France

Un projet inédit d’île artificielle essuie une vague d’oppositions près de Cannes

Une plage privée, mais sans le sable, et avec la mer à 360 degrés. Le projet Canua Island, sorte de resort flottant présenté comme un « nouvel acteur du tourisme français », essuie une vague de contestations avant même sa mise à flot, prévue d’ici quelques semaines au large de Mandelieu-La Napoule, près de Cannes (Alpes-Maritimes). Alors que ses concepteurs espéreraient notamment profiter du festival du film, en mai, plusieurs opposants, dont les collectivités voisines, dénoncent une « aberration écologique » et une « concurrence déloyale aux établissements de bains de mer ».

Assemblée dans un chantier naval italien sur la base d’un trimaran de 41 m de long, la méga plateforme de 1.750 m2 devrait s’ancrer à 600 m du rivage, dès le feu vert des autorités. Embarquant des dizaines de transats, des paddles, des surfs « électriques », mais aussi un bar lounge, un restaurant, un salon de massages, une suite grand luxe de 45 m2 et même une piscine d’eau douce, elle pourrait accueillir jusqu’à 350 personnes, acheminées depuis la côte en navettes. Pour la journée, la nuit ou juste quelques heures.

Le transat sera proposé à partir de 55 euros, hors saison, selon les promoteurs du projet.
Le transat sera proposé à partir de 55 euros, hors saison, selon les promoteurs du projet. – Canua Island

« Navire éco-conçu » ou « aberration écologique » ?

« On est en 2023, on n’arrête pas de parler d’environnement, du fait qu’il faut sauver la Méditerranée, et on se retrouve avec ce projet qui est une aberration écologique. Le trafic est déjà très important en été dans la baie de Mandelieu. Là, ça va être un ballet incessant, de jour comme de nuit. D’autant plus que la plateforme pourra aussi se déplacer de Monaco à Saint-Tropez en fonction des demandes des clients », fulmine Sylvie Aulagnier, « citoyenne lambda » et cofondatrice de l’association Syllau, à l’origine d’une pétition lancée contre « l’implantation de l’île flottante ». Le texte, qui dit notamment « non à l’altération de l’écosystème », totalisait près de 3.000 signatures ce mardi.

Dans un communiqué, diffusé en mars à la suite d’une réunion publique organisée par ces opposants, les promoteurs de Canua Island, deux anciens sportifs de très haut niveau, vantent au contraire « un navire éco-conçu, décarboné, générant trois fois moins d’émissions à la construction qu’un voilier du Vendée Globle ». Les déchets seront « triés à bord » puis acheminés à terre, assurent-ils, précisant que le navire mouillera « sur fonds sableux », et donc sans menacer la posidonie. Ils mettent également en avant une offre culinaire « issue de circuits courts » et les « 100 postes » que générerait le projet.

A la manœuvre depuis 2018, l’Azuréen Marc Audineau, membre de l’équipe de France de dériveur aux JO d’Athènes et de Sydney, ancien directeur de la communication de Foncia, s’est associé avec Tony Philp, originaire des Îles Fidji et déjà à la tête de Cloud 9, une plateforme semblable dans ce petit paradis d’Océanie. Cet homme de 53 ans, multiple champion du monde de planche à voile, navigateur olympique lui aussi, est membre d’une famille à la tête d’un groupe influent dans le transport maritime et les marinas. Sollicités par 20 Minutes, ils ne souhaitent désormais plus s’exprimer, préférant « se concentrer sur la finalisation du projet ». « Nous ne répondons plus aux questions en attendant la validation des autorités compétentes » et notamment le « passage de la commission de conformité et de sécurité », indique leur agence de communication.

Liberté de commerce et d’entreprendre

Canua Island devra aussi obtenir « des autorisations de mouillage » du préfet maritime de la Méditerranée, mais ce dernier n’aura pas « à donner formellement [son] accord pour une telle activité, la liberté de commerce et d’entreprendre étant un principe constitutionnel », précise-t-il dans un courrier de réponse à l’association Syllau.

Une situation que dénonce la ville de Cannes, également opposée à ce projet. Cela pose, selon elle, « la question du pouvoir de réguler l’activité maritime par les maires le long du littoral de leur commune, au-delà de la bande des 300 m » où « seul l’État est aujourd’hui décisionnaire et peut intervenir ». Dans des courriers adressés dès 2018 à Édouard Philippe, alors Premier ministre, et le mois dernier à Élisabeth Borne, le maire LR de Cannes David Lisnard réclame un changement de la réglementation.

La municipalité dit en tout cas « non » à l’implantation de la plateforme. Une décision motivée, écrit-elle dans un communiqué, par « la volonté de protéger l’environnement en raison des risques de nuisances de toutes sortes », par « la sécurité de la navigation maritime » et par « la concurrence déloyale aux établissements de bains de mer ». Les exploitants de ces derniers « s’acquittent d’une redevance domaniale et sont contraints par un cahier des charges strict et exigeant alors que rien n’est prévu réglementairement pour ces installations en mer », dénonce encore la ville.

Mandelieu défend un « projet innovant »

Une opposition partagée par le président du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur. « Le risque de voir la création de zones artificielles et bétonnisées, cherchant le profit aux dépens de l’environnement, n’est en aucun cas un bon signal que nous donnons à nos concitoyens », écrit Renaud Muselier dans un courrier envoyé à Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique. Un double discours, selon certains, puisque le projet pour lequel 15 millions d’euros ont été investis est soutenu par la Banque publique d’investissement (BPI) dans le cadre d’un partenariat avec la région.

Mais la collectivité « n’a pas été associée » à l’instruction du dossier et a été mise « devant le fait accompli », a depuis assuré le conseiller régional Georges Botella. « La copie finale est sans appel : ce projet est manifestement une aberration écologique, il ne correspond en rien ni à la stratégie, ni aux priorités de la région », appuie aussi l’élu, également maire de Théoule-sur-Mer, limitrophe de Mandelieu-La Napoule.

Principale intéressée, la commune face à laquelle Canua Island doit s’arrimer y est, elle, « favorable », même si elle a récemment mis un peu de distance dans ses déclarations. Evoquant « un projet innovant porté » par « deux investisseurs privés […] soucieux des enjeux de préservation de la Méditerranée », elle assure qu’elle sera « attentive au strict respect des normes environnementales et ne transigera sur aucun de ces points ».