International

Quels sont les enjeux de la visite de Macron et von der Leyen à Pékin? « L’Ukraine sera un sujet important de notre rencontre »

Les discussions entre le tandem européen et le maître tout-puissant de Pékin porteront sur un large éventail de sujets allant du climat aux droits de l’homme en passant par l’économie et la géopolitique. Mais ces discussions prennent cette fois une nouvelle dimension, à la lumière de trois développements majeurs.

1. Guerre en Ukraine et équilibres géopolitiques

“L’Ukraine sera un sujet important de notre rencontre”, a précisé mardi Ursula von der Leyen, qui s’est entretenue avant son départ avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky. A Pékin, l’Allemande et le président français devraient inviter le président Xi à avoir un premier contact direct avec son homologue ukrainien. S’il y a un scénario que les Européens veulent éviter, c’est de voir la Chine se ranger catégoriquement derrière la Russie, en lui livrant par exemple des armes pour mener sa guerre en Ukraine. Pour l’heure, Xi Jinping s’est limité à flirter avec le président russe Vladimir Poutine – les deux hommes se sont vus en mars et partagent la volonté de rebattre les cartes de l’ordre mondial, trop dominé par les Occidentaux à leur goût.

Que cache la parfaite entente entre la Russie et la Chine ?

“La Chine a ses propres intérêts avec la Russie, et nous n’allons pas les changer”, prévient Judy Dempsey, analyste au think tank Carnegie Europe. Mais à l’heure où Pékin pèse ses options, autant lui rappeler, les yeux dans les yeux, la position européenne. Et donc ce qu’une aide chinoise à la Russie signifierait pour la relation avec l’UE, qui a fait de cette question et du respect de l’ordre international une priorité absolue. D’où aussi la volonté européenne de mettre en garde la Chine contre une invasion de Taïwan.

Si elle figurera en tant que telle au menu des discussions à Pékin, la guerre en Ukraine est aussi et surtout un électrochoc qui met en lumière les faiblesses des Européens dans un monde multipolaire agité. C’est dans ce contexte qu’Ursula von der Leyen a prononcé le 30 mars un discours réaliste sur les stratagèmes de la Chine pour avancer ses intérêts politiques et économiques, des risques que pose son attitude et de la manière dont l’UE peut les réduire.

2. Business not as usual avec Pékin

L’Union veut continuer à faire des affaires avec la Chine, mais plus question de le faire “comme avant”. Les États membres filtrent désormais les investissements étrangers, et donc chinois, en Europe dans les domaines stratégiques. Elle entend ainsi contrôler les exportations du matériel à double usage ou relatif à la surveillance, par exemple. Les Pays-Bas sont allés plus loin en suivant les États-Unis et le Japon qui ont décrété une restriction des transferts de technologies liées

C’est surtout la question des dépendances vis-à-vis de la Chine qui préoccupe les Européens. Il y a de quoi : ce sont les Chinois qui fournissent à l’UE la quasi-totalité de certaines matières premières critiques comme les terres rares (98 %), le lithium (97 %) et le magnésium (93 %). Autant de produits indispensables à la transition numérique et à la transition verte de nouvelles priorités européennes, ainsi que pour les biotechnologies. “La Chine sait très bien que l’Europe est très dépendante d’elle et qu’elle a négligé de diversifier” ses sources d’approvisionnement, rappelle Judy Dempsey.

Le plan de la Commission pour assurer l’approvisionnement de l’UE en matières premières critiques

L’UE ne veut pas répéter les erreurs commises dans sa relation passée avec la Russie, qui était son premier fournisseur d’énergie. Tout comme elle a tiré les leçons des ruptures de chaînes d’approvisionnement causées par le renfermement de la Chine sur elle-même pendant la pandémie de Covid-19.

La stratégie de réduction des risques n’est cependant pas une stratégie de découplage des économies européenne et chinoise, insiste-t-on à Bruxelles. Pour l’Union, Pékin reste un partenaire commercial de première importance. La cinquantaine d’entreprises françaises qui accompagnent Emmanuel Macron ne vient pas faire du tourisme. “Une grande part du commerce avec la Chine est sans risque et répond à nos intérêts”, souligne une source européenne. Qui peut se permettre de snober un marché de 1,4 milliard d’habitants ? L’Union a exporté pour 230 milliards d’euros en 2022 en Chine. Mais dans le même temps, le montant des importations chinoises dans l’UE a atteint 626 milliards d’euros durant la même période. Le déséquilibre commercial en défaveur de l’UE ne cesse de croître : il était l’an dernier de 396 milliards d’euros contre 112 milliards d’euros il y a dix ans.

L’UE et la Chine avaient conclu, fin 2020, un accord global sur les investissements qui, espérait la première, contribuerait à rétablir un certain équilibre. Oui mais : en raison de comportements hostiles de Pékin (cyberattaques, désinformation, sanctions contre des élus, des académiques et des institutions, mesures de rétorsion commerciale contre la Lituanie) il n’y a aucune chance que l’accord soit ratifié dans un avenir proche. Et certainement pas sous sa forme actuelle.

3. Une relation à construire avec Pékin sans se calquer sur les États-Unis

Comme si la relation avec la Chine n’était pas assez complexe comme ça, les Européens doivent également composer avec la volonté des États-Unis, leur principal allié, garant de leur sécurité, d’engager une réelle confrontation avec la Chine. Ursula von der Leyen a veillé à ne pas mentionner une seule fois les États-Unis dans son discours, façon d’indiquer que les Européens tracent leur propre voie.

guillement

Notre relation avec la Chine est l’une des plus complexes et des plus importantes du monde.

“Nous devons prendre position sur ce qui est important pour nous, le dire à la Chine autant qu’aux États-Unis”, estime Mme Dempsey. Mais la difficulté réside justement dans les dépendances dont souffre l’UE, en matière de défense, d’énergie, de matières premières.

Plus que des mots, ce positionnement exige des décisions ambitieuses et sans doute des sacrifices économiques majeurs. “La guerre en Ukraine a montré que l’Europe n’a pas la capacité d’autonomie stratégique. L’Europe n’a pas la puissance pour mener une politique stratégique forte et commune pour faire face à la Chine. Nous sommes coincés et nous devons décider comment nous allons faire face à ce nouvel ordre mondial émergent, parce que la Chine ne va pas disparaître.”