France

Sécheresse : Pourquoi la France n’utilise-t-elle pas davantage ses eaux usées ?

L’été dernier, alors que les restrictions d’eau pleuvaient, le golf de Bressuire, dans les Deux-Sèvres, affichait des green bien verts. Pas de miracle : il a bien fallu arroser. Mais sans puiser dans le milieu naturel comme le font 81 % des 740 golfs français, ni pomper dans le réseau public d’eau potable (10 %). Sur ce site, depuis juin, les parcours sont arrosés en grande partie* avec les eaux de la station d’épuration locale, à quelques centaines de mètres de là.

Dans le jargon, on parle de « réut » pour « réutilisation des eaux usées traitées », déroule Thierry Trotouin, directeur des marchés industriels chez Veolia Eau. En France, l’acronyme reste peu utilisé, tant nous sommes à la traîne sur ce sujet. « Moins de 1 % des eaux usées sont traitées et réutilisées contre plus de 90 % en Israël », concède-t-on au cabinet de Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique. C’est aussi 8 % en Italie et 14 % en Espagne.

Changer de regard sur nos eaux usées

La sécheresse historique de 2022, que le changement climatique pourrait rendre plus habituelle à l’avenir, invite à poser un nouveau regard sur nos eaux usées. Ce mercredi matin, Christophe Béchu devrait aller dans ce sens en annonçant une nouvelle réglementation sur l’eau. Sans en dire beaucoup, son cabinet cite tout de même deux axes phares dans ce plan : « La lutte contre les fuites d’eau dans les canalisations, source importante de gaspillage, mais aussi, effectivement, une meilleure gestion des eaux usées ».

Chez Veolia, on se dit prêt à accélérer. « La technologie est mature, nous la développons depuis vingt ans** », assure Thierry Trotouin. Classiquement, les stations d’épuration traitent biologiquement les eaux usées et les clarifient avant de les rejeter dans le milieu naturel. « Il reste tout de même de petites quantités de matières en suspension dans cette eau, explique le directeur des marchés industriels de Veolia Eau. Pour pouvoir la réutiliser, on la filtre à nouveau et on lui applique des systèmes de désinfection supplémentaires qui vont nous assurer d’éliminer toutes les bactéries. Enfin, on y ajoute du chlore, produit qui va nous permettre de stocker cette eau en s’assurant qu’aucune bactérie ne revienne. »

Arroser les golfs, nettoyer la voirie, irriguer des cultures…

Sur le golf de Bressuire, cette transformation se fait dans un conteneur installé sur le site et relié à la station d’épuration. C’est l’un des projets de « réut » qu’a lancé Veolia depuis juin dernier en France. Le groupe en compte déjà une trentaine et vise la centaine d’ici la fin de l’année. Lorsqu’il y a suffisamment de place, ces conteneurs sont installés directement dans la station d’épuration. Car Veolia est le premier à se servir de cette eau usée traitée. « Pour nettoyer les stations d’épuration et préparer les réactifs qui servent au traitement des eaux usées, détaille Thierry Trotouin. Avec 100 stations équipées, nous devrions économiser environ 3 millions de m³ d’eau potable chaque année, soit l’équivalent de la consommation moyenne annuelle d’une ville de 180.000 habitants ».

Ce ne sont que les applications internes, loin d’épuiser tout le volume de ces eaux usées. En clair : il reste du rab qui pourrait rendre bien des services à l’extérieur, toujours dans cette optique de soulager le milieu naturel et le réseau public d’eau potable. L’arrosage des golfs est l’une de ces applications. « Une trentaine de structures sont aujourd’hui raccordées à un dispositif de réut », estime-t-on à la fédération française de golf.

Dans la même veine, Thierry Trotouin cite l’arrosage des terrains de sport, des hippodromes, des espaces verts, mais aussi le nettoyage des voiries ou des canalisations. « Et il y a ces milliers d’arbres que les collectivités locales plantent pour rafraîchir les villes face au changement climatique, poursuit-il. Ils ont des besoins en eau importants les premières années. Là encore, les eaux usées traitées peuvent convenir parfaitement. »

La station d'épuration de Narbonne, gérée par Véolia; est également équipé d'un conteneur mobile dans lequel une partie des eaux usées de la station sont retraitées pour être réutilisées.
La station d’épuration de Narbonne, gérée par Véolia; est également équipé d’un conteneur mobile dans lequel une partie des eaux usées de la station sont retraitées pour être réutilisées. – @Véolia

Des utilisations aussi dans l’agriculture

Il ne faudrait pas oublier non plus l’agriculture et l’irrigation de certaines cultures, l’été. Un autre usage de l’eau qui crispe beaucoup de Français. Une nouvelle fois, la réut peut s’avérer utile. « D’autant plus que cette eau usée traitée contient encore de l’azote et du phosphore, des nutriments pour la terre, signale Didier Guiral, du réseau national « Eau et milieux aquatiques » de France Nature Environnement (FNE). Dans bien des cas, il est préférable que cette eau profite aux cultures et permette même aux agriculteurs de réduire leur utilisation d’engrais de synthèse plutôt que d’être rejetés dans les rivières. »

En Auvergne, Limagne noir a déjà sauté le pas. Depuis 1996, ce collectif d’une cinquantaine d’agriculteurs utilise les eaux usées de l’agglomération der Clermont-Ferrand pour irriguer 750 hectares de grandes cultures. Mais ça reste encore très embryonnaire en France. Rien à voir avec ce qui se fait, une fois encore, en Israël.

Simplifier les procédures ?

Pour rattraper le retard, ce plan sur l’eau dévoilé ce mercredi devrait fixer des objectifs à atteindre sur la « réut » ainsi qu’y allouer des financements publics. Et simplifier les procédures ? La durée d’instruction des dossiers est un frein souvent cité pour expliquer la faible valorisation des eaux usées en France. « Il faut attendre douze mois, parfois le double pour qu’un projet soit autorisé et il faut monter un dossier pour chaque usage que l’on veut faire de cette eau, regrette Thierry Trotouin. Ça décourage bien des communes, les plus petites notamment, de se lancer. » Une difficulté que pointe également la fédération française de golf.

Pour autant, Didier Guiral met en garde sur un trop fort assouplissement des procédures. « Le danger est d’ouvrir grand les vannes sur la « réut », sans plus trop regarder les usages qu’on en fait, pointe-t-il. On basculerait de nouveau dans cette illusion que l’eau est une ressource abondante et on perdrait de vue l’essentiel : le besoin de l’économiser. »