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Chat GPT, une intelligence artificielle climatosceptique ?

Pourtant, à l’instar d’autres intelligences artificielles, Chat GPT est loin d’être parfaite : ses approximations et erreurs ont été pointées du doigt à maintes reprises (ici, ici ou ici). Que vaut Chat GPT 3, la version gratuite de l’IA, lorsqu’elle parle climat ?

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“Je suis désolée, mais…”

Une chose semble certaine au premier abord : Chat GPT est loin d’être climatosceptique. Quand on lui demande si le changement climatique est réel, l’IA acquiesce et note d’emblée que la hausse des températures moyennes terrestres est principalement due aux “émissions de gaz à effet de serre résultant des activités humaines telles que la combustion de combustibles fossiles, la déforestation et l’agriculture intensive”. Chat GPT évoque également les impacts “déjà observés dans de nombreuses régions du monde, notamment la fonte des glaciers, l’élévation du niveau de la mer, la modification des régimes de précipitations, l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des phénomènes météorologiques extrêmes […] ainsi que la perte de biodiversité”. Bref, des réponses qui, dans les grandes lignes, correspondent au consensus scientifique.

Lorsqu’il lui est demandé de donner des arguments utilisés par des climatosceptiques et de convaincre de leur bien-fondé, l’IA s’y refuse. “Je suis désolée, mais je ne peux pas convaincre quiconque que le changement climatique n’existe pas, car cela irait à l’encontre des preuves scientifiques et des consensus mondiaux qui affirment l’existence du changement climatique”, répond Chat GPT lorsqu’on lui demande de se plier à l’exercice.

Il en est de même lorsque l’on évoque la géoingénierie, soit des techniques visant à manipuler et modifier le climat et l’environnement de la Terre. Un domaine qui est loin de faire consensus à l’heure actuelle. Outre l’aspect expérimental de ces techniques, l’IA rappelle que “la géoingénierie ne traite pas les causes sous-jacentes du changement climatique, telles que la dépendance continue des sociétés humaines aux combustibles fossiles”.Par conséquent, il est important de considérer la géoingénierie comme une solution à court terme et de mettre en œuvre des changements à long terme pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et promouvoir des modes de vie durables”, conclut Chat GPT.

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Ci-dessous, voici plusieurs échanges entre La Source et Chat GPT.

Imprécisions et sources inventées

À l’instar de La Source, d’autres médias se sont déjà penchés sur la question. Fin 2022, le média en ligne suisse Heidi News s’interrogeait : l’intelligence artificielle d’Open AI peut-elle remplacer ses journalistes spécialisés sur les matières scientifiques, l’innovation et la santé ? Pour répondre à la question, le média a demandé à Chat GPT et à une journaliste en chair et en os d’écrire un article sur le même sujet. Résultat ? Si l’IA a réussi à pondre un article de 450 mots en quelques secondes, des problèmes évidents subsistent. Outre le style scolaire, ce sont les connaissances limitées à 2021 et les sources qui pêchent. “Sollicité pour écrire dans un style journalistique, Chat GPT produit un texte plus clair, avec des sources explicites. Le problème, c’est que la première source donnée… n’existe tout simplement pas”, explique la journaliste Sarah Sermondadaz.

D’autres ont joué le jeu et ont passé à la loupe les réponses de l’IA, relevant imprécisions et fausses informations. C’est le cas de Bon Pote, un média français axé sur le climat, qui a passé à la loupe les réponses de Chat GPT, ou de l’Environmental Defense Fund. En février dernier, ce lobby de défense de l’environnement avait analysé les réponses de Chat GPT avec l’une de leur climatologue. “En fin de compte, Chat GPT avait raison dans les grandes lignes, mais pas dans les détails, et il a commis de graves erreurs d’omission qui reflètent une incompréhension plus large du changement climatique au sein de la société”, note l’article de blog. “Il y a tellement de subtilités dans le langage qui peuvent faire passer la science de correcte à incorrecte. Dans le meilleur des cas, les informations incorrectes ralentissent les progrès et, dans le pire des cas, elles peuvent alimenter des campagnes de désinformation aux conséquences désastreuses”, insiste la climatologue Ilissa Ocko, qui a analysé les réponses de l’IA.

Failles

Enfin, et malgré les garde-fous qui semblent avoir été mis en place par les équipes d’Open AI pour limiter les discours climatosceptiques, certaines failles ont été débusquées par les internautes. En février dernier, on apprenait sur Fox News que le célèbre climatosceptique américain Steven Milloy s’était vanté sur son blog d’avoir réussi à piéger l’IA en lui faisant écrire qu’entre 2015 et 2022, la tendance des températures globales était à la baisse. L’ancien chroniqueur de Fox News, également connu pour ses liens l’industrie (pétrolière gazière, tabac, pesticides), s’appuyait sur des données publiées en janvier par la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA). La tendance mise en évidence montrait une baisse de la température mondiale de 0,06 °C entre 2015 et 2022.

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Or, si pour ce climatosceptique américain, il s’agit là d’une preuve irréfutable pour nier l’existence du réchauffement climatique, c’est pourtant loin d’être le cas. Des scientifiques de la Nasa et de Berkeley Earth, une organisation spécialisée dans la science des données environnementales, ont rappelé à Reuters que “les données relatives à de courtes périodes montrant un refroidissement des températures ne peuvent pas être extrapolées à des tendances à plus long terme et ne prouvent pas que le réchauffement planétaire à long terme est un canular”.

Les fluctuations d’une année sur l’autre sont un élément normal de la tendance actuelle au réchauffement de la planète. Ne vous laissez pas distraire par le bruit”, écrivait sur Twitter le Dr Robert Rohde, climatologue au Berkeley Earth, accompagnant son tweet d’un graphique illustrant la récurrence de ces phénomènes. Des faits que rappelait par ailleurs l’intelligence artificielle d’Open AI dans sa réponse à Steven Milloy.

Un outil pour les scientifiques ?

Si elle n’est pas climatosceptique, le manque de précision et la vulgarisation scientifique conduisent parfois l’IA à faire des raccourcis trop importants, résultant en des erreurs ou des oublis de taille. À l’heure actuelle, Chat GPT est donc encore loin de pouvoir prétendre remplacer les climatologues et autres experts en sciences de l’environnement.

Notons cependant que certains scientifiques considèrent que l’intelligence artificielle pourrait se révéler être un outil précieux pour “faciliter la recherche sur le climat, notamment pour le paramétrage des modèles, l’analyse et l’interprétation des données, la génération de scénarios et l’évaluation des modèles” (ici). Un point de vue partagé, entre autres, par Jim Bellingham, directeur général du Johns Hopkins Institute for Assured Autonomy. “À mesure que les humains auront davantage confiance en l’IA, nous pourrons nous appuyer davantage sur la technologie pour comprendre le changement climatique et faire des prédictions et des modèles plus précis. Cela nous permettra de mieux cibler nos stratégies pour atténuer les effets les plus graves”, assurait-il en mars dernier.

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La Source ©R. Batista

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