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Le voyage controversé de deux élus belges au Liban

Trois jours sur place, quatre nuits d’hôtel sans luxe tapageur, le tout apparemment payé par une ONG appelée l’Observatoire européen pour l’intégrité du Liban (OEIL). Présidée par une avocate italienne, celle-ci regroupe des avocats et des activistes européens (notamment français, suisses, belges) qui veulent combattre la corruption rampante au Liban, y compris en encourageant des procédures légales en Europe contre des dirigeants libanais.

Le voyage sur invitation n’a été signalé par Maria Arena sur le site du Parlement européen que le 10 janvier dernier, alors que l’eurodéputée se trouvait en pleine tourmente du Qatargate, affaire pour laquelle elle n’a pas été inculpée, ni encore moins jugée. Elle a régularisé ce voyage a posteriori, à l’instar de nombreux eurodéputés pris de court par l’enquête du juge Claise.

Des liens avec le clan de l’ex-président Michel Aoun

L’association qui invitait à Beyrouth, l’OEIL, ne cache pas son soutien à la juge Ghada Aoun, présente au colloque. C’est elle qui s’est attaquée au gouverneur de la banque centrale du Liban, Riad Salamé, ce qui lui vaut plusieurs enquêtes en Europe, y compris en Belgique, et au Liban sur des centaines de millions de dollars qu’il aurait détournés à son profit. Riad Salamé dément tout en bloc. Il a été entendu à la mi-mars par des juges européens venus à Beyrouth, après avoir refusé de répondre aux convocations de la juge Ghada Aoun.

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L’une des raisons est que dans un Liban polarisé, la plupart des juges sont très politisés. Le clan Salamé accuse la juge d’être liée étroitement à celui de l’ancien président Michel Aoun, fondateur du parti du Courant patriotique libre (CPL), un chrétien maronite qui s’est allié au Hezbollah chiite soutenu par l’Iran. Et de fait, les participants au colloque ont été invités au palais présidentiel le 1er octobre, alors que Michel Aoun était encore président.

Le Courant patriotique libre est en outre dirigé par Gebran Bassil, qui a été placé sous sanctions américaines en 2020.

Sur l’inévitable photo de famille qui couronne ces visites protocolaires, apparaissent les deux députés belges mais également l’avocat Wadih Akl, intervenant au colloque. Akl s’est spécialisé dans les plaintes de corruption. Il a lui-même intenté un procès contre la direction du Casino du Liban, dont il est actionnaire. Mais il est aussi un membre important du bureau politique du CPL. Curieusement, on l’a vu en décembre 2022 au dernier colloque coorganisé par l’ONG Fighting Impunity d’Antonio Panzeri, principal accusé du “Qatargate”, sur le thème de la liberté des médias.

Le CPL est en outre dirigé par le gendre de Michel Aoun, Gebran Bassil, qui a été placé sous sanctions américaines en 2020 par l’administration Trump pour “corruption systémique” et ses liens avec le Hezbollah (considéré comme un groupe terroriste par Washington, mais pas par l’Union européenne, qui fait la distinction entre les branches politique et armée du mouvement.)

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Cette proximité des deux députés belges avec le clan Aoun irrite plusieurs Libanais de Belgique qui considèrent que Marie Arena et Malik Ben Achour jouent dans un jeu politique qu’ils ne comprennent pas. Au Liban, la corruption est généralisée et, comme le dit un observateur, “on profite des Européens et des Occidentaux pour faire avancer des cases en interne”.

Malik Ben Achour : “Je ne suis d’aucun camp”

Je ne suis d’aucun camp”, réplique Malik Ben Achour, contacté par La Libre. “Ce qui m’intéresse, c’est la réhabilitation du peuple libanais. Lors du colloque, la discussion était très libre. Il faisait très chaud car nous avons passé une journée sur la terrasse de l’hôtel Saint-Georges en plein cagnard. Il y avait des intervenants qui ne faisaient pas partie du clan aouniste. Certes on a été reçus par le président Aoun, mais c’était sans soutien politique.”

Salamé dispose aussi de relais dans l’élite libanaise, qui a trempé dans ses affaires et n’a aucun intérêt à ce qu’il tombe.

Une partie des Libanais soutiennent Salamé, toujours aux commandes de la banque centrale, car ils voient en lui le seul homme capable de redresser les finances du pays. Cet ancien de Merrill Lynch a été patron de la banque centrale pendant trois décennies. Il a été loué de toutes parts jusqu’au moment où la monnaie libanaise s’est effondrée. Son principal soutien reste les États-Unis quoique, selon le quotidien L’Orient-Le Jour, ces derniers s’interrogeraient sur le nombre de casseroles que traîne leur favori et prendraient leurs distances. Washington, en tout cas, n’acceptera pas un remplaçant à Salamé s’il est étiqueté Hezbollah. Or le numéro deux de la Banque du Liban est un Hezbollah. Salamé dispose aussi de relais dans l’élite libanaise, qui a trempé dans ses affaires et n’a aucun intérêt à ce qu’il tombe.

Riad Salamé, le gouverneur de la Banque centrale du Liban, est en discussion avec le FMI depuis novembre.
Riad Salamé, le gouverneur de la Banque centrale du Liban. ©BELGA

Des députés libanais dans le jet du milliardaire

Une dizaine de députés libanais sont venus la semaine dernière à Bruxelles, pour parler à des homologues et diplomates belges et européens. Faute de salaire décent, ils sont arrivés dans le jet de l’homme d’affaires et milliardaire Fouad Makhzoumi. Certains d’entre eux, comme Elias Hankach (Kataeb, chrétien de droite), ont averti des risques de désinformation que comportaient des motions déposées sur le Liban dans les parlements européens – une critique à peine voilée de la motion déposée par le PS sous l’impulsion de Malik Ben Achour. Celle-ci a été votée à la mi-mars à la Chambre et appelle Hadja Lahbib à faire activer par l’UE un régime de sanctions contre des entités ou responsables libanais continuant “à bloquer les réformes et la lutte contre la corruption”.

guillement

J’attire l’attention sur la prudence nécessaire.

La Belgique est le seul pays européen à avoir adopté une telle motion. Mais elle joue dans un pays où se croisent constamment les influences de grands pays comme la France, les États-Unis, l’Arabie saoudite, l’Iran, et plus récemment de l’hyperactif Qatar sur lequel mise le clan Aoun. Ces pays sont à la manœuvre pour aider les Libanais à trouver un président pour le pays. Selon les règles de partage du pouvoir entre les différentes communautés, cela doit être un chrétien.

« Il ne peut y avoir d’impunité face au scandale de corruption au Parlement européen, zéro tolérance »

La députée MR Marie-Christine Marghem a rencontré la semaine dernière le député libanais Elias Hankach qui s’est inquiété de la motion belge. Elle compte demander au Parlement que les invitations à voyager que reçoivent les députés belges soient mieux encadrés. “J’attire l’attention sur la prudence nécessaire car la présence de députés assoit la légitimité”, dit-elle. Malik Ben Achour, passionné par le Moyen-Orient, estime de son côté que ces voyages sont nécessaires car “sinon, on ne comprend rien”.