Suisse

«La Constitution établit les fondements sur lesquels la démocratie peut évoluer en paix»

Beaucoup de choses ont été faites pour rappeler que cette année 2023 marque les 175 ans de la Constitution suisse. Ici, cette carte postale indique que 1848 fut le point de départ d’une «incroyable histoire». © Keystone / Peter Klaunzer

La Constitution fédérale célèbre cette année son 175e anniversaire. Mais le texte fondamental de la Suisse puise ses racines bien plus loin dans l’histoire, comme le souligne l’historien et juriste vaudois Olivier Meuwly dans son dernier ouvrage, Une brève histoire constitutionnelle de la Suisse, récemment sorti de presse.

Ce contenu a été publié le 28 juin 2023




disponibleLien externe. Sous la plume de l’historien et juriste vaudois Olivier Meuwly, Une brève histoire constitutionnelle de la Suisse tombe à point nommé, puisque l’on célèbre cette année justement les 175e de la Constitution de 1848, qui a marqué la naissance de la Suisse moderne. Interview.

swissinfo.ch: On pourrait s’attendre à ce que votre histoire constitutionnelle commence avec la première constitution de 1848. Mais vous remontez bien plus loin. Pourquoi?

Olivier Meuwly: Je ne prétends nullement qu’il existe une continuité presque mécanique entre les landsgemeinde de l’ancienne Confédération et les constitutions de l’époque contemporaine. Ce n’est clairement pas le cas. Cependant, cette période d’avant l’État fédéral de 1848, voire d’avant la République helvétique de 1798, mérite d’être étudiée. Sur le plan institutionnel, beaucoup de choses se sont mises en place sous l’Ancien Régime et même au Moyen-Age.

Certaines problématiques étaient déjà présentes: l’équilibre des pouvoirs, l’équilibre entre les cultures, entre ville et campagne, entre protestants et catholiques. Ces divisions, qui auraient pu être le cercueil de la Suisse, sont aussi un facteur structurant pour notre pays et ont posé des questions qui ne sont pas très éloignées de celles qui sont les nôtres aujourd’hui.

Les premiers traités établis entre les cantons n’ont certes rien à voir avec la Constitution d’aujourd’hui. Mais au fil de l’histoire, il y a toujours cette même volonté d’associer des éléments disparates qui n’ont a priori aucune raison de vivre et de travailler ensemble.

En se penchant sur l’histoire constitutionnelle, on a l’impression que les grandes œuvres constitutionnelles interviennent toujours après des périodes troublées. Est-ce vraiment le cas?

Pas forcément, comme on l’a vu ces dernières années avec la grande vague des révisions constitutionnelles dans les cantons. Cependant, il est vrai, c’est souvent une période d’instabilité qui oblige à réfléchir sur le socle sur lequel on veut rétablir la stabilité.

La Constitution de 1848 a permis d’intégrer les vaincus de la guerre du Sonderbund au nouvel État fédéral. La révision totale de 1874 a trouvé le moyen de déboucher sur une plus grande centralisation avec cette solution géniale consistant à transférer au peuple une partie des pouvoirs enlevés aux cantons. Enfin, la révision de 1999 a été pensée dans le contexte de la crise économique, financière et morale des années 1990.

Ce regard rétrospectif permet aussi de constater que la recherche du consensus est une constante de l’histoire constitutionnelle suisse.

La nécessité d’éloigner la menace de l’éclatement a toujours existé. Elle remonte au Moyen-Age et est permanente dans l’histoire suisse. Il y a toujours un facteur dissolvant ou tout du moins des forces centrifuges qui peuvent faire éclater l’ensemble. Les différentes constitutions ont toujours été des réponses à cette menace.

S’achemine-t-on actuellement vers une révision constitutionnelle d’envergure?

Je n’en ai pas l’impression. Même la dernière grande révision de 1999 n’avait rien de révolutionnaire. Il s’agissait essentiellement d’un toilettage et d’une adaptation à la jurisprudence suisse et surtout internationale.

Le système de démocratie directe permet déjà d’absorber les grandes mutations et de les gérer plus ou moins bien. La Constitution est adaptée en permanence et je ne vois donc actuellement pas l’utilité d’une révision fondamentale.

Olivier Meuwly © Keystone / Jean-christophe Bott

L’une des conséquences des initiatives populaires fédérales est d’inscrire dans la Constitution suisse des articles qui ne figureraient jamais dans celles d’autres pays. En 2018, si l’objet n’avait pas été finalement refusé par le peuple, on aurait même pu trouver dans le texte fondamental de l’État un article interdisant… de couper les cornes des vaches. Est-ce un problème?

Je ne pense pas. Pour reprendre cet exemple des cornes de vache, si on réfléchit, ce n’est pas comique du tout. Dans le débat autour du véganisme et de la place de l’animal, c’était un sujet très actuel. Malgré le côté apparemment folklorique, cette voie de démocratie a permis de mettre sur la table un sujet réel qui constituait une préoccupation pour beaucoup de gens et de parvenir à une réponse.

J’entends souvent cette critique selon laquelle l’initiative populaire est un facteur de populisme. Mais c’est en réalité le contraire. Si le populisme est moins gangrénant en Suisse que dans d’autres pays européens, c’est justement parce qu’on ose mettre certains sujets sensibles sur la table et les affronter.

Dans le même ordre d’idées, certains milieux réclament la création d’un tribunal constitutionnel, ce qui empêcherait l’inscription dans la Constitution d’articles qui pourraient être considérés comme contraires aux droits fondamentaux. Qu’en pensez-vous?

A titre personnel, j’y suis opposé. Cette question avait déjà été traitée lors de la révision totale de la Constitution de 1874 et on avait alors clairement rejeté l’idée d’une juridiction constitutionnelle, estimant que les juges ne doivent pas se substituer au peuple. Je crois que cette ligne demeure correcte.

Mais savoir comment traiter des initiatives populaires potentiellement dangereuses reste une grande question. C’est à mes yeux l’un des sujets constitutionnels les plus chauds du moment, car il traverse aussi les camps politiques. Ce sujet va certainement revenir sur la table un jour ou l’autre et demandera des réponses précises.

On qualifie parfois la Constitution de «loi fondamentale» de l’État. Mais cela semble quand même un peu abstrait. Comment expliqueriez-vous l’importance de la Constitution de nos jours?

Dans une démocratie, les gens ont des droits qui doivent être formalisés par une constitution, justement. Une constitution doit être le recueil de ces libertés, des droits fondamentaux.

Aujourd’hui, la démocratie n’est pas en pleine forme. Certes, en Suisse, elle se maintient mieux que dans d’autres pays grâce aux outils qu’elle a à disposition, mais il faut rester vigilant. On voit de nos jours que l’esprit de l’État constitutionnel est mis en danger; il est donc important d’avoir un texte de base qui établit les rapports de pouvoir, qui dit qui fait quoi, qui organise la vie en société. La Constitution établit les fondements sur lesquels la vie politique peut évoluer en paix.

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