France

« Terrorisme intellectuel », un concept d’extrême droite dans la bouche de Gérald Darmanin

Après Emmanuel Macron dans Pif Gadget et Marlène Schiappa annoncée dans Playboy, l’exécutif boucle sa semaine médiatique de manière plus traditionnelle, avec une interview de Gérald Darmanin dans le Journal du Dimanche. Comme d’autres ministres avant lui, l’ancien maire de Tourcoing y prend ses aises, et répond dès la deuxième question, portant sur « le comportement de certains effectifs » des forces de l’ordre, qu’il « refuse de céder au terrorisme intellectuel de l’extrême gauche ».

Dans l’édito accolé à l’interview, le directeur de la rédaction du JDD, Jérôme Béglé, qui fait partie des journalistes qui ont rencontré le ministre, promet pourtant un entretien « sans abus de langage, effet de manches ou emphase ». Il y décrit aussi un Gérald Darmanin qui « conserve lucidité et pragmatisme » face à une France insoumise qui « parie sur le chaos, les violences, les vitrines brisées, les forces de l’ordre blessées ». Le ministre de l’Intérieur a ainsi toute latitude pour dérouler son narratif, soutenant qu’il existe des « casseurs professionnels » venus « tuer du flic » et jouant sur la différence entre « le terrain » et « la télé » pour juger des violences policières. Une interview que 20 Minutes a choisi de décrypter pour vous.

« Terrorisme intellectuel »

Cette expression a été forgée par Jean Sévilla, journaliste au Figaro, adepte du roman national et ayant notamment participé aux universités d’été de Reconquête !, appuyée par le politologue Pierre-André Taguieff et le journaliste Alain de Benoist, militant d’extrême droite de longue date. Elle a ensuite été popularisée dans le discours politique par Nicolas Sarkozy, Jean-Marie Le Pen, Eric Zemmour, Marine Le Pen et Marion Maréchal. Voilà pour la filiation du terme employé par Gérald Darmanin.

Selon lui, « l’extrême gauche » chercherait par ce moyen à « renverser les valeurs : les casseurs deviendraient les agressés et les policiers les agresseurs ». Il soutient que les forces de l’ordre, « filles et fils du peuple », font leur « métier avec honneur » et que l’usage de la force est « pour répliquer aux attaques extrêmement violentes de casseurs professionnels », venus « tuer du flic ». Or, depuis 2015, trois personnes sont mortes dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre : Rémi Fraisse, à la ZAD de Sivens, Steve Maia Caniço, tombé dans la Loire à Nantes, et Zineb Redouane, tuée par un tir de grenade lacrymogène dans son appartement à Marseille. Un record en Europe, selon le chercheur au CNRS Sébastian Roché.

« Venir sur le terrain » ou « regarder la télé » ?

De plus, les témoignages de violences policières continuent de se multiplier, bien au-delà du cas de la méga-bassine de Sainte-Soline. Plusieurs manifestants ont ainsi raconté leurs gardes à vues à 20 Minutes, et un homme a été interpellé violemment sans motif apparent dans un bar LGBTQIA + du Marais mardi soir. Par ailleurs, quand le ministre de l’Intérieur évoque une extrême gauche « très dangereuse », nos lecteurs confient plutôt hésiter à se rendre en manifestation de « peur de perdre un œil » par l’usage des LBD.

Gérald Darmanin ne se prive d’ailleurs pas d’une jolie pirouette, encourageant le Conseil de l’Europe et le rapporteur de l’ONU qui s’inquiètent d’un « usage excessif de la force » en France, « à venir sur le terrain plutôt que de commenter des extraits vidéos depuis New York ou Bruxelles ». Dans un « en même temps » très macronien, il affirme deux questions plus loin qu’il « suffisait de regarder la télé » pour savoir « d’où vient la violence » à Sainte-Soline.

Sainte-Soline

Sur la polémique concernant la manifestation contre la méga-bassine, « le sujet n’est pas la manœuvre de la gendarmerie, mais la volonté de s’emparer de n’importe quel sujet pour créer une polémique contre l’Etat », estime-t-il. Or, il a été déjà été démontré que Gérald Darmanin avait menti sur le maintien de l’ordre à Sainte-Soline, niant les tirs de LBD depuis les quads et l’usage d’armes de guerre. Il revient dans cette interview sur les tirs de LBD, reconnaissant « deux tirs non réglementaires », la fausse affirmation sur les armes de guerres a déjà été démontrée par nos confrères de Libération. Le ministre de l’Intérieur maintient aussi que « le médecin du GIGN a pris tous les risques pour intervenir » et dénonce une « fake news » sur l’intervention des secours. Les faits restent pourtant flous, entre l’enregistrement dévoilé par le Monde, les multiples témoignages sur place émanant d’élus ou des observateurs indépendants de la Ligue des Droits de l’Homme, la réponse de la préfète des Deux-Sèvres et les explications du Samu.

Gérald Darmanin garde, tout au long de l’entretien, l’extrême gauche et LFI dans le viseur. Selon lui, Jean-Luc Mélenchon, « pyromane tout court » qui voudrait provoquer « une révolution », ferait « incontestablement » progresser le Rassemblement national. LFI serait d’ailleurs « très minoritaire dans les urnes », et il estime que les électeurs de la Nupes « se rendent compte avoir voté pour un mouvement qui prend la pente de l’ultragauche des années 1970 ». Pourtant, dans un sondage Ifop publié dans le même JDD la semaine dernière, les intentions de vote pour la Nupes étaient en légère hausse par rapport à début novembre 2022 en cas de dissolution (26 % contre 25 % en novembre). A l’inverse, la hausse du RN (26 % contre 21 %) se faisait… au détriment de la majorité présidentielle (22 % contre 27 %).