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Guerre en Ukraine : Sous occupation russe, la vie dans un sous-sol où « chaque minute pouvait être la dernière »

« Si j’ai survécu, c’est uniquement grâce à Dieu », martèle Igor. L’homme d’origine biélorusse a passé plus de deux mois enfermé dans un sous-sol à Hostomel. La commune, située à une trentaine de kilomètres de Kiev, a fait l’objet d’un combat acharné entre forces russes et ukrainiennes dès le 25 février 2022, au lendemain de l’invasion ordonnée par Vladimir Poutine. Igor vit dans un appartement à Hostomel, à quelques centaines de mètres de l’usine dans laquelle il travaille comme gardien. Devant l’immeuble, il se remémore les premiers instants de l’offensive russe d’une voix calme et assurée. Il a passé les premières nuits de la guerre réfugié au sous-sol avec Larissa, sa collègue qui vit aussi dans l’immeuble.

« Au début, on croyait que ça ne durerait que 72 heures. Puis une semaine. Puis deux semaines », égrène-t-elle. En quelques jours, le sous-sol inoccupé abrite une trentaine de personnes. Face aux bombardements, les voisins s’y réfugient en urgence. « Il y avait énormément d’explosions, les toits ont été endommagés, toutes les voitures ont été détruites », se souvient Igor en montrant d’un geste le petit parking où il ne reste de cette période qu’une camionnette orange aux vitres bâchées à la va-vite. Igor et Larissa se sont retrouvés, bien malgré eux, au cœur de l’activité militaire russe. Une ribambelle de Russes se sont installés dans l’immeuble « comme chez eux » et « changeaient tout le temps ». « Des chars russes tiraient d’ici et il y avait un lance-mines dans la petite forêt entre la maison et l’usine. Ils avaient aussi un sniper dans l’immeuble, tourné vers les positions ukrainiennes », détaille Igor.

Diaporama des dégâts près de l’appartement d’Igor et l’usine attenante à Hostomel par 20 Minutes

Une tasse d’eau de pluie pour se doucher

Pris entre deux feux, les réfugiés du sous-sol d’Hostomel ont dû apprendre à survivre dans des conditions particulièrement précaires. « Il n’y avait plus d’électricité, plus de chauffage, plus d’eau courante », énumère Igor. Le gardien se glisse sur le flanc du petit immeuble. « Voici la douche », rit-il en montrant le sol boueux. « On tendait une bâche pour se cacher un peu et on utilisait une tasse d’eau de pluie », mime-t-il précipitamment avant d’expliquer : « il fallait être rapide ». Pour faire face aux coupures d’eau, les habitants avaient habilement installé des bacs afin de récupérer l’eau de pluie ou la neige. Ils utilisaient aussi quelques fois un générateur pour pomper l’eau du puits. « On mettait cette eau dans le bac des toilettes pour pouvoir tirer la chasse », explique Igor.

Sous l’immeuble, le sous-sol se déploie en plusieurs pièces, toutes carrelées. « Pendant l’occupation, nous n’avions qu’une petite lumière tremblotante dans ce couloir », se souvient Igor en parcourant les pièces, le dos droit. Quelques vestiges de la guerre n’ont pas encore été effacés : du verre brisé au sol après l’explosion d’une fenêtre, des impacts d’éclats après un bombardement, des marques sur les murs… Sans chauffage, le lieu était glacial. « Un jour, sous l’impact d’une frappe, une des portes s’est décalée. Après ça, le froid s’engouffrait encore plus », explique Igor en réajustant ses lunettes.

Des occupants « imprévisibles »

Pour cuisiner, les réfugiés du sous-sol se rendaient dans un abri de jardin où subsiste un poêle. « Il fallait aller chercher du bois. Je portais un brassard blanc autour de la tête dans l’espoir qu’on ne me tire pas dessus. A chaque fois, je pensais au sniper russe placé dans le bâtiment. C’était une course contre la montre », se souvient Igor. D’autant que les relations entre les habitants et les envahisseurs n’étaient pas particulièrement apaisées. « Leur humeur était aléatoire. Ils étaient imprévisibles. Souvent bourrés. On ne savait pas vraiment comment se comporter avec eux », explique le gardien. « Un jour, ils ont tiré dans les fenêtres et cassé les portes. Pourtant, Larissa leur avait donné les clefs », illustre-t-il.

Un chien qui vivait réfugié au sous-sol avec eux « aboyait systématiquement sur les Russes ». « Ils l’ont caillassé. On devait calmer le chien parce que l’un des Russes voulait le tuer », soupire Igor en passant la main sur son crâne rasé. Sa nationalité biélorusse et son service militaire au sein de l’URSS rassuraient les occupants mais certains restaient toutefois ingérables. Parfois par ébriété. Parfois par cruauté. « L’un des chefs racontait comment les soldats de Kadyrov [président de la Tchétchénie] décapitaient des habitants. Une fillette et des jeunes filles se sont mises à pleurer en l’écoutant », grince celui qui enseigne aussi le karaté.

« Alors, ils sont toujours là les connards ? »

Au fil des corridors d’évacuation, les habitants ont été de moins en moins nombreux dans le sous-sol. « Certains nous ont écrit après leur départ sauf que les Russes regardaient nos téléphones. Recevoir « Alors, ils sont toujours là les connards ? » n’aidait pas à apaiser les tensions », sourit malicieusement Igor. Le nombre de personnes réfugiées dans le sous-sol a varié. « Quand les forces ukrainiennes sont arrivées, nous étions une dizaine », explique le gardien, qui se souvient de la difficulté de vivre enfermé pratiquement jour et nuit avec tant de personnes. « Certaines personnes n’avaient pas le bon comportement, c’était très difficile à gérer », abonde Larissa.

« Nous essayions de rester positifs mais certains devenaient hystériques à chaque mauvaise nouvelle », soupire-t-elle. Difficile de rester calme après de longues semaines enfermés dans l’angoisse perpétuelle. L’un des habitants est d’ailleurs « passé très près de la mort », souligne Igor. Alors qu’il dormait dans le couloir, au milieu du sous-sol, un éclat a traversé la fenêtre, la pièce, la porte et s’est fiché dans le mur, quelques centimètres au-dessus de sa tête. Et puis… « Un jour, tout était calme. On a eu encore plus peur », se souvient Larissa, qui n’a réalisé que bien après que, dans ce sous-sol, « chaque minute pouvait être la dernière ». « En une nuit, ils ont disparu. » Laissant Igor et Larissa à leur sous-sol, le décor apocalyptique de leur ville et les stigmates de la guerre bien imprimés dans leurs esprits.