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Décédé sur les pavés de Roubaix il y a cinq ans, Michael Goolaerts était l’équipier de van Aert: “Wout veut gagner sur le vélodrome pour Goolie”

Michiel, on peut imaginer que la date du 8 avril 2018 restera à jamais gravée dans votre esprit…

”Oui, bien évidemment. Même si je repense évidemment à Michael à d’autres moments dans l’année, j’associe toujours l’approche de Paris-Roubaix à ce qui est arrivé ce jour-là. La semaine dernière, lorsque j’ai réalisé que Goolie nous avait quittés il y a cinq ans déjà, je me suis dit que le temps filait vraiment à une vitesse folle…”

Le déroulement de cette journée noire est-il encore clair dans votre esprit ou avez-vous tenté de l’effacer de votre mémoire ?

”Je me souviens encore très bien de l’essentiel des événements et d’une multitude de petits détails que je garderai en moi pour toujours. J’entends encore l’annonce de radio course qui lance ‘Chute, chute, Vérandas Willems’. Notre voiture était la dernière dans la file des directeurs sportifs, elle précédait l’ambulance, et il nous a donc fallu près de deux minutes pour arriver sur le lieu de l’accident. Comme aucun dossard n’avait été annoncé, j’ai d’abord pensé en approchant de l’endroit que c’était Wout qui était tombé mais j’ai réalisé qu’il s’agissait de Michael en identifiant ses chaussures. J’ai en effet l’habitude de reconnaître mes coureurs à cet équipement qui les différencie souvent.”

Avez-vous compris instantanément que la situation était grave ?

”Oui. Quand on a été coureur, on décrypte certains indices. Les pieds de Michael étaient toujours accrochés à ses pédales alors qu’il était couché sur le dos… Comme l’ambulance nous suivait, les secours sont arrivés pratiquement en même temps que nous. Avant que les médecins ne s’affairent je me souviens avoir crié le prénom de mon coureur plusieurs fois mais le personnel médical a très vite assumé le relais et pris Michael en charge. J’ai alors aidé comme je pouvais en tenant la poche d’une perfusion.

guillement

« Laisser Michael avec les médecins et retourner en course fut une des décisions les plus difficiles de ma vie. »

Cela a dû être extrêmement difficile pour vous de reprendre le volant de votre voiture pour retourner dans la course et repenser à celle-ci après ce qui venait de se dérouler…

”Oui, c’est assurément l’une des décisions les plus difficiles que j’ai dû prendre dans ma vie. Dans une situation comme celle-là, on cherche à aider par tous les moyens, même si ce n’est pas toujours rationnel. Michael était alors entouré d’un service médical spécialisé dans la réanimation, plusieurs médecins s’occupaient de lui. Je voulais rester avec lui mais d’un autre côté la course continuait et nous avions Wout (van Aert) à l’avant que nous jugions capable de gagner Paris-Roubaix. Lorsque je suis remonté dans ma voiture, j’étais ailleurs. Plusieurs minutes semblent d’ailleurs ne pas s’être imprimées dans mon cerveau. Comme nous étions restés assez longtemps aux côtés de Michael, les spectateurs quittaient déjà les secteurs pavés quand nous tentions de rejoindre l’arrière du peloton. Le mécanicien qui m’accompagnait alors tentait de m’aider à reprendre le fil de mes pensées en m’énumérant les tronçons que nous étions en train d’avaler. Lorsque nous sommes revenus à l’échelon course, il m’a également aidé à reconstruire la situation de celle-ci. J’étais ailleurs…”

Qu’avez-vous dit de la chute de Michael lorsque vous êtes revenu à hauteur de vos coureurs ?

”Qu’il avait été victime d’une chute mais sans entrer dans les détails. Je sais que certains collègues considèrent que j’ai commis une erreur et que j’aurais dû communiquer de manière plus transparente mais lorsque j’étais coureur je ne voulais jamais connaître la gravité des chutes sur lesquelles je n’avais aucune prise. Je n’aurais pas agi de façon différente si Michael s’était cassé la jambe.”

Michiel Elijzen et van Aert en course.
Michiel Elijzen et van Aert en course. ©photo news

Quand et comment avez-vous dès lors expliqué la situation aux coureurs ?

”Après la course, dans le bus. Nous avons d’ailleurs demandé aux soigneurs de l’équipe d’y amener les coureurs au plus vite depuis le vélodrome car nous ne souhaitions pas qu’ils apprennent la situation de la bouche d’un journaliste par exemple. Après avoir emprunté la déviation pour les véhicules suiveurs, je me souviens qu’un policier m’a demandé de m’arrêter car il voulait récupérer pour les besoins de l’enquête le vélo de Michael que j’avais rechargé sur la galerie de la voiture. J’ai alors réalisé en une seconde la gravité de la situation et ai craqué émotionnellement. Quand tous les coureurs sont arrivés dans le bus, j’ai alors expliqué que Goolie avait été victime d’une attaque cardiaque sur son vélo et que son état était inquiétant. C’est le soir, un peu après 22h, que nous avons appris son décès. Notre entraîneur Kristof De Kegel, présent à l’hôpital en compagnie du manager de l’équipe Nick Nuyens et des parents de Michael, m’a appelé pour m’annoncer ce que nous redoutions tous.”

Personne n’est préparé à ce genre d’annonce. Comment l’avez-vous fait savoir aux coureurs et membres du staff ?

”Nous étions, en partie, rassemblés dans un hôtel de Gand. Tout le monde s’était réuni dans la même pièce de l’établissement et après le coup de fil de Kristof, il m’a fallu leur faire face. J’ai invité les gars à s’asseoir et leur ai annoncé que Michael était décédé. J’ai demandé à Wout, qui était présent à l’hôtel, et aux autres de se soutenir les uns les autres car je devais alors appeler les coureurs qui avaient déjà regagné leur domicile avant que l’information ne sorte sur les réseaux sociaux ou sur les sites d’infos. C’est un peu comme si j’avais dû activer un mode pilotage automatique, j’étais assez clinique dans mon annonce car j’avais plusieurs coups de fil à passer. Un moment très difficile…”

À quelle carrière Michael vous semblait-il promis ?

”C’était un coureur prometteur pour les classiques, il avait tout pour devenir un équipier de grande valeur sur ce terrain. Sur Paris-Roubaix 2018, il était d’ailleurs prévu qu’il accompagne Wout van Aert jusqu’à la Trouée d’Arenberg. Mais au-delà de ses qualités sportives, c’était surtout un super mec. Le genre de gars qui a toujours un sourire sur les lèvres.”

Vous a-t-il été difficile par la suite de retourner en course comme directeur sportif ?

”Dans les premiers mois après le décès de Michael, j’ai souvent été envahi par une forme de peur lorsque la chute de l’un de mes coureurs était annoncée à la radio. Je pense que je craignais inconsciemment de revivre le même genre d’événement… Au volant, je réalisais également que je prenais bien plus de précautions dans la course qui fait parfois rage entre les directeurs sportifs à l’arrière du peloton.”

guillement

« J’ai voulu retourner sur Roubaix un an après, mais ce fut une mauvaise expérience. »

Êtes-vous retourné sur Paris-Roubaix comme directeur sportif par la suite ?

”Oui, en 2019, un an après le drame. J’étais alors directeur sportif chez Sunweb et voulais vraiment retourner sur cette course car je considérais que cela faisait partie de mon processus de reconstruction. Mais cela a été une mauvaise expérience. J’avais le sentiment de voir le danger partout.”

Avez-vous eu besoin d’un soutien psychologique ?

”Oui. Nous avons réalisé les premières séances en équipe juste après la disparition de Michael mais j’ai également initié moi-même d’autres sessions. Je me demandais si j’avais opéré les bons choix ce jour-là. Cela m’a aidé à faire une forme de bilan avec moi-même.”

Michiel Elijzen.
Michiel Elijzen. ©Philippe Crochet/Photonews

Dans le documentaire d’Amazon consacré à l’équipe Jumbo-Visma, Wout van Aert souffle que sa motivation première pour gagner Paris-Roubaix est l’hommage qu’il souhaite rendre à Michael. On sait à quel point vos deux anciens coureurs étaient proches…

”Oui, Wout et Goolie étaient de vrais amis, ils étaient nés la même année et partageaient l’essentiel de leur programme de course. Wout veut vraiment gagner sur le vélodrome pour Michael, c’est certain. Sa disparition l’a profondément marqué. Chacun compose avec ce type d’événement à sa façon mais je suis convaincu que pour Wout il s’agit d’une source de motivation supplémentaire.”

guillement

« Si Wout gagne dimanche, ce sera un moment d’une grande intensité émotionnelle. »

On dit parfois que des épreuves comme celles-là unissent les gens qui les ont partagées pour toujours. Êtes-vous toujours en contact avec les membres de l’équipe Verandas Willems ?

”J’échange encore avec la famille de Michael, certains coureurs dont Wout et des membres du staff. Mais ce qui vous permet d’avancer après une tragédie comme celle-là, c’est aussi que la vie continue.”

Comment suivrez-vous la course de dimanche ?

”Je vais m’installer devant ma télévision et supporterai évidemment Wout. S’il venait à lever les bras sur le vélodrome, ce serait alors un moment d’une grande intensité émotionnelle pour moi et tous ceux qui verront alors dans ce succès autre chose que des bras levés vers le ciel… ”

Le père de Mathieu van der Poel l’affirme : “Wout van Aert est le grand favori pour Paris-Roubaix”