France

Méditerranée : Et si on mangeait le méchant crabe bleu, terreur des étangs, pour le réguler ?

Et si la meilleure arme pour s’attaquer au crabe bleu était… la fourchette ? Depuis une dizaine d’années, cette redoutable espèce déstabilise profondément les écosystèmes des lagunes de l’arc méditerranéen, déjà particulièrement fragiles. Crabes verts, poissons, anguilles… Ce crabe vorace aux pinces bleutées dévore tout, ou presque, sur son passage, en Languedoc, en Roussillon, dans les Bouches-du-Rhône ou en Corse. Il en pince même pour les moules et les huîtres, cultivées dans les étangs du golfe du Lion.

À lui seul, ce super-vilain, qui envahit les lagunes à vitesse grand V, met à mal la pêche locale. Il est même capable, avec ses pinces ultra-coupantes, de déchiqueter les filets des pêcheurs. Et attention à ne pas y laisser le doigt ! « On ne sait plus quoi faire », confiait en 2022 à 20 Minutes l’un des derniers pêcheurs d’anguilles, sur l’étang de Canet (Pyrénées-Orientales). Mais le crabe bleu a un point faible, ou plutôt un point fort, qui pourrait bien lui coûter son trône de tyran des lagunes : sa chair tendre et savoureuse.

Manger du crabe bleu « n’est pas dans notre culture »

Guillaume Marchessaux, biologiste marin et chercheur à l’université de Palerme (Italie), planche en effet sur une solution ingénieuse qui pourrait permettre de réguler l’espèce : qu’elle devienne un mets comme les autres, ou presque. Car aujourd’hui, il est rare d’avoir du crabe bleu dans son assiette. « C’est vrai, ce n’est pas dans notre culture en Méditerranée, confie le chercheur à 20 Minutes. Pourtant, pêcher le crabe bleu et le commercialiser pour qu’il soit consommé, de manière très locale, sur un temps court, pourrait être un moyen de réguler l’espèce et de limiter son impact sur la biodiversité et sur la pêche. » Grailler des crabes bleus serait, aussi, un formidable coup de pouce pour les pêcheurs, qui sont à la peine depuis de longues années. « Cela permettrait que les crabes bleus que les pêcheurs remontent soient valorisables, poursuit le chercheur. Cela leur permettrait de compenser, un peu, la perte économique liée à cette espèce. »

Si en Tunisie ou sur les côtes atlantiques américaines, le crabe bleu est énormément pêché pour être mangé (l’Asie en raffole, notamment), en France, ce n’est pas le cas. L’université de Palerme, en collaboration avec les gestionnaires des lagunes et des espaces côtiers français, a ainsi créé un questionnaire, ouvert à tous (ici), pour tenter de savoir si les Français sont prêts à mettre le crabe bleu à leurs menus. Et les premières réponses sont encourageantes. « Hormis ceux qui vivent près des populations de crabes bleus, peu de gens le connaissent, confie le biologiste marin. Mais ils sont prêts à le consommer. C’est la découverte d’un nouveau produit. » C’est aussi, pour certains, « une consommation citoyenne ». « Ce serait « Je consomme du crabe bleu, pour contribuer à la protection et au contrôle de l’environnement » », résume Guillaume Marchessaux.

Entre le tourteau et la langouste, le crabe bleu est déjà mangé dans plusieurs pays
Entre le tourteau et la langouste, le crabe bleu est déjà mangé dans plusieurs pays – Guillaume Marchessaux

« La chair du crabe bleu est délicate »

Mais son principal atout, c’est qu’il est « très bon », note le chercheur. « Sa chair est délicate, on est entre le tourteau et la langouste. Et puis, c’est un gros crabe, il y a de quoi manger ! » À Bastia (Corse), Jean-Michel Querci, chef de la conserverie O Mà ! Gourmandises, cuisine déjà le crabe bleu. Il en a fait une soupe savoureuse, flambée au rhum de Martinique. « C’est un ami pêcheur qui m’a dit : « Tu voudrais faire une soupe avec du crabe bleu ? », confie le cuisinier. On a essayé, et ça a marché ! Et c’est très bon ! Je le comparerai à l’araignée de mer. » Et en plus, c’est un sacré coup de pouce, pour les pêcheurs. « Il faudrait que les restaurateurs s’en emparent aussi », reprend le chef.

Le temps presse. Car le crabe bleu se reproduit de manière exponentielle. « En 2022, on a atteint des sommets, confie Guillaume Marchessaux. Cette année-là, on n’a quasiment pas eu d’automne, ni de printemps. Il a fait chaud, et les populations ont explosé. En particulier à Canet et en Corse. C’est très préoccupant. » Alors, à nos fourchettes.

Pour répondre au questionnaire sur le crabe bleu, c’est ici.