France

« Ne vous jugez pas, ni vous, ni les autres »… Du moment gênant à la crise de fou rire, on a testé le yoga du rire

S’enfermer dans une salle pendant une heure avec une seule mission en tête : rire. J’ai découvert ce concept, nommé rigologie, dans une des vidéos de Squeezie intitulées « Qui est l’imposteur ? ». Et je me suis demandé qui pouvait pratiquer une activité pareille. L’idée me paraissait incongrue, pour ne pas dire gênante. Mais parce qu’il ne faut pas mourir bête (et que je ne manque jamais une occasion de muscler mes zygomatiques), j’ai profité de l’arrivée de la journée mondiale du rire, ce dimanche 7 mai, pour participer à une séance de yoga du rire.

Si entre midi et deux, certains s’attablent en terrasse avec des collègues ou décident de se rendre à la salle de sport pour pousser de la fonte, eux se retrouvent à deux pas de l’Opéra Garnier, à Paris, pour se fendre la poire. Parmi les sept participants du jour, Fanny Pioffret, la professeure. Cheveux roux, coupe courte et yeux bleus rieurs, la quadragénaire a passé douze ans dans le marketing avant de se reconvertir dans le shiatsu, la sophrologie et… le yoga du rire. « Il s’agit de yoga, mais sans posture de yoga », commence-t-elle par expliquer. Et je dois avouer que ça m’arrange bien…

Des exercices de rire sans raison

Au programme, pour débuter : vingt minutes de fou rire continu. Même si je suis d’un naturel jovial, mon dernier souvenir de bidonnage ayant duré aussi longtemps date d’un cours de chimie en cinquième, avec ma copine Jennifer, qui nous a valu une heure de colle. Le programme me semble donc légèrement ambitieux. « On appelle cela des exercices de rire sans raison, poursuit Fanny. Au début, on peut se forcer en faisant des gestes favorisant le lâcher prise, jusqu’à ce que ça devienne naturel. » Une seule interdiction : ne pas se moquer. « Ne vous jugez pas. Ni vous-même, ni les autres ». Deuxième consigne : se regarder dans les yeux. On commence en douceur avec un échauffement musculaire, en démarrant par la mâchoire. Alternant duckface et bouche grande ouverte, j’essaie de ne pas réfléchir à la tête que je renvoie aux autres. Parce qu’à mon avis, il y a de quoi se marrer (oui, c’est le but, mais on a dit qu’ici, on ne se moquait pas).

Deuxième étape, donc, après les échauffements : les fameux exercices de rire sans raison. Pour rendre l’entraînement plus ludique, Fanny plonge chaque semaine ses élèves dans des ambiances différentes. Aujourd’hui, c’est western. Avec mes baskets et mon pantalon large, je tente de me glisser dans la peau d’une cow-girl. Premier exercice : parler à mes compagnons de fortune dans un langage incompréhensible. Je me lance. Si les premières secondes (voire minutes) sont teintées de peur du ridicule, je me laisse vite prendre au jeu. Rapidement, les rires fusent. Voir toutes ces personnes s’esclaffer en vous regardant droit dans les yeux peut déstabiliser. J’ai d’ailleurs appris que ce type de yoga était déconseillé aux personnes souffrant de crises de paranoïa. Il faut se détacher de l’idée que tout le monde est allégrement en train de se moquer de nous. Parce qu’ici, les personnes se gondolent pour une seule chose : le plaisir de rire.

Il faut bien le reconnaître, la bienveillance de mes camarades du jour m’aide à me sentir en sécurité. Les exercices défilent. Je dois faire semblant d’attraper un taureau avec mon lasso puis 1,2,3… je dois m’esclaffer. On ferme ensuite les yeux, séparaton en deux groupes. L’un imite des cris de vaches, l’autre de chèvres. On doit ensuite se regrouper sans ouvrir la moindre paupière. J’ai l’impression de retourner à l’école maternelle, mais dans le bon sens du terme.

Du gaz hilarant… sans gaz hilarant

Pour le moment, bien que j’esquisse parfois un léger rictus, je me force à ricaner. Malgré cela, au bout de dix minutes, je commence déjà à sentir mes abdos (qui ne sont pas souvent stimulés). Et je comprends l’utilité de l’échauffement de la mâchoire. J’en viens à me demander si je me marre assez souvent au quotidien pour avoir mal en si peu de temps. Et c’est après ces dix minutes d’exercice, à l’instant où je pose mes mains sur les épaules de Marie-Hélène, jeune retraitée au carré châtain et aux habits chics, qui imite joyeusement un cheval (comme moi trente secondes plus tôt), que je baisse la garde et rie pour de bon. La situation me semble tellement absurde que je ne peux que lâcher prise. Et ça fait du bien.

D’ordinaire, ma façon de rigoler est qualifiée de peu discrète (voire de franchement bruyante). Ici, je suis ici dans mon élément. Hervé rit à gorge déployée. Fanny le fait de manière très franche, en hochant les épaules. On dirait un personnage de dessin animé. Quand je nous vois, tous les sept, hilares, à courir dans tous les sens, j’ai l’impression que nous venons de prendre du protoxyde d’azote. Sauf que contrairement au gaz hilarant, le rire n’a pas d’effet néfaste.

Diminuer le stress, créer du lien et soulager la douleur

« Les bienfaits du rire sont nombreux. Il libère les endorphines, soulage la douleur, améliore le sommeil, diminue le stress, crée du lien avec les autres et stimule la confiance en soi », promet Fanny Pioffret. Et ce n’est pas ses élèves qui diront le contraire. Mathilde me confie que, pendant le confinement, elle avait besoin de se remonter le moral. En quête d’un moment de joie, elle tape « vidéos drôles » sur Google et tombe sur une séance de yoga du rire. « Je me suis d’abord demandé “qu’est-ce que c’est que ce truc ?” ». Mais très vite, elle attrape le virus. Elle vient tous les mercredis depuis deux ans. « Je trouve ça génial de voir des gens qui rient. Ça fait tellement de bien. » Marie-Hélène abonde. « Pourquoi le rire serait seulement réservé aux enfants ? »

C’est l’heure de la troisième partie : la méditation du rire. Chacun prend un tapis, une serviette ou un grand paréo et s’allonge sur le parquet, pour se laisser aller. Et pour me laisser aller, je me laisse aller. Je ne peux plus m’arrêter de rire. Dès que j’essaie de prendre ma respiration, j’entends le petit rire de Fanny, à gauche… et ça repart. L’impression d’avoir 10 ans, de participer à une pyjama party où il ne faut pas faire de bruit car les parents dorment à côté. Sauf que là, on a le droit de pouffer. C’est même le but. Alors je retire la main devant ma bouche et là… c’est le drame. Je laisse sortir mon rire le plus franc : celui du cochon. Parce que ce bruit délicat est un vrai sérum de vérité, on peut dire que je me suis bien marrée.