Suisse

Les designers de montres, ces stars de l’ombre

Gérald Genta (1931-2011) a defini le look de la Royal Oak d’Audemars Piguet en 1972. © Audemars Piguet

Le succès de l’horlogerie suisse doit pour beaucoup à l’audace et à l’imagination de ses designers. Alors que la branche connaît une croissance sans précédent, swissinfo.ch est parti à la rencontre de ces artistes qui habillent les garde-temps «Swiss Made».

Ce contenu a été publié le 24 juin 2023




un nouveau record de 24 milliards de francs l’an dernier – est incontestable. Et ils jouissent d’un grand respect dans le monde horloger. Pourtant, Emmanuel Gueit souligne que les marques n’aiment pas tellement les mettre en avant. «La marque est tout, le nom de l’artiste n’est rien. Gérald Genta ne fut pas reconnu de son vivant, on en a fait une légende après sa mort. Notre travail se fait toujours dans l’ombre et reste largement méconnu du grand public».

Martin Frei: «Apporter la culture artistique à l’atelier d’horlogerie»

Martin Frei est co-fondateur et designer en chef d’Urwerk, une marque horlogère genevoise fondée en 1997. © Alexey Tarkhanov

«J’ai une formation artistique, j’ai fait de la peinture monumentale, des intérieurs, du cinéma», explique le designer Martin Frei, qui forme un binôme avec l’horloger Felix Baumgartner. En 1997, ils ont fondé la marque Urwerk, qui est aujourd’hui connue mondialement par ses modèles aux allures futuristes.

La tâche essentielle du designer, selon Martin Frei, est d’apporter la culture artistique à l’atelier horloger, de transformer la technologie en une œuvre d’art: «Nous avons toujours voulu créer de nouvelles montres qui s’inspirent non seulement des traditions horlogères, mais aussi de l’architecture, du design, de la science-fiction, de tout ce qui nous entoure: films, musiques, peintures», souligne-t-il.

Eric Giroud: «C’est formidable quand chacun est à sa place»

Les montres les plus spectaculaires d’Éric Giroud ont été réalisées en collaboration avec la jeune mais déjà célèbre marque MB&F, fondée en 2005 à Genève. Le designer originaire du canton du Valais évoque le «couple idéal» qu’il forme avec le patron de MB&F: «Max Büsser m’a toujours incité à travailler avec des autres marques, il n’a jamais fait preuve de la moindre jalousie».

Eric Giroud est reconnu pour ses créations horlogères à haute complication. © Johann Sauty

Le designer indépendant se souvient plutôt de belles coopérations que de conflits: «C’est formidable quand chacun est à sa place. Je n’irai jamais voir l’horloger pour lui expliquer ce qu’il doit mettre dans le mécanisme de la montre, mais je suis toujours heureux de l’aider avec les choses dans lesquelles je me sens plus compétent».

Ancien architecte, Eric Giroud aime à souligner qu’il ne crée pas pour lui et qu’il est seulement un accompagnant pour permettre aux gens de donner vie à leurs idées. «Je ne travaille pas pour les marques qui me mandatent, ni pour leurs PDG, mais pour les clients qui porteront les montres au poignet», insiste-t-il.

Stefano Macaluso: «Une lutte constante entre les contradictions»

Architecte de formation, Stefano Macaluso est l’un des anciens propriétaires de la marque Girard Perregaux. Il est désormais designer indépendant.

Stefano Macaluso est un homme d’affaires italien devenu designer indépendant en Suisse. © Daniele Ratti/Girard Perregaux

«La montre est comme un bel immeuble avec une façade, un plan, des proportions et surtout de la lumière qui pénètre à l’intérieur. Mais l’échelle est complètement différente», illustre-t-il.

«Créer le design d’une montre, c’est une lutte constante entre les contradictions», relève-t-il. Les mécanismes ont des limites qui ne peuvent pas être surmontées, ils ont besoin d’espace, de protection, tout comme un être vivant.

Les marges de tolérance sont parfois inférieures au millimètre. En plus, il faut préserver l’image existante des marques ayant parfois plus d’un siècle d’histoire, affirme cet amateur de voitures et pilote de rallye.

Guy Bove: «Cela prend parfois des années pour se mettre d’accord»

«On ne conçoit pas les garde-temps à partir d’une feuille blanche», affirme Guy Bove, qui a travaillé chez IWC, Chopard, Ferdinand Berthoud, Breitling et TAG Heuer. S’il existe désormais des filières spécialisées en design horloger, par exemple à la Haute école d’art et de design de Genève, la plupart des designers font leurs premiers pas comme architectes, concepteurs d’automobiles ou de mode.

Le designer Guy Bove a travaillé pour quelques-unes des plus grandes marques horlogères avant de se mettre à son compte. © Alexey Tarkhanov

«Je n’ai pas étudié le design horloger», souligne ainsi Guy Bove, qui affirme avoir oeuvré plus de trois ans dans le milieu avant de véritablement en maîtriser les codes. C’est souvent grâce à un mentor que les designers prennent du galon dans ce milieu professionnel très sélectif. «Pour ma part, mon exemple fut Miodrag Mijatovic, le fondateur de M-Design», affirme Guy Bove. M-Design est une entreprise de design qui travaille depuis les années 1980 pour de nombreuses grandes marques de montres suisses.

Combien de temps faut-il habituellement pour concevoir le design d’une nouvelle montre? «Très peu et très beaucoup, répond laconiquement Guy Bove. Cela peut prendre plusieurs jours jusqu’à ce que j’accepte de présenter mon idée, et des années jusqu’à ce que nous nous mettions tous d’accord pour lancer la montre». Les designers évitent également de divulguer le prix de leurs services, mais certains projets prestigieux peuvent rapporter plusieurs dizaines de milliers de francs à leurs concepteurs.

Texte adapté par Samuel Jaberg

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