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Lassitude, pressions, tensions, menaces : le cocktail qui pousse les maires français vers la…. retraite anticipée

”Je n’ai plus la motivation”

Comme lui, un nombre croissant de maires décident de déserter l’hôtel de ville au beau milieu de leur mandat. “Nous tirons la sonnette d’alarme sur les démissions massives des maires”, nous explique Murielle Fabre, secrétaire générale de l’Association des Maires de France (AMF), qui vient de publier les premiers résultats (partiels) d’une enquête menée auprès de son réseau. Ils sont éloquents : entre leur élection en juin 2020 et mars 2022, 275 maires ont déjà démissionné ainsi que 913 adjoints et 3 563 conseillers municipaux. Selon la Gazette des communes, qui a épluché le répertoire national des élus, ce sont au total près d’un millier de maires qui ont capitulé, soit 3 % d’entre eux. Un chiffre en nette augmentation par rapport au précédent mandat. “Mais on ne peut pas faire sans les maires ! Ce sont eux qui gèrent le quotidien des communes et les crises”, s’inquiète Murielle Fabre.

Sur la toile, les témoignages d’élus ayant quitté leurs fonctions se multiplient. À Cabanac-et-Villagrains (Gironde), Anne-Marie Caussé a envoyé sa lettre de démission au préfet en février. La gestion du Covid puis celle des grands incendies de l’été ont été éreintantes, elle a fait un burn-out. À Sassenage (Isère), le maire Christian Coigné a annoncé sa démission lors de la cérémonie des vœux en janvier. “Je n’ai plus la motivation”, a-t-il confié à ses administrés. À Villeréal (Lot-et-Garonne), Guillaume Moliérac a justifié son départ sur le compte Facebook de la mairie : “Depuis de longs mois, je m’accrochais pour être un maire dynamique, souriant, à l’écoute, déterminé et plein d’idées. Mais au quotidien, j’emmagasinais la frustration, la colère ou la peur”.

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”Une crise des vocations”

”Dans la plupart des cas, la démission du maire n’est pas liée à une seule et unique raison, souligne Murielle Fabre, mais plutôt à un cocktail malheureux de facteurs engendrant des difficultés et un malaise croissant”. Elle cite notamment la difficulté de concilier le rôle de maire avec une vie professionnelle et privée, le harcèlement administratif et normatif ou encore les difficultés financières toujours plus importantes (notamment depuis la suppression de la taxe d’habitation, qui représentait un tiers des recettes fiscales des communes). “Il y a des mois où je ne savais plus comment payer les employés municipaux”, confie un élu. “J’ai dû tailler sur tout, y compris en arrêtant les commémorations nationales, et augmenter la taxe d’habitation”, confiait en 2018 Philippe Rion, maire de Castillon (Alpes-Maritimes). “Psychologiquement, c’est très dur, on essuie les reproches des uns et des autres. J’avais l’impression de flouer ceux qui m’avaient élu”.

Il arrive aussi que le maire décède en cours de mandat ou qu’il souffre de problèmes de santé, sachant que les élus des territoires sont de plus en plus âgés (55,3 % des maires élus en 2020 avaient plus de 60 ans, contre 49,7 % en 2014). Un cœur devenu fragile, voilà une des raisons qui a poussé notre élu du Bosc, Daniel Guibal, à planter là ses administrés après trente ans de bons et loyaux services. “J’avais un défibrillateur depuis vingt ans. L’heure de la retraite approchait. J’ai pensé qu’il fallait être raisonnable, j’étais fatigué. C’était peut-être le mandat de trop”. En insistant un peu, on comprend vite que d’autres raisons ont pesé sur sa décision : “la relation entre le maire et les gens du village a changé : avant, on se serrait la main, on se parlait franchement, on avait un lien direct. Mais avec les réseaux sociaux, chaque projet est critiqué sur Facebook, chacune de mes décisions était jugée de manière désagréable, souvent anonyme. Je n’étais pas habitué à cela. Ça déstabilise moralement. À la fin, je ne me sentais plus à ma place, plus utile”.

”On observe en effet une crispation du dialogue dans certains conseils municipaux, ainsi que des pressions, des incivilités voire des agressions de plus en plus fortes à l’égard du maire”, explique la secrétaire générale de l’AMF. À Linus (Oise), Thierry Levasseur a rendu les clefs de la mairie en février après avoir reçu plusieurs menaces de mort et avoir été harcelé. Daniel Guibal lui-même a vu un beau jour un homme de son village débarquer à son domicile “en disant qu’il voulait [m] e tuer”. Aux yeux de Murielle Fabre “se pose désormais la question d’une crise des vocations. Ces gens, au départ, se sont investis dans leur commune quasi bénévolement, par passion ou par conviction. Mais quelques mois ou années plus tard, ils se demandent ‘à quoi bon ?’”.

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