À cette époque, Miró cherche de nouvelles formes d’expression et décide de s’éloigner des méthodes de peinture les plus classiques. Il remplace le pinceau par des ciseaux et d’autres instruments, utilise des tissus et réalise des sculptures gigantesques. Le résultat de cette transformation artistique est visible dans les 74 œuvres de l’exposition, datant principalement de la fin des années 1960 au début des années 1980.

Miró et Klee se rapprochent

Quand on pense à Paul Klee, on a en tête les couleurs de son célèbre tableau «Insula Dulcamara», ou les figures de poissons, comme dans «Fish Magic», ou encore les yeux, les visages et les lignes qui nous rappellent Miró.

Quand les membres du prestigieux Club 49 de Barcelone ont voté en 1957 pour les dix meilleurs peintres du siècle, les trois premiers étaient Picasso, Klee et Miró. «Miró lui-même évoque dans ses interviews la première fois qu’André Masson lui a montré des reproductions de Klee et de l’impact qu’elles ont eu sur lui. C’était en 1923, une époque où sa peinture allait prendre une autre direction», souligne Teresa Montaner, responsable des collections de la Fundació Joan Miró.

Joan Miró, « Femme devant la lune II » (1974), acrylique sur toile, (à gauche) et « Femme devant le soleil I » (1974), acrylique sur toile. Successió Miró / 2022, ProLitteris, Zürich

Après avoir découvert Klee, Miró a eu accès à l’art de l’artiste suisse dans les nombreuses galeries qu’il fréquentait. Lors d’un voyage à Berlin fin 1935, l’historien de l’art allemand Will Grohmann lui montre un tableau de Klee dans lequel la méthode de composition disjonctive est déjà évidente. Miró s’inspire de cette technique pour créer ses singulières ‘Constellations’.

Hiéroglyphes et signes orientaux

Des années plus tard, en 1948, Miró retourne à Paris pour assister à une rétrospective de l’œuvre de Klee au Musée national d’art moderne, dont l’effet est perceptible dans son œuvre à travers les hiéroglyphes et les signes orientaux.

Paul Klee (1879-1940) Walter Henggeler/Keystone

C’est aussi grâce à ses amis surréalistes Louis Aragon, Paul Eluard et René Clevel que Miró a acquis une connaissance approfondie de l’œuvre de Klee. «Klee m’a fait comprendre qu’une tache, une spirale, même un point, peut être un sujet pictural au même titre qu’un visage, un paysage ou un monument», affirme Miró à l’artiste polyvalent franco-hongrois Brassaï.

Aujourd’hui, Joan Miró et Paul Klee se retrouvent à nouveau dans une exposition, où le visiteur peut trouver des similitudes et des différences entre les deux peintres.

Une amitié par correspondance

Pendant son séjour à Paris, Miró est entouré d’une foule d’artistes, d’écrivains et de personnes influentes comme Pablo Picasso, André Masson, Paul Eluard, Ernest Hemingway, André Breton et Max Ernst, parmi beaucoup d’autres.

La capitale française a également été le témoin de la première rencontre entre Joan Miró et un autre artiste suisse, Alberto Giacometti, et du début d’une relation personnelle et professionnelle intense qui durera des années 1930 jusqu’à la mort de Giacometti.

À partir du mouvement surréaliste, les deux artistes s’influencent mutuellement, avec une différence essentielle pourtant: Giacometti choisit de refléter son art principalement à travers la sculpture et Miró à travers la peinture. Ils ont également exposé ensemble à plusieurs reprises et ont partagé à la même époque des galeristes de renom tels que Bucher, Loeb, Matisse et Maeght.

«Miró était absolument parfait»

L’artiste suisse a eu de nombreuses paroles d’admiration pour son ami espagnol: «Pour moi, Miró était la grande liberté. Quelque chose de plus aérien, de plus lâche, de plus léger que tout ce que j’avais vu. Dans un certain sens, il était absolument parfait».

Alberto Giacometti (1901-1966) Franz Hubmann/Keystone

En termes de technique, certains experts s’aventurent à dire que Miró a été le premier à influencer le sculpteur suisse. Dans les années 1930, Giacometti s’intéressait déjà aux objets poétiques des cubistes et des surréalistes, en particulier Picasso, Dalí et même Miró. De son côté, Miró, dans une de ses lettres, souligne à propos de son ami suisse: «C’est le rayonnement de l’homme qui m’émeut le plus chez toi, l’oeuvre n’étant que ce résultat logique qui s’en dégage».

Ces mots dénotent une admiration et peut-être aussi une certaine influence de Giacometti sur Miró. «Il était si véritablement peintre qu’il lui suffisait de déposer trois taches de couleur sur la toile pour qu’elle existe et devienne un tableau», disait Giacometti à propos de l’artiste catalan. Et les éloges ne cessent de s’enchaîner dans une amitié qui s’entretiendra par correspondance.

Alberto Giacometti rendra même parfois visite à Miró à Palma. Enfin, le surréalisme qui imprègne l’œuvre de Joan Miró est facilement perceptible dans les sculptures de Giacometti ainsi que dans le langage disjonctif développé par Paul Klee et fait des trois artistes de grands maîtres du mouvement, les rapprochant l’un de l’autre dans une relation surréaliste particulière.

Texte relu et vérifié par Samuel Jaberg

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