France

Rennes : Les manifestations à répétition empêchent-elles la police de lutter contre le trafic de drogue ?

Ce n’est pas une petite phrase lancée en l’air puisqu’elle a été répétée à deux reprises par le magistrat. Mardi 4 avril, le procureur de la République de Rennes Philippe Astruc venait d’annoncer l’interpellation d’un homme soupçonné d’être l’auteur du double meurtre de Maurepas quand il a évoqué plus globalement la lutte contre le trafic de drogue à Rennes.

Si elle reste à confirmer, la thèse d’un règlement de compte sur fond de trafic de drogue est la plus probable pour expliquer les tirs d’arme automatique qui ont coûté la vie à deux hommes âgés de 28 et 34 ans sur la dalle du Gros Chêne le 28 mars. Un homme âgé de 23 ans a été interpellé à Mayotte. Toujours en garde à vue, il est le principal suspect de cette sanglante rafale qui a également fait un blessé grave. Sur place, les habitants oscillaient entre effroi et résignation face à cette montée de la violence qui frappe leur quartier. Avec une question. Que fait la police pour empêcher ces trafics menés sous les yeux des enfants et des riverains ?

Des forces de l’ordre mobilisées dans les manifestations

Longtemps « épargnée » par ces interventions armées, Rennes a vu la situation se dégrader ces dernières années. En 2022, un homme avait été poignardé à mort dans ce même quartier mais le calme semblait globalement revenu, jusqu’à ce double homicide. En tentant d’expliquer ce regain de violence, le procureur a évoqué le contexte de mobilisation sociale contre la réforme des retraites. « Il peut être observé que la mobilisation très forte des services de police dans des missions de maintien de l’ordre depuis janvier n’a pu que nous pénaliser dans la sécurisation et le traitement des zones de revente de stupéfiants », déclarait Philippe Astruc.

Avant d’ajouter quelques minutes plus tard. « Depuis deux mois, les policiers de Rennes sont presque tous les jours mobilisés sur des opérations de maintien de l’ordre, ils ne sont plus dans les quartiers. Je fais simple mais la réalité est celle-là. Ils ne peuvent pas être au four et au moulin. Ça n’est pas la première explication mais c’est un élément à avoir en tête pour comprendre pourquoi nous avons cette aggravation ».

Les jours de manif, « c’est open bar »

Les manifestations empêchent-elles les policiers de lutter contre le trafic de stupéfiants ? Nous leur avons posé la question. « Les jours de manifs, les quartiers, on n’y met pas les pieds. On est tous en colonnes, alignés pour faire du maintien de l’ordre. Les mecs le savent d’ailleurs. Ces jours-là, c’est open bar, tout le monde peut venir acheter, ils ne seront pas dérangés », témoigne un agent.

Responsable du syndicat Unité SGP, David Leveau reconnaît que les mots du procureur illustrent « une réalité » subie par les policiers. « Quand tu es à République à te ramasser des pavés, tu ne peux pas être à Maurepas. Le mouvement social est tel que tous les collègues sont appelés sur les manifestations, parfois même sans y avoir été formés ». Plusieurs policiers locaux sont en arrêt de travail après avoir été blessés lors des mouvements sociaux.

La question de « l’après manif » peut également interroger tant elle mobilise des enquêteurs souvent « pour rien », selon les agents. Il est tellement difficile de prouver qu’untel ou untel a jeté des projectiles, usé de violence ou dégradé du mobilier que les interpellations annoncées se soldent la plupart du temps par un simple entretien silencieux. « On arrive avec 62 personnes interpellées et 61 qui sont relâchées. On a 46 Camille Dupont et on n’a pas avancé », poursuit David Leveau. Le pseudonyme « Camille Dupont » est utilisé par les manifestants qui ne veulent pas décliner leur identité. Les groupes d’ultragauche leur recommandent également de ne pas prendre de papier d’identité ou de téléphone avec eux.

« On fait un travail énorme sur les stupéfiants »

Le responsable syndical estime cependant que le travail de terrain accompli pour lutter contre le trafic de drogue reste « très important ». « On fait un travail énorme sur les stupéfiants. Les tensions qu’il y a entre les groupes de trafiquants, elles sont aussi liées à ça. On réduit leur territoire, on leur met la pression », avance le syndicaliste.

Dans le discours des policiers, on entend surtout de la lassitude face à des décisions de justice qu’ils estiment parfois trop légères. « Ce n’est pas à cause des manifestations qu’on a des règlements de compte armés. Le problème, c’est que les gars n’ont plus peur. A 12 ans, ils font le chouf (le guet) pour 100 balles par jour mais tu ne peux rien contre eux. Tu peux mettre autant de renforts, ça ne sert à rien si les mecs sont relâchés. Parfois, tu coffres un mec qui deale et le lendemain, tu le retrouves au même endroit. Il te rit au nez. Même les amendes forfaitaires, ils ne les payent pas », dénonce un agent expérimenté.

La majorité des affaires ont été élucidées

Ce prétendu laxisme judiciaire est pourtant fermement démenti par le procureur, qui aime à rappeler que « 71 % des règlements de compte sur Rennes survenus depuis 2018 ont été élucidés ». Plusieurs personnes ont déjà été condamnées, parfois à de la prison ferme, dans des affaires de trafic, mais elles étaient souvent en état de récidive.

« Le pire serait que puisse s’installer un phénomène d’impunité. Que des trafiquants puissent se battre arme au poing pour des territoires ou des parts de marché sans que la puissance publique ne vienne sanctionner avec fermeté. Nous avons une dégradation de la situation à Rennes. Mais vous l’avez vu, la réponse judiciaire a été ferme ».