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Open d’Australie : « Quand c’est moi, je fais semblant »… Novak Djokovic, surhomme ou bluffeur devant l’éternel ?

Le peuple du tennis semble divisé en deux camps irréconciliables. D’un côté, ceux qui voient Novak Djokovic comme un héros, un combattant ultime capable de surmonter des souffrances qui mettraient un être humain lambda à terre pendant plusieurs semaines pour jouer – et remporter bien sûr – un match de tournoi du Grand Chelem. Et puis il y a de l’autre ceux qui pensent qu’une brillante après-carrière attend le Serbe dans les salles enfumées du World Series of Poker – ou dans un revival du « Grand Bluff » de Patrick Sébastien, mais c’est un peu moins glamour.

« Vous l’avez trouvé comment, vous ? »

Djoko et ses blessures, c’est tout une histoire sur le circuit. Et avec sa cuisse gauche strappée lors de cet Open d’Australie, le Serbe est en train d’en écrire un nouveau glorieux chapitre. Touché avant le début du tournoi lors d’un entraînement avec Daniil Medvedev, il était paraît-il au bord de l’abandon en début de quinzaine. C’est en tout cas ce qu’on avait déduit de ses prises de parole, « inquiet » qu’il était après son 2e tour contre Enzo Couacaud et juste heureux d’avoir « survécu » au suivant face à Grigor Dimitrov.

Mais ça, c’était avant qu’il ne concasse Alex De Minaur (6-2, 6-1, 6-2) en 8e de finale, dimanche. La façon dont il a balayé le solide Australien a réveillé les haters qui estiment que le numéro 5 mondial, comme d’hab, en a fait des caisses. Un peu comme le gars qu’on détestait à l’école parce qu’il annonçait avant un contrôle qu’il n’avait rien révisé et qui s’en sortait avec un 19/20 en sifflotant. Après cette qualification expéditive, Djokovic a expliqué que son corps avait juste bien répondu à la tonne de soins prodigués depuis son arrivée à Melbourne :

 On fait énormément de choses. Et tous ces traitements, ces machines que nous utilisons, c’est vraiment exténuant. Mais c’était, et c’est encore, nécessaire pour que je sois en état de jouer. Et je suis très heureux que mon corps ait aussi bien répondu. Aujourd’hui je n’ai ressenti aucune douleur. Ça veut dire que nous allons dans la bonne direction. Mais je ne veux pas crier victoire trop tôt parce que je ne sais pas comment le corps réagira demain et pour le prochain match. »

Andrey Rublev, son prochain adversaire en quart de finale, a sûrement sa petite idée sur la question. Le Russe sait qu’il ne doit pas compter une seconde sur un Djoko amoindri par un mal quelconque. Certains ont essayé, ils ont eu des problèmes. De Minaur, justement, s’était peut-être laissé prendre par tous les débats autour de l’état de santé du nonuple vainqueur du tournoi avant de l’affronter.

« Je ne sais pas, vous l’avez trouvé comment vous ? », a interrogé l’Australien après la rencontre quand les journalistes lui ont demandé si Djoko avait l’air blessé. Avant d’ajouter, l’air dépité : « Tout le monde sait ce qui s’est passé au cours des deux dernières semaines. C’est la seule chose dont on a parlé ici. Donc soit je ne suis pas assez bon joueur de tennis pour exposer sa faiblesse, soit… Quoi qu’il en soit, il a été très bon, trop bon pour moi dans tous les secteurs. » Soit quoi, Alex ?

Le docu imaginaire

Tous ces questionnements autour du Serbe rappellent forcément l’édition 2021, quand il avait fini son 3e tour contre Taylor Fritz quasiment à plat ventre à cause d’une déchirure aux abdominaux survenue en cours de match. Là encore, on en était à se demander qui administrerait l’extrême-onction, avant que le gaillard ne ressuscite et aille chercher son 9e titre à Melbourne en écartant tour à tour Raonic, Zverev, Karatsev et Medvedev.

« La récupération représente 100 % de mes journées depuis ma blessure, avait-il expliqué ensuite. Vous pourrez découvrir tout ça dans un documentaire qui devrait être prêt à la fin de l’année. » Une manière de fermer les bouches des sceptiques. Mais comme personne n’a plus jamais eu de nouvelle de ce film, cela a finalement plus alimenté les fantasmes qu’autre chose.

Novak Djokovic lors du 3e tour de l'Open d'Australie face à Grigor Dimitrov, le 21 janvier 2023.
Novak Djokovic lors du 3e tour de l’Open d’Australie face à Grigor Dimitrov, le 21 janvier 2023. – Aaron Favila/AP/SIPA

Avant cette histoire, Novak Djokovic avait été plusieurs fois dans le collimateur d’adversaires pour des comportements suspects pendant les matchs ou des déclarations à la sincérité douteuse. On se souvient par exemple de la frustration d’Andy Murray après la finale de 2015 (perdue 7-6, 6-7, 6-3, 6-0), marquée par d’étranges pertes d’équilibre du Serbe dans le 3e set, avant qu’il ne redémarre d’un coup. « Je me suis laissé distraire quand il tombait presque au sol après ses frappes. Il semblait avoir des crampes, et puis à la fin de la manche, il s’est remis à glisser et courir dans tous les sens, avait constaté l’Ecossais. Je ne dis pas qu’il l’a fait de façon délibérée. Je ne l’espère pas. S’il a effectivement eu des crampes et qu’il a réussi à récupérer pour jouer de la sorte, chapeau. »

Plus lointain, et plus savoureux, cette conférence de presse lunaire d’Andy Roddick en 2008, avant un quart de finale entre les deux hommes à l’US Open. Le jeune Djoko, qui venait de remporter son premier titre du Grand Chelem, avait déjà sa petite réputation. Après s’être plaint lors des tours précédents de douleurs à la cheville gauche, puis à la droite, puis de la fatigue, le Serbe s’était fait assaisonner gratuitement par un Roddick plus inspiré que le lendemain sur le court : « Il a mal aux deux chevilles alors ? Et à la hanche ? Et au dos ? Et des crampes. Et la grippe aviaire. L’anthrax. Le SRAS. Si je pense qu’il bluffe ? Non, s’il a tout ça, il a tout ça. Mais ça fait beaucoup. Soit il fait appel au toubib pour rien, soit c’est le gars le plus courageux de tous les temps. A vous de décider les gars. »

Une arme de déstabilisation à peu de frais

L’après-match avait été houleux, Djokovic prenant un petit ton arrogant pour parler de sa victime du jour, ce qui lui avait valu de se faire choper par le col dans le vestiaire, comme l’avait raconté l’Américain après sa retraite. Ils sont nombreux, en fait, à s’être un jour sentis légèrement floués par Djokovic, dont on peut à tout le moins reconnaître un certain talent pour envoyer des signaux contradictoires à ses adversaires. Rien de bien méchant là-dedans, après tout, ça peut servir d’arme de déstabilisation à peu de frais. C’est juste un peu agaçant, comme ses désormais fameuses « pauses toilette » quand ça ne va pas trop sur le court.

Lancé sur le sujet de la part de bluff dans ses déclarations, dimanche, l’intéressé a estimé que c’était toujours le même problème avec lui. « Seules mes blessures sont remises en cause. Quand d’autres joueurs sont blessés, ce sont eux les victimes, mais quand c’est moi, je fais semblant. C’est très intéressant », a-t-il fait remarquer. Avant de glisser aux médias de son pays : « Je laisse douter ces gens. Faites pareil. »