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Alice de Battenberg : le destin romanesque et tragique d’une princesse

La princesse Alice de Battenberg voit le jour le 25 février 1885 au château de Windsor. Elle est le premier enfant de la princesse Victoria de Hesse et du prince Louis de Battenberg. La princesse Victoria était la fille aînée de la princesse Alice, fille de la reine Victoria. Cette dernière est décédée à l’âge de 34 ans, emportée par la diphtérie qui avait frappé toute la famille et causé la mort de sa fille la princesse Marie de 3 ans et demi. La reine Victoria se montra encore plus protectrice pour ses petits-enfants de Hesse.

C’est vers l’âge de 4 ans qu’il se confirme que la princesse Alice, prénommée en hommage à sa défunte grand-mère maternelle, souffre de surdité en raison de trompes d’Eustache trop épaisses. Les médecins de l’époque ne peuvent rien proposer comme traitement mais à force de discipline et d’entraînement, Alice parlera couramment anglais, allemand, français et grec. Sa petite enfance se passe entre Darmstadt en Allemagne, les séjours en Angleterre à Walton-on-Thames près de Londres, sur l’île de Wight où réside la plus grande partie de l’année la reine Victoria, et Malte où son père le prince Louis est en poste pour la Royal Navy.

Alice est très proche de sa sœur Louise qui deviendra reine de Suède, et de ses frères Georges et Louis, dernier Vice-Roi des Indes. Elle a 16 ans lorsque la reine Victoria s’éteint en son château de Osborne sur l’île de Wight. Elle est alors reconnue comme l’une des plus jolies princesses de sa génération.

C’est en 1902 lors du couronnement du roi Edward VII, qui doit être postposé en raison d’une péritonite du souverain, que la princesse Alice fait la connaissance, à Buckingham, du prince André de Grèce, fils du roi Georges Ier. Impressionnée par son allure, Alice entame une conversation sur son rêve de visiter un jour la Grèce, nommant les monuments qu’elle connaît par les livres. Le courant passe rapidement entre les jeunes gens.

Malgré les réticences des Battenberg car le prince André est un cadet et ne disposera donc pas de grands moyens financiers, le mariage est célébré en octobre 1903 à Darmstadt. Le couple princier s’installe au Palais royal d’Athènes. Enceinte de son premier enfant, Alice apprend l’assassinat de son oncle le grand-duc Serge de Russie, époux de sa tante la princesse Elisabeth de Hesse. Très liée avec cette dernière, c’est un véritable drame familial.

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La descente aux enfers

Alice met au monde quatre filles entre 1905 et 1914 : Margarita, Theodora, Cecilie et Sophie. Sa vie de couple est harmonieuse malgré les séparations en raison des obligations militaires du prince André. Mars 1913, son beau-père le roi Georges Ier est assassiné lorsqu’il se promenait dans les rues de Thessalonique. La monarchie grecque va alors vivre au gré des exils et des retours au pays jusqu’en 1967.

Le 10 juin 1921, la princesse Alice donne naissance à un fils prénommé Philip à la Villa Mon Repos à Corfou, héritée du roi Georges Ier. André n’est pas là car il est en garnison. L’heure n’est pas aux réjouissances. Après la défaite grecque face à l’armée turque à la bataille de Sakarya, le prince André en est tenu responsable et incarcéré. Il parvient à faire passer quelques messages à Alice, notamment par son frère le prince Christophe (père de l’historien le prince Michel de Grèce). Jugé pour désertion au terme d’une mascarade de procès, le prince est condamné à la déchéance de sa nationalité, au bannissement et à la dégradation mais échappe à la peine de mort contrairement à d’autres compagnons d’armes. La famille parvient à quitter le pays à bord d’un navire militaire britannique, le petit Philip installé dans un cageot de fruits à défaut de berceau…

La famille, désargentée, partie avec deux valises par personne, s’établit à Saint-Cloud auprès du prince Georges de Grèce, frère d’André, et de son épouse, la richissime princesse Marie Bonaparte. Le couple soutient financièrement la famille princière, tout comme Louis, le frère d’Alice, et son épouse Edwina.

Au sortir de la guerre, la famille royale britannique a pris le patronyme de Windsor plus anglais et la famille de Battenberg s’est anglicisée en Mountbatten. Alice sera la seule à continuer d’être appelée par son patronyme originel. Leur nouvelle vie à Paris ne tarde pas à lézarder le couple princier. André vaque à ses occupations personnelles, fréquentant des clubs réservés aux hommes et entamant une série d’aventures extraconjugales. C’est une brisure totale pour Alice qui voit son bonheur familial voler en éclats. Elle sombre dans la dépression de cet abandon et ce dans l’incompréhension générale, y compris de sa mère la princesse Victoria. En 1928, elle donne malgré tout le change en célébrant ses noces d’argent. Elle commence alors son cheminement vers la religion, se convertissant à l’orthodoxie.

En janvier 1931, sa fille, la ravissante princesse Cecilie, épouse à Darmstadt le futur grand-duc Georg Donatus de Hesse. La veille de la cérémonie, alors que le prince Philip âgé de 9 ans est parti en promenade, Alice est exfiltrée du château pour être internée afin de “soigner ses maux”. C’est le début d’une terrible descente aux enfers avec des interventions médicales innommables pour calmer ses “pulsions sexuelles”. Droguée, médicalisée à outrance, Alice n’est plus elle-même. Elle retrouve la liberté deux ans plus tard et s’installe en Italie. Elle n’assiste pas pendant cet intermède aux mariages de ses quatre filles.

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13 coups d’États en 11 ans

Elle revoie ses enfants et son époux qui passe pour un pauvre homme ayant dû gérer les errements psychiatriques d’Alice, lors des funérailles de la princesse Cecilie, son époux et leurs deux fils, tués dans un accident d’avion en novembre 1937 à Ostende. Il faudra encore de longs mois à Alice pour renouer avec les siens, faire connaissance avec ses petits-enfants et pardonner à sa mère.

Comme la Première Guerre mondiale, celle de 40-45 va à nouveau créer des cassures familiales. Les filles d’Alice sont toutes mariées à des princes allemands engagés dans l’armée d’Hitler. En 1944, le prince André décède à Monte-Carlo. Il avait dilapidé le peu de fortune qui lui restait.

La princesse revient en Grèce au gré d’une nouvelle restauration de la monarchie en 1947. Pour donner une idée de l’instabilité de la politique nationale : entre 1924 et 1935, la Grèce a connu 23 gouvernements et 13 coups d’État !

Novembre 1947, le prince Philip de Grèce devenu citoyen britannique sous le patronyme de Philip Mountbatten, héros de la guerre au sein de la Royal Navy, épouse la princesse héritière Elizabeth. Sous les voûtes de Westminster, Alice porte pour la dernière fois une robe confectionnée à Paris. Son choix de vie est fait : elle deviendra religieuse. Elle fonde une communauté religieuse sur l’île de Tinos sur le modèle de celle de sa défunte tante Elisabeth de Hesse, grande-duchesse de Russie, tuée par les Bolchéviks. Elle visite d’ailleurs son lieu de sépulture à Jérusalem où elle-même souhaite être enterrée. Les moyens financiers venant à manquer, elle retourne à Athènes où elle vit pendant une dizaine d’années fort isolée et en difficulté économique malgré une rente en tant que veuve d’un général.

En 1953, vêtue de sa tenue de religieuse, elle assiste au couronnement de sa belle-fille Elizabeth et de son fils le Duc d’Édimbourg. Alice apparaît encore lors des grands événements de la Cour à Athènes.

En 1967, enième coup d’État en Grèce, le Duc d’Édimbourg somme sa mère de quitter le pays et de venir s’installer à Londres. La famille royale grecque a prévu un plan d’évacuation qui n’inclut pas Alice…

En mai, elle quitte Athènes. La monarchie sera définitivement renversée en décembre. Un appartement est mis à sa disposition à Buckingham. Elizabeth II se montre très chaleureuse avec sa belle-mère qui profite pleinement de la compagnie de ses petits-enfants et en particulier de la princesse Anne dont elle devient très proche.

Juste parmi les Nations

Alice a encore la douleur de perdre sa sœur Louise, reine de Suède et sa fille la princesse Theodora avant de rendre son dernier soupir le 5 décembre 1969 à Buckingham. Elle est inhumée temporairement à la chapelle Saint-George à Windsor.

En 1988, sa dépouille est enfin transférée en l’église Sainte-Marie-Madeleine au Mont des Oliviers à Jérusalem auprès des reliques de sa tante bien-aimée la grande-duchesse Elisabeth de Russie. En 1993, elle reçoit le titre de Juste parmi les Nations au Mémorial de Yad Vashem en présence de ses deux enfants encore vivants le Duc d’Édimbourg et la princesse Sophie. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Alice avait caché au péril de sa propre vie la famille Cohen dans sa modeste résidence à Athènes, recevant régulièrement des visites de la Gestapo qui ne fouilla cependant jamais les lieux, considérant qu’Alice n’était qu’une pauvre femme sourde et aliénée…

Ainsi se termina la vie d’une princesse allemande, élevée dans le cercle de la famille royale britannique, princesse de Grèce par mariage, animée tout au long de son existence par le souci de l’autre, dotée d’une force de caractère qui lui permit de faire face à son handicap de surdité mais surtout de surmonter l’enfer d’un long et cruel internement médical. Définitivement, un destin hors du commun.

« Princesse Alice de Battenberg. Le tragique destin de la mère du prince Philip », Inès de Kertanguy, Les Presses de la Cité, 2023, 304 p, 22,90 €