Maroc

Le Maroc à la croisée des chemins ?

La transition numérique en débat au cycle de conférences de La Vie Eco

Mue.
«Administration numérique des avancées et des enjeux», c’est la thématique traitée mardi dernier par notre confrère La Vie Eco dans le cadre de son cycle de conférences-débats. En voici les principaux faits marquants.

Le ton est donné d’entrée. La transformation numérique est sur toutes les lèvres ici et ailleurs. Chaque Nation, face à un écosystème en pleine mutation, a opéré sa mue. Le Maroc a entamé les démarches pour réussir ce tournant inévitable depuis déjà quelques années. La simplification des procédures permettrait, en effet, d’encourager les investisseurs. Le discours royal était clair à ce sujet. Et c’est ainsi qu’ouvrira le débat Ghita Mezzour, ministre déléguée chargée de la transition numérique et de la réforme de l’administration. Elle rappellera que «la loi 55-19 portant sur la charte des services publics l’intègre clairement en son sein». Il faut dire que la création d’un ministère à part entière confirme l’importance de ce switch non seulement du citoyen mais aussi du chef d’entreprise qui ne demande qu’à être déchargé de la «paperasse» à réunir pour effectuer ses transactions.

Pour l’heure, les travaux et actions dans plusieurs secteurs ont déjà été initiés. Reste à uniformiser les plateformes car chaque ministère possède son propre format en matière de système d’information. En tant qu’experte et femme du terrain, Mme Mezzour insistera sur cette nécessité d’interopérabilité pour que le processus de simplification devienne possible et en toute sécurité. La prise de conscience auprès de tous les opérateurs publics et privés est une réalité, -on en conviendra tous au vu des nombreux services publics désormais accessibles en ligne-. «Plus de 300 services ont été digitalisés en faveur du citoyen. Ils ont été aujourd’hui recensés sur une plateforme nommée Maroc.ma. 200 autres ont été développés en ligne en direction de l’entreprise», précise la ministre. Aujourd’hui il s’agit de les mettre plus en lumière pour que les citoyens puissent se les approprier. Pousser le citoyen à avoir de nouveaux réflexes s’impose ipso facto. Et face à l’analphabétisme toujours béant, le soutien familial vient y parer quelque peu. La solidarité étant de mise au Royaume. Ceci aussi, la ministre n’omettra pas de le préciser devant les participants à la conférence-débat de La Vie Eco.

Le second panéliste, Hassan Belkhayat, en sa qualité de président de la commission Ecosystème Tech à la CGEM, confirmera le grand soulagement du secteur privé lors de la promulgation de la loi 59-19 concernant la digitalisation des services, notamment de la DGI (Direction générale des impôts), de la Conservation foncière et de la CNSS. «Nous ressentons cela dit une certaine frustration par rapport à la loi 55-19 qui réglemente les appels d’offres publics. La simplification n’étant pas visible», regrette-t-il.

Dans le même sens, l’intervenant fera remarquer que plusieurs start-up développant des solutions de simplification ne trouvent pas de marchés au Maroc alors qu’elles sont sollicitées à l’étranger, notamment au Moyen-Orient. Autre enjeu de la digitalisation, celui de la démocratisation de l’emploi dans le sens où des postes peuvent être créés dans une autre ville lointaine du Maroc à partir du pôle économique. Bref, la transition numérique devrait aider fortement à la régionalisation. Pour être dans le concret en termes de simplification des procédures, la ministre en charge du dossier citera plusieurs projets pilotes, notamment celui des crèches. Concernant la plateforme d’interopérabilité qui permet de lier tous les systèmes d’information, le Registre unifié mis au point, désormais, a permis de connecter 20 administrations. «Ce chantier est énorme car il concerne des populations vulnérables qui n’auront plus à faire le tour des administrations», atteste Mme Mezzour.

Pour Aboubakr Himeur, directeur de la facilitation du système d’information et de la stratégie à la Direction générale des impôts, la digitalisation est une réalité incontournable. Spécialement en matière de fiscalité, elle est nécessaire compte tenu des mutations profondes que connaît le pays. L’économie marocaine traverse, en effet, une conjoncture particulière marquée par une facture énergétique de plus en plus élevée, un «post-crise sanitaire» à gérer sans parler de l’impact économique du séisme qui a frappé de plein fouet la région d’Al Haouz.

Il est clair que face à ces multitudes de postes budgétaires à combler, faire adhérer le maximum d’entreprises est salutaire. La digitalisation en sera le catalyseur car elle aide à combattre la fraude. L’expert en la matière n’omettra pas de le mentionner dans son discours. «Heureusement que plusieurs services avaient été déjà digitalisés, avant la pandémie causée par la Covid-19. La traçabilité avait, également, été mise en place», poursuit le représentant de la DGI. Pour rappel, cette administration avait démarré par les grands comptes étant donné leur capacité à être accompagnés par des experts comptables, des avocats… Plus de 88% des impôts sont payés en ligne aujourd’hui et 97% des redevances afférant à la vignette sont télé-payées par ailleurs. «La digitalisation a été structurante. Il faut se préparer parce qu’elle génère de la productivité et dégage ainsi des ressources», poursuit-il.

De son côté, Mohammed Essaidi, vice-président de l’Association des utilisateurs des systèmes d’information au Maroc (AUSIM), est à l’initiative du livre blanc. L’ouvrage qui paraîtra bientôt proposera 10 recommandations essentielles pour accompagner les entreprises en matière de transition digitale. Ce travail a été étayé d’expériences étrangères pour ne citer que celle du Rwanda. La présentation prochaine du manuel permettra d’affiner le débat déjà ouvert depuis des années et plus d’actualité aujourd’hui. Autre intervenant à la conférence-débat de La Vie Eco, Younes Ouahid, en sa qualité de directeur «organisation et système d’information» au sein de la Conservation foncière, insistera sur le fait que cette administration avait déjà opéré dans les années 90 des avancées en matière de digitalisation des données.

Ses prérogatives lui conférant la gestion des archives physiques toujours et encore. «Le conservateur est tenu de garder les documents pour passer les différentes transactions », précisera-t-il néanmoins pour montrer la complexité des tâches au sein de cet organisme qui dès 1913 a démarré les travaux de vérification, de modification le cas échéant pour accompagner le processus…
La digitalisation n’étant pas un choix. «Il s’agit d’une obligation et à ce jour 7,4 millions de titres fonciers ont été digitalisés », précisera le représentant de la Conservation foncière. Les enjeux sont réels. Le notaire peut effectuer, désormais, une transaction par exemple à Dakhla sans se déplacer. Et en cas de rejet d’une quelconque opération foncière, la traçabilité désormais disponible permet d’en saisir la raison.

Bref, un tel débat pourrait se poursuivre davantage tant les particularités de services et des administrations existantes et actrices dans un tel processus sont nombreuses. Il est clair que le capital humain jouera un grand rôle dans l’accélération des processus. L’adhésion des fonctionnaires en dépend. Beaucoup d’entre eux sont favorables au changement. La ministre en attestera. Pour l’heure, la course contre la montre continue. «La digitalisation, cela dit, n’est pas une fin en soi.

Elle apporte des simplifications mais ne dispense pas des réformes. Notre agilité dépendra de la data et des ressources humaines», conclura le représentant de la Direction générale des impôts. Le capital humain demeurera au cœur des priorités car la digitalisation impliquera aussi sa valorisation à des missions plus nobles et génératrices de plus- values. La démarche doit absolument intégrer ce principe de base. Car il en va du développement de toute une Nation. La messe est dite !