France

Confinement, trois ans après : Dans la cité de l’Etoile, pas le temps de rêver du monde d’après

Après la classe, le soutien. Lundi, 18 heures, une dizaine d’élèves de primaires déboulent dans le local de l’association Phoenix, au cœur de la cité de l’étoile, à Bobigny. Les cartables sont remplis et l’emploi du temps garni. « Tu as révisé, c’est bon ? », questionne Sadia.

En face d’elle, une écolière hoche la tête, après avoir copié les mots mal orthographiés de sa dictée. Yousra, Sidi et Mohamed, les trois autres bénévoles, s’activent. Ça travaille, ça rigole, ça charrie, ça gronde aussi, parfois. Ici, au cœur de ce grand ensemble de plusieurs centaines de logements, une cinquantaine d’élèves, de la CP à la 6e, bénéficient d’une aide à raison de trois séances hebdomadaires d’une heure.

Mais, il y a trois ans, Phoenix a muté. Durant le confinement, plus d’élèves. Mohamed, président de l’association depuis 2016, a remisé cahiers et stylos pour organiser des distributions alimentaires. En collaboration avec les Restos du Cœur et Emmaüs habitat, le bailleur social du quartier, le quadragénaire a délivré des colis aux plus démunis, leur permettant de faire face, un temps, à la crise sanitaire. « Au début, c’était destiné à 10-15 familles qui étaient nombreuses et dont nous savons que la situation est un peu délicate. Aujourd’hui, la liste doit s’allonger à 70 personnes », expliquait-il dans nos colonnes en mai 2020, lors d’un premier reportage sur place.

« Si demain il y a un nouveau confinement, les mêmes personnes vont revenir »

Les années ont passé, mais, les problèmes, eux, persistent. « Aujourd’hui, quand je fais les courses, je ne regarde que les promos », constate Hélène, une habitante de la cité, qui a bénéficié de cette aide ponctuelle. Depuis la mise sous cloche de la France, la situation de la jeune femme de 28 ans a évolué. Après avoir travaillé en tant qu’aide médico-psychologique, elle exerce désormais comme aide-soignante, avec, à la clé, un meilleur salaire.

Mais cette mère de trois enfants doit enchaîner les vacations pour subvenir aux besoins de son foyer : une première journée de labeur dans un Ehpad à Drancy, de 8 heures à 14 heures. Puis un deuxième travail l’attend, jusqu’à 22 heures, dans une maison d’accueil spécialisée de Pantin. Dans ce contexte, prendre du temps pour elle ou se reconvertir, ce n’est pas la priorité, comme pour bon nombre de ses voisins.

Encore plus dans un département que le Covid a balafré, le taux de mortalité atteignant un pic de 134 % entre le 1er mars et le 19 avril 2020, exposant les inégalités face à la santé sur un territoire où la densité de médecins est la plus faible de France.

Alors, plutôt qu’au bout du monde, on se projette déjà au bout de la rue. « Mon but, ce serait de bosser à l’hôpital Avicenne, juste à côté. Ce serait moins fatigant pour moi, les enfants sont à côté, et je n’aurai pas de Navigo à payer », assure-t-elle, en espérant que l’obtention de son diplôme d’aide-soignante en février pourra l’aider.

« Sur le listing des bénéficiaires de l’époque, certains sont décédés, certains ont pu relever la tête, mais il n’y a pas eu de grands changements. Si demain il y a un nouveau confinement, ce seront les mêmes personnes qui vont revenir », prédit Mohamed. Avant d’égrener avec Hélène la liste de produits alimentaires dont le prix a enflé : la viande, les haricots, l’huile…

« Quelqu’un qui a l’habitude de la galère, quand il a un peu plus, tant mieux. Sinon, il retourne dans sa galère »

Avec ses 850 euros de pension, Rosemonde ne peut pas les contredire. Elle aussi a bénéficié des colis alimentaires, durant le Covid. « Ça se dégrade, tout devient plus cher, on se prive », souligne la retraitée de 74 ans, avant de faire les comptes. « 466 euros de loyer, l’électricité, l’assurance…. » Après les prélèvements obligatoires, le reste à vivre est bien maigre, et ne lui permet pas de prendre de loisirs. « On reste chez soi, dans son coin », déplore-t-elle, alors que Mohamed, son ancien voisin, qui vogue désormais entre Noisy et Romainville, lui fait régulièrement livrer des courses.

« Quelqu’un qui a l’habitude de la galère, quand il a un peu plus, tant mieux. Sinon il retourne dans sa galère », livre le militant associatif. Et, s’il y a eu quelques reconversions, elles ont plutôt été subies, constate Marina, la gardienne, toujours prête à aider mais toujours aussi « sollicitée ».  « En trois ans, les gens ont essayé de limiter la casse, ils n’ont pas eu le temps de relativiser. Je n’ai pas l’impression qu’il y ait eu une remise en question », expose Sidi, ami d’enfance de Mohamed et issu d’un autre quartier de la ville de 55.000 habitants.

Reconversion, mieux manger, courir, moins prendre l’avion… A l’Etoile, ces thèmes soulevés à l’issue du confinement ont fait chou blanc. Difficile de s’y intéresser quand d’autres priorités viennent s’entrechoquer. Dans un quartier en pleine rénovation urbaine, la nouvelle maison de quartier, située à quelques dizaines de mètres du local associatif, a été incendiée. « A part la rénovation des bâtiments, j’ai l’impression que la situation s’est plus dégradée qu’autre chose », soulève Sadia, entre deux énoncés.

« Pour certaines personnes, les vacances, c’est un souvenir très lointain »

En 2020, avec le confinement et la crise sanitaire, Philippe Portmann a dû changer de braquet. Le secrétaire général de la fédération du Secours populaire de Seine-Saint-Denis, qui accompagnait environ 30.000 personnes dans le département, a dû faire face à 70.000 demandes. « Depuis, le pic n’est pas vraiment redescendu », constate-t-il, alors qu’il coordonne l’action de 2.000 bénévoles et huit salariés, qui couvrent 27 des 40 villes du 93.

Action contre la fracture numérique, distribution alimentaire… Contre la précarité, l’association se démène, et a aussi gonflé le budget consacré aux vacances. « On considère que les personnes qu’on reçoit ont aussi le droit aux vacances, à la culture, aux loisirs. Pour certaines personnes, les vacances, c’est un souvenir très lointain », précise le président, qui a vu de nouveaux profils précaires, « notamment les étudiants et les familles monoparentales avec enfants », affluer.