France

Sainte-Soline : Les principes du maintien de l’ordre ont-ils été respectés ?

Plus de 5.000 grenades (lacrymogène et GM2L) ont été tirées par les gendarmes samedi 25 mars, à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres. Un chiffre qui montre le niveau de violence des affrontements qui ont eu lieu alors que les forces de l’ordre avaient pour consigne de défendre l’accès à une mégabassine, réserve d’eau controversée destinée à l’irrigation agricole. Alors qu’on déplore 200 blessés côté manifestants, dont l’un se trouve encore entre la vie et la mort, et 47 blessés du côté des forces de l’ordre, les uns chargent la violence extrême de l’ultragauche et les autres dénoncent des violences policières à un niveau inédit.

Le maintien à distance des manifestants, la réponse très graduée usant de l’emploi de la force qu’en cas d’absolue nécessité font partie des principes fondamentaux de la doctrine du maintien de l’ordre à la française. Sur le terrain, a-t-elle été respectée ?

Une réponse proportionnée face à l’adversaire ?

Pierre Bernat, observateur des pratiques policières à Toulouse, était sur place à Sainte-Soline et atteste que sur le cortège le plus déterminé des trois, les lacrymogènes ne produisaient pas d’effets. Il rapporte alors que les binômes policiers en quad vont recourir rapidement et massivement aux grenades GM2L (lacrymogènes mais aussi assourdissantes et classées armes intermédiaires). On ignore combien ont été utilisés puisqu’elles ont été comptabilisées avec les grenades lacrymogènes.

« C’est proprement inédit un usage de la GM2L de cette ampleur-là, estime-t-il, après avoir participé à 150 manifestations ces dernières années. Dans les villes, quand il y a deux ou trois explosions en une minute, c’est déjà exceptionnel. Là, j’ai des vidéos où on en entend une par seconde qui explose. » La déflagration produit environ 160 décibels, soit le niveau sonore produit par un avion au décollage.

« Bien sûr que les grenades sont dangereuses, réagit le général Bertrand Cavallier, ancien commandant à la retraite du centre national d’entraînement des forces de gendarmerie de Saint-Astier (Dordogne). Mais, à partir du moment où l’adversaire est très bien équipé – bouteilles d’acide, cocktails Molotov combinés avec des pétards pour exploser, cailloux, pétanques, d’objets avec du plâtre et ciment, mêlés à des bouts de métaux tranchants –, comment voulez-vous parler de désescalade ? » Les nuages lacrymogènes ne pouvaient pas saturer cette zone ouverte et c’est en « dernier recours », selon lui, qu’il a été fait usage de la grenade GM2L.

« Les manifestants étaient déterminés et organisés, on ne va pas se le cacher, reconnaît Pierre Bernat, mais il est inédit de faire du maintien de l’ordre à la grenade GM2L. Pour moi cela revient à l’utilisation d’armes de guerre sur la population civile. » Des enquêtes sont en cours sur les causes des blessures les plus graves. « Normalement il n’y a plus d’effet vulnérant avec la GM2L, elle ne dégage plus de bouts de plastique, assure le général Cavallier. Elle contient de la poudre noire, qui est le même produit qu’il y a dans les artifices lancés sur les gendarmes. »

Une nécessité à l’emploi de la force ?

Pour le général Bertrand Cavallier, cela ne fait pas de doute, les forces de l’ordre « ont été mises en difficulté face à ces mouvances extrémistes. Avec leurs colonnes d’assaut, elles ont concentré leurs efforts sur un des segments tenu par les gendarmes et pendant 1h30 les tensions sont de haute intensité. » C’est là que quatre véhicules de la gendarmerie sont incendiés. D’ailleurs, il est persuadé que tout gendarme isolé aurait pu être lynché par la foule, à ce moment-là.

« Moi, j’ai vu des gendarmes qui étaient très tranquilles et sûrs de leurs systèmes, d’ailleurs il n’y a pas eu de renforts, rapporte l’observateur des pratiques policières. Pour moi c’était une stratégie assumée pour faire face à un bloc. La foule n’était sensible qu’aux GM2L et donc ils en ont utilisé un maximum, de façon extrêmement offensive. » Pour le général, « toute la gradation pose problème car si elle ne fonctionne pas, le stade supérieur, c’est l’arme à feu » pour que les gendarmes, insuffisamment équipés selon lui, puissent recourir à leur droit de légitime défense.

Pressés de garantir l’ordre social et de prévenir toute installation de ZAD (zone à défendre), les gendarmes sont dos à la bassine tandis que les manifestants s’y rendent. « Il y a une question politique, on aurait dû faire du maintien de l’ordre à distance plutôt qu’une zone de défense », estime Pierre Bernat.

Des jets de projectiles qui ciblent les éléments violents ?

« La manifestation est interdite, on voit qu’elle dégénère en violences extrêmes et les sommations sont faites donc, tous ceux qui restent, en participant à une manifestation non déclarée avec risque de trouble à l’ordre public sont en infraction », rappelle fermement le général Cavallier. Ceux qui, sans appartenir à un groupe d’activistes, restent à ce moment-là « sont en connivence avec les éléments les plus violents », ajoute-t-il.

De son côté, Pierre Brenat a observé des jets dans la foule de façon indiscriminée. « Les grenades sont envoyées à 50 mètres en cloche, et bon nombre d’entre elles ont des trajectoires non désirées ou explosent mal, témoigne-t-il. Sur les groupes extrêmement mobiles, envoyer des grenades qui vont exploser trois secondes plus tard, c’est l’envoyer au petit bonheur la chance : on ne sait pas qui on touche. »

Pour le général Cavallier, qui rappelle qu’il a fait partie des premiers à dénoncer le comportement de certaines unités, les DAR devenues Brav-M, pendant la crise des« gilets jaunes », il n’y a pas de dérives dans les pratiques. « Il reste encore des progrès à faire mais c’est globalement régulé. On n’est plus sous l’ère du préfet Lallement. »

« La France ne participe plus aux exercices européens de mise à distance des manifestants, déplore Pierre Bernat. On verrait ce type de maintien de l’ordre [à la française] en Chine, on dirait que c’est inacceptable. » Une analyse qui fait bondir le général Cavallier, selon lequel le modèle Français est envié par certains de nos voisins, allemands par exemple. Plus globalement pour lui, il faut des réponses sur le terrain « politico-idéologique » et pas seulement sur celui de la sécurité.